Analyse des spécialistes / Commande publique

Les risques de « greenwashing » dans la commande publique

Publié le 17 janvier 2024 à 10h00 - par

Dans un article intitulé « Le public incite-t-il les entreprises à l’écoblanchiment ? »1 publié par la revue Harvard Business Review, les auteurs soutiennent la thèse selon laquelle « les entreprises adoptent des politiques d’écoblanchiment pour tenter de répondre rapidement aux attentes du grand public en matière d’écoresponsabilité » puis de préciser que « les dirigeants ont tendance à préférer la mise en œuvre de techniques trompeuses pour améliorer l’image environnementale de ‘entreprise plutôt que force disciplinaire et mécanisme de surveillance des pratiques environnementales trompeuses ».

Les risques de "greenwashing" dans la commande publique
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Si cette tendance existe pour le Business to Consumer (B to C), il n’y a aucune raison qu’elle n’existe pas dans le cadre de la commande publique (Business to Government). Bien au contraire, au regard du verdissement de l’achat public, les entreprises sont contraintes de « montrer patte verte ». Concrètement, les réponses des candidats sont des allégations environnementales c’est-à-dire des informations relatives aux qualités ou caractéristiques environnementales d’un produit ou d’un service (qui permettent de les distinguer des concurrents).

En pratique si l’allégation n’est pas fiable (c’est-à-dire trompeuse ou de nature à induire en erreur), n’est pas justifiée (grâce à des éléments précis et mesurables), ne porte pas sur un aspect environnemental significatif (au regard des impacts générés par le produit) et/ou si l’avantage revendiqué conduit à des transferts de pollution (en créant ou en aggravant d’autres impacts environnementaux du produit), il est probable que l’allégation est une tentative d’écoblanchiment (ou « greenwashing »). Face à ce risque, l’acheteur public doit bien analyser les offres des candidats mais également utiliser les termes appropriés dans les cahiers des charges techniques.

1. La nécessité d’utiliser les termes appropriés pour les acheteurs publics

Dans le cadre de l’expression de son besoin par des performances et/ou des exigences fonctionnelles, l’acheteur public peut être amené à utiliser, notamment, des termes sans maitriser la définition officielle, n’ayant pas de définition officielle ou encore encadrés voire interdits.

Ainsi, il existe des définitions officielles pour de nombreux termes tels que l’écoconception d’un produit, biologique (pour l’alimentation) ou encore recyclable. A contrario, à ce jour, il n’existe pas de définition officielle pour les termes « dépolluant », « écotoxicité réduite », « upcycling » ou encore « réparable ». Toutefois, il convient de noter que le guide pratique des allégations environnementales propose des définitions pour ces termes.

En outre, lorsque le CCTP impose que le produit proposé doit contenir des matériaux recyclés, il convient de prévoir un pourcentage minimum du produit final ou exiger des candidats de préciser ce pourcentage en application de l’article L. 541-9-1 du Code de l’environnement.

Enfin, l’utilisation de certaines mentions est interdite ; par exemple, l’article L. 541-9-1 du Code de l’environnement interdit l’utilisation de mentions dans des cas précis (ex. compostable si « la compostabilité ne peut être obtenue qu’en unité industrielle ») et interdit l’utilisation de certaines mentions pour tous les produits (ex. : biodégradable, respectueux de l’environnement ou tout autre mention équivalente).
En tout état de cause, quand bien même l’acheteur est vigilant sur l’utilisation des termes dans son cahier des charges techniques, les opérateurs économiques peuvent être tentés de répondre avec des éléments exagérés et/ou non vérifiés afin de maximiser les chances de gagner le marché public.

2. L’obligation d’analyser précisément les réponses des opérateurs économiques

Devant les attentes (grandissantes) des acheteurs publics en matière de prise en compte des considérations environnementales dans les produits et services proposés, les fournisseurs peuvent être tentés d’employer plusieurs manœuvres telles que :

  • utiliser des termes vagues n’apportant aucun élément concret (ex. le produit est « vert », « écologique », « durable ») ;
  • de faire mention d’écolabels de type II c’est-à-dire des auto-déclarations (et non de type I c’est-à-dire d’écolabels officiels) ;
  • de faire mention d’écolabels officiels alors même que le produit ne l’a plus ou ne l’a jamais obtenu (d’où l’importance d’exiger le numéro d’enregistrement et/ou de vérifier sur le site de l’écolabel) ;
  • de donner des informations insuffisantes (ex. faire mention du caractère recyclé d’un produit sans préciser le pourcentage de matières recyclées effectivement incorporées) ;
  • d’affirmer des choses sans apporter les justificatifs (ex. éco-conception d’un produit) ;
  • de faire référence à sa politique RSE (alors même qu’elle n’a pas de lien avec l’objet du marché ou ses conditions d’exécution au sens du Code de la commande publique) ;
  • de présenter sa démarche comme exclusive et innovante [alors même que la règlementation lui impose de donner cette information (ex. : indice de réparabilité pour les PC portables, score environnemental pour les véhicules électriques…)] ;
  • de déclarer respecter la réglementation nationale (ex. : REP DEEE) ou européenne (ex. règlement REACH pour les textiles) sans apporter d’éléments concrets dans sa réponse.

Ce dernier point n’est pas anodin car, selon un article du Monde de décembre 2022, « Sur environ 2 400 articles contrôlés en 2022 dans vingt-six pays de l’Union européenne (UE), dont la France, par les services de répression des fraudes ou les douanes, plus de 400 (20 %) étaient en infraction avec la législation européenne, selon l’analyse de l’ECHA ».

Bien évidemment cette liste n’est pas exhaustive mais vise à illustrer des cas concrets pouvant s’apparenter à du « greenwashing » et susceptibles de fausser la concurrence et donc le classement des offres. Cette capacité à apprécier et critiquer les réponses environnementales des candidats est d’autant plus cruciale qu’à compter d’août 2026, au moins un des critères d’attribution devra prendre en compte les caractéristiques environnementales de l’offre en application du nouvel article L. 2152-7 du Code de la commande publique. Cette nouvelle obligation, qui résulte de l’article 35 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, sera anticipée pour certains segments d’achats suite à la modification de l’article 35 par l’article 29 de la loi n° 2023-973 du 23 ctobre 2023 relative à l’industrie verte.

Conclusion

Selon le rapport « Environnementalisation des marchés publics » de la Chaire de droit des contrats publics de l’Université Lyon III publié en 2022, le manque d’expertise et de formation des acheteurs publics et la difficulté de vérifier la conformité des dimensions environnementales au stade de la passation et de l’exécution sont les principaux freins à la prise en compte de l’environnement dans les marchés publics.

Ce rapport illustre parfaitement le paradoxe dans lequel se trouve les acheteurs publics : devoir prendre en compte l’environnement dès la définition des besoins tout en ayant des difficultés à vérifier les allégations environnementales des candidats puis à les contrôler dans le cadre de l’exécution des marchés.

Cette montée en puissance du verdissement de l’achat public impose aux acheteurs de se former afin de mieux maitriser le sujet, de faire évoluer leurs pratiques en étant plus précis sur les attendus en matière d’environnement dans le but de détecter et d’écarter le « greenwashing » et, finalement, de faire un véritable acte d’achat public responsable.

Baptiste Vassor


1. Le public incite-t-il les entreprises à l’écoblanchiment ?

Auteur :

Baptiste Vassor

Baptiste Vassor

Juriste, expert achat – UGAP