L’« empreinte eau » dans les achats publics

Publié le 6 mars 2024 à 14h20 - par

Si l’eau est une ressource naturelle relativement abondante en France, les tensions sur sa disponibilité deviennent de plus en plus fréquentes pouvant aller jusqu’à des pénuries entrainant des restrictions dans son utilisation quotidienne.

L'« empreinte eau » dans les achats publics
© Par Chinnapong - stock.adobe.com

Aussi, afin d’assurer un suivi, le BRGM publie tous les mois la situation hydrogéologique en France. Par exemple, au 1er février 2024, l’état des nappes phréatiques était satisfaisant sur une grande partie du territoire (46 % des niveaux au-dessus des normales mensuelles). Toutefois, certaines zones sont toujours à un niveau très alarmant ayant pour effet de limiter l’eau aux usages prioritaires (c’est-à-dire interdisant les prélèvements en eau pour l’agriculture (totalement ou partiellement) pour de nombreux usages domestiques et pour les espaces publics).

Au regard de la baisse de la disponibilité dans les années à venir, le gouvernement a été contraint de publier un plan « eau » en mars 2023 comprenant 53 mesures. Certaines visent indirectement la commande publique telles que la mesure n° 3 qui implique des travaux « afin de réduire la consommation d’eau dans les bâtiments neufs » et la n° 5 qui vise « une démarche État exemplaire de sobriété et de lutte contre le gaspillage […] engagée au sein des administrations publiques ».

Ainsi, le plan « eau » n’a pas identifié l’acquisition de produits, services et travaux comme un gisement de réduction alors même que l’« empreinte eau » des achats publics doit être relativement importante au regard du poids dans le PIB français (environ 10 %). Concrètement, l’« empreinte eau » se définit comme le volume total d’eau douce utilisé (directement ou indirectement) dans chacune des étapes de production d’un produit ou d’un service. En effet, bien qu’invisible, certains produits, services et travaux sont très consommateurs en eau pendant leur phase de production.

Cet objectif de réduction de la consommation d’eau doit désormais être un objectif des SPASER ce qui implique de connaitre l’empreinte eau des produits et services pour une meilleure prise en compte dans les marchés publics.

1. La réduction de la consommation en eau, nouvel objectif des SPASER

Selon le Code de la commande publique, les SPASER devaient déterminer des objectifs de politique d’achat comportant des « éléments écologiques » et contribuer à « la promotion d’une économie circulaire » sans aucune référence à l’eau. Aussi, à ce jour, quelques SPASER font référence à ce sujet :

  • SPASER de la Ville de Nice : objectif 13 : Valoriser les biodéchets et les eaux usées ;
  • SPASER d’Aix Marseille Provence : objectif 14 – M36 : Perméabilisation de la ville et retour de l’eau dans les sols via des plans ;
  • SPASER CD 13 : objectif 3.3 : Agir pour la préservation des ressources en eau : réduction du plastique, réduction des produits phytosanitaires, gestion des consommations, récupération, stockage et réutilisation de l’eau de pluie en eau grise ou arrosage.

Toutefois, ces SPASER ne visent pas directement la réduction de la consommation en eau des produits, services et travaux acquis dans le cadre des marchés publics. Suite à la publication de la loi relative à l’industrie verte et la modification de l’article L. 2111-3 du CPP, les termes « éléments écologiques » ont été transformés en « éléments à caractère écologique visant notamment à réduire les émissions de gaz à effet de serre et la consommation d’énergie, d’eau et de matériaux ».

Ainsi, la réduction de la consommation en eau doit être un objectif dans les SPASER et mis en œuvre concrètement dans le cadre d’une « politique d’achat de biens et de services » (incluant également les travaux selon la DAJ). Ce nouvel objectif devra être inclus dans les prochains SPASER sachant que désormais tous les acheteurs soumis au Code de la commande publique et ayant un montant annuel des achats supérieur à 50 millions d’euros HT doivent adopter un tel schéma (soit environ 320 entités publiques).

Ainsi, par exemple, le SPASER de la région Occitanie pour la période 2023-2028 a pour objectif d’« intégrer systématiquement des dispositions visant à la réduction des consommations d’énergie et d’eau dans les marchés à travers les procédés de construction ». Cet objectif se limite aux opérations de travaux alors même que de nombreux produits et services ont une « empreinte eau » considérable.

2. La connaissance de l’« empreinte eau » des produits et services

Afin de cartographier ses achats les plus consommateurs en eau, il convient d’avoir une idée précise de l’empreinte eau des produits et services acquis dans le cadre des achats publics. Ainsi, la production d’un pantalon 100 % coton d’Asie consomme environ 3 710 litres d’eau que la filature, le tissage et l’ennoblissement se déroulent en Asie ou en Europe car la culture du coton est la principale source de consommation en eau (source Ecobalyse). Plus globalement, selon la fondation Ellen MacArthur, la filière du textile consomme 93 milliards de mètres cubes d’eau / an (soit 4 % des ressources en eau potable de la planète). Dès lors, l’achat de vêtements professionnels est un gisement important de réduction de la consommation en eau.

