Vers une nouvelle dynamique de l’achat public innovant ?

Publié le 5 avril 2024 à 10h00 - par

En novembre 2023, le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique a initié une consultation citoyenne « Entrepreneuses, entrepreneurs : quelles mesures concrètes pour vous simplifier la vie ? »1 en vue « d’identifier et de faire émerger, ensemble, les mesures concrètes de simplification qui vous semblent prioritaires, notamment celles au plus proche de votre quotidien et de vos contraintes ».

Vers une nouvelle dynamique de l'achat public innovant ?
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Dans ce cadre, différentes propositions citoyennes en lien avec la commande publique ont été déposées dont une ayant pour but de faciliter l’accès des jeunes entreprises et PME à la commande publique.

Dans son discours à l’occasion des 2 ans du plan France 2030 le 11 décembre 2023, le président de la République a annoncé une « réforme structurante » de l’achat public en précisant que « On ne peut pas avoir un achat public qui, quand deux solutions sont en concurrence, pour des raisons simplement budgétaires, prend une solution qui est non-européenne face à une solution qui sera plus locale ou innovante d’un point de vue de recherche ».

En attendant une éventuelle énième modification du Code de la commande publique, il convient de voir qu’il existe différents leviers permettant de dynamiser l’achat public innovant en France.

1. La dynamique du programme «  Je choisis la French tech »

Le programme « Je choisis la French Tech », initié en juin 2023 par le gouvernement avec l’appui de la mission French Tech, a pour objectif de doubler la commande publique et privée en direction des startups à l’horizon 2027. En pratique, différentes actions seront initiées telles que :

  • Entrée en relation entre la Mission French Tech et les acheteurs de chaque ministère pour recenser les besoins, et diffuser des listes de startups pertinentes ;
  • UNIHA va créer une filière d’achat innovants et mettre en place une plateforme de formation des startups aux achats publics en 2024 en lien avec l’Agence pour l’Innovation en Santé et French Biotech ;
  • La DAE signalera dans le portail APProach 100 % des entreprises de la French Tech qui s’y inscriront ;
  • Les lauréats de « French Tech 2030 » vont bénéficier d’un accompagnement sur mesure afin de les aider à identifier les acheteurs publics susceptibles d’être intéressés par les solutions proposées ;
  • La Direction des Achats de l’État (DAE) s’engage à se mobiliser pour viser 4 % de dépenses achats auprès des PME innovantes d’ici 2027 (soit environ 1 milliard d’euros) ;
  • La DAE va déployer le « fonds innovation achats » avec une enveloppe de 6 millions d’euros (3 millions en 2023 et en 2024) dans le but de soutenir les projets d’achats innovants de moins de 100 K euros en lien avec les priorités de l’État ;
  • La DAJ (OECP) va mettre à jour le guide pratique relatif aux achats innovants afin de sécuriser la définition de l’achat innovant pour les acheteurs publics. Cette mise à jour du guide intégrera la modification de la définition de l’innovation par la loi de finances pour 2024 publiée en décembre 2023.

2. La présomption du caractère innovant pour les jeunes entreprises innovantes (JEI), nouvelle dynamique de l’achat public innovant ?

L’article 44 de la loi de finances n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 est venu préciser la définition de l’innovation visée à l’article L. 2172-3 du Code de la commande publique. Plus précisément, la définition comprend un nouveau paragraphe qui précise que « sont considérés comme innovants tous les travaux, les fournitures ou les services proposés par les jeunes entreprises définies à l’article 44 sexies-0 A du Code général des impôts ». Aussi, cette nouvelle disposition crée une présomption d’innovation pour les produits, services et travaux proposés par les jeunes entreprises innovantes (JEI) sous réserve qu’elles répondent aux conditions fixées par l’article 44 sexies-0 A du Code général des impôts.

En pratique, cette présomption de caractère innovant implique une nouvelle analyse pour savoir s’il est possible de recourir à la procédure d’achat innovant prévue à l’article R. 2122-9-1 du Code de la commande publique :

  • 1. L’entreprise est-elle une JEI au sens de l’article 44 sexies-0 A du CGI ?
    • 1.1 Si oui : présomption d’innovation par définition de la loi des produits, services et travaux proposés par les JEI et recours possible à la procédure prévue à l’article R. 2122-9-1 ;
    • 1.2 Si, non : pas de présomption d’innovation des produits, services et travaux et nécessité de démontrer le caractère innovant par la méthode du faisceau d’indices.
  • 2. Le caractère innovant des produits, services et travaux proposés par l’entreprise (quel que soit son statut juridique) est-il démontré par la méthode du faisceau d’indices ?
    • 2.1 – Si oui : recours possible à la procédure prévue à l’article R. 2122-9-1 ;
    • 2.2 – Si non : pas de recours possible à la procédure prévue à l’article R. 2122-9-1.

