Analyse des spécialistes / Commande publique

La responsabilité sociétale des entreprises dans la commande publique

Publié le 11 octobre 2022 à 10h30 - par

La notion de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est définie par la Commission européenne comme « un concept qui désigne l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes »1.

La responsabilité sociétale des entreprises dans la commande publique

Ainsi, les entreprises, qui s’engagent dans une telle démarche, développent des pratiques éthiques, sociales et durables dans le cadre de leurs activités et de leurs relations avec les tiers et peuvent faire reconnaître cet engagement à travers des certifications, notations et labels2.

En France, depuis la loi du 27 mars 2017, certaines des plus grandes entreprises doivent aller plus loin en adoptant un plan de vigilance3 relatif à l’activité de la société et de l’ensemble des filiales ou sociétés qu’elle contrôle.

De plus, la loi PACTE du 22 mars 2019 laisse la possibilité aux entreprises de définir une raison d’être dans leurs statuts et a créé la catégorie de « société à mission » leur permettant de fixer « un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité » dans leurs statuts.

Ainsi, la formalisation de l’engagement « RSE » se situe au niveau de l’entreprise à travers différents dispositifs (cumulatifs).

Dans le cadre de la commande publique, est-il possible de prendre en compte les engagements RSE de l’entreprise ?

1. L’appréciation des performances environnementales ou sociales de l’offre

Dans un premier temps, il convient de relever que ni la directive 2014/24/UE ni le Code de la commande publique n’emploient le terme « responsabilité sociétale des entreprises ». Toutefois, cette absence ne signifie pas que la commande publique se désintéresse du sujet ; l’approche est simplement différente. En effet, la commande publique a pour finalité de répondre à un besoin dont la nature et l’étendue sont déterminées en amont tout en prenant en compte des objectifs de développement durable. Pour ce faire, elle sélectionne l’offre économiquement la plus avantageuse au regard d’une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution parmi lesquels figurent des critères qualitatifs, environnementaux et/ou sociaux.

Aussi, l’acheteur public peut valoriser les performances sociales et/ou environnementales des produits, des prestations ou des travaux mais ne doit pas apprécier la politique générale des entreprises en matière de RSE comme le rappelle la jurisprudence du Conseil d’État.

2. L’appréciation in concreto de l’utilisation d’un critère RSE

Dans un arrêt du Conseil d’État, du 25 mai 2018, n° 417580, Nantes Métropole, le juge administratif a considéré que « le critère de « performance en matière de responsabilité sociale » ne concerne pas les conditions dans lesquelles les entreprises candidates exécuteraient l’accord-cadre en litige mais porte sur l’ensemble de leur activité et a pour objectif d’évaluer leur politique générale en matière sociale, sans s’attacher aux éléments caractérisant le processus spécifique de réalisation des travaux d’impression prévus par le contrat ». Par conséquent, dans le cas présent, le critère RSE n’avait pas un lien suffisant avec l’objet du marché ou ses conditions d’exécution.

De son côté, le juge judiciaire a considère que les sous-critères4 du critères RSE sont « manifestement sans lien avec l’objet ou les conditions particulières d’exécution du marché car ils portent sur la « politique RSE » de l’entreprise candidate (…) sans faire le lien entre ces normes se déclinant sur un mode incitatif et l’attribution du lot » (Tribunal judiciaire de Paris, référé, n° RG21/55407, 28 juillet 2021).

Ainsi, si l’utilisation d’un critère dénommé « RSE » ne semble pas rédhibitoire pour le juge administratif, les sous-critères et/ou les questions de ce dernier doivent être en lien avec l’objet du marché ou ses conditions d’exécution pour être conforme au Code de la commande publique. Telle a été la position du juge administratif (TA Bastia, ord. 20 juillet 2022, Sté Corsica Ferries, n° 2200797) qui a considéré que le critère RSE n’est pas étranger aux conditions d’exécution de la délégation de service public, qu’il ne laisse pas une marge de choix indéterminée à l’acheteur public et ne créé par de rupture d’égalité entre les candidats.

Conclusion

L’utilisation d’un critère dénommé « RSE » est susceptible d’induire en erreur les candidats aux marchés publics. En effet, pour ces derniers, la RSE a trait aux engagements environnementaux et sociaux au niveau de l’entreprise (et non au regard du produit ou du service, objet du marché).

Aussi, sauf à vouloir absolument utiliser un terme à la mode, il semble préférable d’utiliser les bons termes pour ne pas ajouter de la confusion à un exercice déjà chronophage et coûteux pour les entreprises.

Baptiste Vassor, juriste, expert achat – UGAP


1. Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, Livre vert, Commission européenne

2. Labels BCorp, Lucie, Engagé RSE, notation Ecovadis, label RFAR (…)

3. Article L. 225-102-4 du Code du commerce.

4. Adhésion de l’entreprise à un pacte mondial, politique RSE d’entreprise, politique d’entreprise en matière de conditions de travail, garantie de ce que les produits ou services de l’entreprise ne proviennent pas de travail d’enfants ou toute autre violation des droits de l’homme, politique environnementale, absence de sanction dans les 5 dernières années pour une violation d’une loi environnementale sur un des produits ou service objet de la mise en concurrence et politique Achats responsables d’entreprise.

Auteur :

Baptiste Vassor

Baptiste Vassor

Juriste, expert achat – UGAP


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