Récompenser le mérite des fonctionnaires, un casse-tête pour les employeurs publics

Publié le 3 juin 2024 à 8h50 - par

Sujet phare de la réforme de la fonction publique annoncée pour l’automne, la rémunération au mérite des fonctionnaires n’est pas une nouveauté pour les directeurs des ressources humaines (DRH) du secteur, qui alertent cependant sur les limites du dispositif.

Récompenser le mérite des fonctionnaires, un casse-tête pour les employeurs publics
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Statut, grilles salariales, catégories A, B et C : la fonction publique s’est historiquement structurée selon une logique « collective », a rappelé vendredi 31 mai 2024 lors d’un colloque à Bordeaux Vincent Lescaillez, président de l’Association des DRH des grandes collectivités.

Mais aujourd’hui, les attentes des 1,93 millions d’agents de la fonction publique territoriale ont changé et « on ne peut plus laisser hors de nos préoccupations les sujets individuels », comme la rémunération au mérite, a-t-il aussitôt complété.

Le ministre de la Fonction publique Stanislas Guerini ne cache d’ailleurs pas son intention d’accroître la rémunération au mérite dans la fonction publique dans le cadre de sa réforme. D’un employeur public à un autre, les budgets sont cependant très différents.

Au ministère de la Justice par exemple, les primes récompensant le mérite individuel des agents vont de quelques centaines d’euros à « 4 000 voire 5 000 euros » par an, précise Chantal Bublot, qui travaille au secrétariat général de ce ministère.

À l’inverse, à l’université de Bordeaux, les primes liées au mérite s’échelonnent entre 500 et 1 500 euros annuels, soit une « enveloppe assez modeste au regard de ce que nous versons par ailleurs », signale sa directrice générale adjointe des services, Marie-Béatrice Celabe.

La pratique du complément indemnitaire annuel (CIA), la prime au mérite individuelle la plus répandue dans la fonction publique, « est assez inégale » d’une université à l’autre, ajoute celle qui préside aussi Sup’DRH, une association de DRH de l’enseignement supérieur. « Nous avons une opposition assez massive de nos syndicats » et « des difficultés financières » au vu du budget souvent contraint des universités, note-t-elle.

« On se pique du personnel »

Le risque d’une concurrence entre les employeurs publics les plus riches et ceux moins fortunés est bien identifié par les DRH. « On est dans une situation où on se pique du personnel entre collectivités », les agents choisissant la plus offrante, constate Benoît Gayou, DRH du département de la Gironde.

Pour les employeurs les plus désargentés, reste la possibilité d’offrir d’autres types de récompenses à leurs agents.

Directrice générale des services de la ville de Mérignac, Élodie Portelli a ainsi titularisé des agents municipaux jusque-là employés comme contractuels, ou confié plus de responsabilités à certains agents aux qualifications théoriquement insuffisantes mais particulièrement compétents sur un projet donné.

Mais pour le sociologue Jérôme Grolleau, ces formes de « reconnaissance non monétaire » ne « compensent » pas l’absence d’une prime au mérite.

Et même s’ils coûtent souvent moins cher qu’une prime au mérite versée directement à un agent, certains dispositifs de reconnaissance non monétaire (comme la titularisation) doivent tout de même bénéficier d’un budget dédié de l’employeur pour fonctionner, souligne Benoît Gayou.

Reste enfin à définir les critères d’attribution des primes et donc les agents qui pourront en bénéficier.

Dans un sondage publié en mai, pour lequel près de 500 agents ont été interrogés, le centre de réflexion Sens du service public, animé par des hauts fonctionnaires, relevait que près de neuf agents sur dix s’estimaient éligibles à une prime au mérite.

Un problème quand ce type de dispositif est justement censé distinguer les agents les plus engagés des autres.

Pour Chantal Bublot, c’est là qu’intervient la responsabilité des cadres des administrations.

« Le CIA est un exercice largement insatisfaisant, mais c’est avant tout l’opportunité d’un exercice managérial – y compris pour partager les frustrations, mettre en débat les choix éventuels », avance la représentante du ministère de la Justice. « Soit on donne à tout le monde la même part du gâteau, soit on en donne plus à certains et moins à d’autres », résume-t-elle.

Certains employeurs répondent à ce dilemme en récompensant collectivement le mérite. Une solution poussée à la fois par le centre Sens du service public et le ministre de la Fonction publique, qui propose par exemple de se servir de ce levier pour récompenser l’amélioration de la qualité de service aux usagers, voire l’atteinte d’objectifs écologiques.

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