Toutefois, l’exercice de la vérification du statut de JEI de l’entreprise apparait fastidieux au regard des conditions cumulatives imposées par l’article 44 sexies-0 A du CGI. En outre, il n’existe pas de liste officielle des JEI. Aussi, afin de savoir si elle remplit lesdites conditions, la JEI peut envoyer une demande d’avis à l’administration fiscale qui doit répondre dans les 3 mois (en l’absence de réponse, l’avis de l’administration est réputé favorable).
Par conséquent, l’acheteur peut exiger la réponse de l’administration fiscale (ou la preuve de l’absence de réponse) afin de vérifier que l’entreprise répond effectivement aux conditions cumulatives du CGI.
Au regard de l’évolution de la définition de l’innovation au sens du Code de la commande publique, il conviendra de suivre l’évolution du volume d’achat public innovant.

3. La nouvelle dynamique de la mesure de l’achat public innovant

Suite au décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 qui impose la publication des données essentielles de la commande publique (DECP) sur une seule plateforme, l’arrêté du 22 décembre 2022 est venu préciser les données à publier à compter du 1er janvier 2024. Parmi toutes les données à publier, l’acheteur doit préciser si le marché public comporte des travaux, services ou fournitures innovants. Cette donnée à renseigner est binaire (oui/non) et vise tout type d’achat et tout type de procédure (y compris la procédure « achats innovants » de moins de 100 000 euros HT). Si cette donnée est intéressante afin d’avoir une vue globale, elle risque d’être décevante pour les pouvoirs publics. En effet, les acheteurs publics auront tendance à cocher « non » en cas de doute sur le caractère effectivement innovant et/ou sur le périmètre concerné (objet du marché, solution(s) proposée(s) par le titulaire ou ligne(s) du BPU dans le cadre d’un accord-cadre).

En effet, sur ce dernier, point, la fiche technique de la DAJ « la publication des données essentielles de la commande publique » précise simplement que « l’acheteur indique dans ce champ si le marché public comporte ou non des travaux, services ou fournitures innovants » sans plus de précision.

Conclusion

Pour les acheteurs du secteur hospitalier et médico-social public et privé, le guide opérationnel de l’acheteur d’innovation en santé a été publié par la DGOS en septembre 2023.

Pour tous les acheteurs, le guide pratique l’achat public de solutions innovantes rédigé par l’Observatoire économique de la commande publique (OECP) doit être publié prochainement afin de mieux mettre en exergue la promotion et l’identification des solutions innovantes, les étapes clés avant de contractualiser puis la contractualisation.

Au-delà des actions initiées et décrites ci-dessus, il existe un autre levier pour dynamiser l’achat public innovant : un achat en mode projet validé et porté par l’instance dirigeante. Aussi, il convient que la Direction générale soit volontaire pour tester des solutions innovantes, l’acceptation des Directions techniques de répondre différemment à des besoins existants, l’incitation des Directions achats d’identifier des solutions innovantes et l’accompagnement opérationnel de la Direction juridique dans la contractualisation pour l’achat de solutions innovantes.

De manière théorique, si chaque année, un acheteur public (environ 120 000 en France) réalisait au moins un achat d’une solution innovante (ex. : 10 000 euros HT en moyenne) auprès d’une PME (dont les JEI), le montant moyen adressé à ces entreprises serait d’environ 1,2 milliards d’euros HT. Au-delà de la création d’emplois par ces commandes et du développement économique des territoires, les enjeux à venir ne manquent pas pour tester des solutions innovantes visant à répondre aux différents défis à relever comme la réduction des émissions de CO2, du réchauffement de la température, de la baisse de la disponibilité de la ressource en eau, de l’inclusion des personnes en situation de handicap, de la diminution de la consommation d’énergie, d’une meilleure gestion de la fin de vie des produits… ainsi, tout comme le consommateur, l’acheteur public doit devenir un ach’acteur.

Baptiste Vassor, Juriste, expert achat


1. Entrepreneuses, entrepreneurs : quelles mesures concrètes pour vous simplifier la vie ?, Les résultats, Consultation citoyenne


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