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Bilan carbone, analyse et coût du cycle de vie : quelles articulations dans les marchés publics ?

Publié le 11 mai 2023 à 10h15 - par

La Stratégie nationale Bas-Carbone (SNBC) fixe un objectif de neutralité carbone en 2050 pour la France codifié à l’article L. 100-4 du Code de l’énergie. En pratique, il s’agit de passer de 445 millions de tonnes équivalent CO2 en 2018 à 80 millions de tonnes en 2050 soit une réduction annuelle de 5 % des émissions de CO2. À noter, en 2022, selon les premières estimations de Citepa, les émissions de CO2 n’ont baissé que de 2,5 % (rapport à 2021).

Bilan carbone, analyse et coût du cycle de vie : quelles articulations dans les marchés publics ?
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L’atteinte de cet objectif impose une transformation profonde des modes de vie, de consommation et de production de tous les acteurs économiques y compris des acheteurs publics. Comme le souligne le rapport du Shift Project « Décarboner l’administration publique », la transition bas-carbone de l’administration est engagée mais de manière insuffisante. En effet, selon ce rapport, une majorité des entités publiques ne disposent pas encore de bilan des émissions des gaz à effet de serre (BEGES), diagnostic des émissions d’une entité quand bien même la loi les y oblige. De plus, un quart des BEGES se limite au minimum requis sans évaluer les émissions de leur achat ou encore du numérique.

Le Shift Project en conclut qu’avec un tel défaut de connaissance de leurs émissions, il est difficile pour les entités publiques de déterminer leurs priorités dans la réduction de GES notamment dans le cadre leur achat public.

1. L’obligation de réaliser un BEGES pour certaines entités publiques

L’article L. 229-25 du Code de l’environnement dispose que « l’État, les régions, les départements, les métropoles, les communautés urbaines, les communautés d’agglomération et les communes ou communautés de communes de plus de 50 000 habitants ainsi que les autres personnes morales de droit public employant plus de deux cent cinquante personnes » sont tenus d’établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre (BEGES).

Pour les personnes publiques, le bilan porte sur « leur patrimoine et sur leurs compétences », doit être rendu public et mis à jour tous les 3 ans. Suite au décret n° 2022-982 du 1er juillet 2022, le périmètre du bilan GES pour les personnes publiques doit obligatoirement être le suivant :

  • les émissions directes (scope 1) c’est-à-dire le chauffage dans les locaux et les émissions des véhicules de l’entité notamment ;
  • les émissions indirectes significatives (scope 2) c’est-à-dire la consommation d’électricité et de chaleur ou de vapeur nécessaire aux activités ;
  • les autres émissions indirectes (scope 3) qui comprennent, notamment, l’immobilisation des biens, l’achat de biens et services, les trajets domicile-travail des employés, le transport des marchandises avant et après leur production, les déchets, l’utilisation des produits vendus, la fin des produits vendus (…).

Le scope 3 représente souvent la majorité des émissions de GES d’une entité ; au-delà d’une prise en compte obligatoire, ce scope est indispensable pour connaitre sa véritable empreinte et ainsi prioriser ses actions.

Dans la mesure où l’objet du BEGES est les émissions de l’entité, il convient de s’interroger sur les moyens de mesurer les émissions d’un produit, d’un service ou d’un ouvrage dans le cadre d’un marché public.

2. L’analyse du cycle de vie (ACV) d’un produit

Dans le cadre d’une procédure de marchés publics, le ministère de la Transition écologique, en réponse à une question parlementaire, a indiqué qu’« au titre des aspects environnementaux qui peuvent être retenus parmi les critères évalués (dans une procédure), un acheteur public est parfaitement autorisé à exiger, dans son règlement de consultation, la production, par les candidats, du bilan carbone de leurs offres ». Toutefois, le Conseil d’État, dans une décision du 15 février 2013, a précisé que l’exigence « d’un bilan carbone sans en préciser le contenu ni en définir les modalités d’appréciation » constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

Aussi, pour mesurer les émissions de CO2, il conviendrait de s’appuyer sur une méthodologie transparente telle que le bilan Carbone® développé par l’Ademe. Or, ce dernier n’est pas approprié pour un produit car vise à quantifier les émissions d’une organisation.