S’agissant des produits alimentaires, 500  litres d’eau sont nécessaires pour produire 1 kg de farine de blé (source ministère de l’Agriculture), une tomate consomme 13 litres d’eau et une baguette de pain nécessite 155 litres d’eau (source Les Agences de l’eau). Plus globalement, il convient de relever que l’alimentation est le 3e poste le plus émetteur de gaz à effet de serre (22 %), après le transport (30 %) et le logement (23 %). Enfin, s’agissant de l’informatique, la production d’un ordinateur portable nécessiterait environ 1,5 tonne d’eau (source Ademe) et la consommation en eau d’un seul Data Center Microsoft situé aux Pays-Bas consommerait 84 millions de litres en 2021 (soit l’équivalent de la consommation de 1 750 néerlandais sur un an (source Clubic). Plus globalement, en matière informatique, la phase de production du matériel est la principale source d’impact environnemental, notamment, s’agissant de la consommation en eau. Dès lors, afin de prendre en compte l’empreinte eau, il convient de le prévoir dès la définition des besoins.

3. La prise en compte de la réduction de la consommation d’eau dans les marchés publics

Dans le cadre de la définition des spécifications techniques, il convient de noter que certains cahiers des charges d’écolabels ont la réduction ou l’optimisation de la consommation en eau comme critères. Ainsi, en matière de produits alimentaires, le label HVE garantit que les intrants et la consommation d’eau pour la culture des fruits et légumes sont limités. De même, pour les textiles, les écolabels DEMETER, GOTS, EKO-TEX MADE IN GREEN et ECOCERT TEXTILE ont, notamment, comme critère la réduction de la consommation d’eau lors de la phase de fabrication.

Si aucun écolabel n’existe ou qu’ils ne prennent pas en compte la réduction de la consommation en eau, il est possible de spécifier, dans le cahier des charges, des performances (ex. : consommation inférieure à X litres d’eau en phase d’utilisation) et/ou des exigences fonctionnelles (ex. : vêtements professionnels non teints ou teints avec des substances naturelles, récupération des eaux de pluie des bâtiments ou culture hydroponique pour les légumes) dans les cahiers des charges.

En outre, il est également possible de prévoir des conditions d’exécution liées à l’usage de l’eau (ex. : arrosage des espaces verts en matinée ou soirée). Enfin, un critère « performances environnementales » peut apprécier les démarches, processus et matériaux mis en œuvre afin de réduire la consommation d’eau d’un produit ou d’un service (ex. : éco-conception) tandis qu’un critère « coût de cycle de vie » doit permettre de monétariser la consommation d’eau d’un produit ou d’un service lors de son usage par l’utilisateur (coût direct) et, le cas échéant, sur tout son cycle de vie (coût indirect ou externalités environnementales).

Enfin, il convient de relever que l’article 36 de la loi « Climat et résilience » dispose qu’« au plus tard le 1er janvier 2025, l’État met à la disposition des pouvoirs adjudicateurs des outils opérationnels de définition et d’analyse du coût du cycle de vie des biens pour les principaux segments d’achat ». Gageons que l’empreinte eau des produits et services soit incluse dans ces outils.

Conclusion

Si l’État a identifié 2 000 bâtiments prioritaires qui pourront bénéficier de financements pour participer à la réduction de la consommation d’eau à hauteur de 10 %, si la réutilisation des eaux usées traitées (décret REUT) va se développer ces prochaines années (nettoyage de la voirie publique et des réseaux d’assainissement par hydrocurage ou l’arrosage des espaces verts), si tous les SPASER doivent intégrer la réduction de la consommation en eau comme objectif, ces seules actions ne seront pas suffisantes. En effet, la baisse de la ressource eau imposera à tous les acteurs économiques (particuliers, entreprises et acheteurs publics) de passer à un usage plus raisonné de cette ressource.

Aussi, comme pour la réduction des émissions de GES, cette sobriété hydrique doit être anticipée pour ne pas être subie par tous les acteurs. Dès lors, il convient de faire évoluer progressivement mais rapidement nos modes de production et de consommation (y compris dans le cadre des achats publics) afin de réduire la consommation de cette ressource vitale pour l’Homme.

Enfin, dans un article « La guerre de l’eau aura-t-elle lieu ? » publié dans le journal du CNRS en décembre 2023, l’auteur indique que « le réchauffement du climat planétaire dû aux activités humaines rebat en effet complètement les cartes de la distribution mondiale de la ressource en eau » puis souligne que « les instances internationales, et notamment celles chargées de la sécurité et de la défense, estiment que l’eau va devenir la première source de conflits sur la planète ».

Baptiste Vassor, Juriste, expert achat