Dès lors, pour calculer les émissions d’un produit, la méthode la plus courante et aboutie est l’analyse du cycle de vie du produit (ACV) basée sur la norme ISO 14040. En effet, l’ACV est une méthode basée sur une approche multicritères qui évalue les impacts environnementaux induits par la fonction rendue par un produit, un ouvrage ou un service.

Ainsi, l’ACV quantifie, à chaque étape du cycle de vie, les consommations de matières et d’énergie, les rejets et émissions dans l’air, l’eau et les sols, la production de déchets contrairement au coût de cycle de vie (CCV) qui a pour objet de monétariser les impacts environnementaux d’un produit, d’un service ou d’un ouvrage sous réserve que l’acheteur communique toutes les données nécessaires.

3. L’analyse des offres au regard du coût de cycle de vie (CCV)

Pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse, l’article R. 2152-7 du Code de la commande publique dispose que l’acheteur public peut recourir au critère du coût de cycle de vie qui peut couvrir les coûts directs supportés par l’acheteur (coûts d’acquisition, d’utilisation, de maintenance et de fin de vie) et, le cas échéant, les coûts indirects qui sont « imputés aux externalités environnementales et liés au produit, au service ou à l’ouvrage pendant son cycle de vie ».

Ces externalités environnementales peuvent, notamment, inclure « le coût des émissions de gaz à effet de serre et d’autres émissions polluantes » telles que les particules fines (PN) et les oxydes d’azote (NOx). Toutefois, le recours à ce critère implique notamment que le DCE indique les données que les candidats doivent transmettre pour l’analyse et la méthode utilisée pour déterminer le coût de cycle de vie sur la base de ces données (article R. 2152-10 du CCP). Par exemple, dans le cadre de ses appels d’offres, la SNCF a annoncé qu’elle allait recourir à un critère relatif aux émissions des GES qui reposerait sur un prix du carbone fixé à 100 euros / tonnes de CO2 tout en rappelant que 80 % de ses émissions de CO2 sont issues de ses achats (données du scope 3 du BEGES).

Conclusion

S’il n’existe pas de méthode commune de calcul des externalités, l’article 36 de la loi Climat et résilience dispose qu’« au plus tard le 1er janvier 2025, l’État met à la disposition des pouvoirs adjudicateurs des outils opérationnels de définition et d’analyse du coût du cycle de vie des biens pour les principaux segments d’achat ». En pratique, deux outils en version bêta sont déjà en ligne pour les textiles et l’alimentaire.

En attendant la mise à disposition sur d’autres segments achats, la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables impose aux acheteurs publics, lorsqu’ils achètent « des dispositifs de production d’énergies renouvelables » (panneaux solaires, éoliennes…), de prendre en compte « l’empreinte carbone et environnementale tout au long de leur processus de fabrication, de leur utilisation et de leur valorisation après leur fin de vie » sans préciser la méthode à adopter.

De plus, dans les propositions des pilotes pour le projet de loi Industrie Verte, la mesure 15 vise à « favoriser les produits verts dans les achats publics » en permettant d’exclure les entreprises qui ne respectent pas les obligations de transparence environnementale (ex : bilan d’émissions de gaz à effet de serre) ou encore accélérant le déploiement des indicateurs environnementaux simples (score environnemental).

Pour conclure, et comme le précise le rapport du Shift Project, « si l’administration publique n’est pas en première ligne pour montrer l’exemple, comment sera-t-elle crédible pour pousser, via les politiques publiques, la transition bas-carbone de l’ensemble de la société ? ».

Baptiste Vassor, juriste, expert achat public et administrateur de l’APASP

Auteur :

Baptiste Vassor

Baptiste Vassor

Juriste, expert achat public et administrateur de l'APASP


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