Analyse des spécialistes / Passation des marchés

La multiplication des motifs d’exclusion à l’appréciation de l’acheteur public

Publié le 2 novembre 2023 à 9h00 - par

Les dernières lois en lien avec le développement durable ont été l’opportunité de créer des nouveaux motifs d’exclusion des candidats à l’appréciation de l’acheteur dans le Code de la commande publique avec pour objectif affiché de développer l’achat public responsable.

La multiplication des motifs d'exclusion à l'appréciation de l'acheteur public

Plus précisément, ces nouveaux motifs d’exclusion donnent la possibilité aux acheteurs publics d’exclure des candidats ne respectant pas certaines dispositions législatives environnementales et/ou sociales. Autrement dit, l’État délègue aux acheteurs publics le contrôle du respect de la réglementation en leur laissant la responsabilité, d’une part, de prévoir (ou non) le motif d’exclusion dans la procédure de marchés publics et, d’autre part, de décider de l’exclusion (ou non) du candidat sur la base du (des) motif(s) prévu(s).

Or, comme le souligne Jean-Yves Roux, Sénateur et rapporteur pour avis du projet de loi relative à l’industrie verte, « les motifs d’exclusion dits « à l’appréciation de l’acheteur » ne sont quant à eux jamais utilisés, vraisemblablement par crainte de futurs contentieux » puis de préciser que la DAJ de Bercy n’a pas été en capacité de « fournir la moindre estimation, même approximative, du nombre d’entreprises concernées par des exclusions de plein droit des procédures de passation » et de conclure « qu’il n’existe aucun suivi, même à l’échelon central, de cet outil qui nous est pourtant présenté comme un puissant moyen de verdissement de la commande publique ».

En outre, suite à la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 qui a entrainé la modification de l’article L. 2141-11 du Code de la commande publique, l’acheteur public doit permettre à l’entreprise concernée de « fournir des preuves qu’elle a pris des mesures de nature à démontrer sa fiabilité » avant de prendre une décision d’exclusion de la procédure de marchés publics. Après avoir précisé le contexte des motifs d’exclusion à l’appréciation de l’acheteur, il convient d’étudier les derniers motifs d’exclusion intégrés dans le Code de la commande publique.

1. Le motif relatif à l’absence d’adoption d’un plan de vigilance

Suite à une recommandation du rapport d’évaluation de la loi relative au devoir de vigilance, la loi du 22 août 2021 dite « Climat et résilience » a modifié le Code de la commande publique pour créer un nouveau motif d’exclusion à l’appréciation de l’acheteur au stade de la candidature à l’article L. 2147-7-1 du Code de la commande publique.

En pratique, cette disposition permettra à un acheteur public d’exclure les opérateurs économiques qui n’ont pas établi un plan de vigilance (alors qu’ils en ont l’obligation en application de l’article L. 225-102-4 du Code du commerce) dans la mesure où ce motif d’exclusion a été prévu dans le règlement de consultation.

Toutefois, au regard des sociétés visées par le Code du commerce, de la complexité à identifier les liens capitalistiques entre toutes les sociétés d’un groupe et en l’absence d’une liste officielle, il est impossible pour un acheteur public de savoir si tous les candidats à la procédure doivent établir un tel plan de vigilance. Cette difficulté a été relevée dans le rapport d’évaluation de la loi devoir de vigilance qui met en exergue « qu’aucun service de l’État ne dispose actuellement de l’intégralité des informations nécessaires pour déterminer si la loi s’applique à telle ou telle société ».

À ce jour, seules les ONG Sherpa et Terre Solidaire tiennent une liste (non exhaustive et non officielle) permettant d’identifier les sociétés qui n’ont pas publié leur plan de vigilance. Il est à noter que certaines sociétés identifiées sont titulaires de nombreux marchés publics (notamment des prestataires de propreté, de sécurité humaine et de restauration collective).

La loi relative à l’industrie verte intègre un nouveau motif d’exclusion des candidats dans le Code de la commande publique.

2. Le motif relatif à l’absence d’établissement d’un Beges

La loi portant sur l’engagement national pour l’environnement de 2010 a créé l’obligation, à l’article L. 229-25 du Code de l’environnement, d’établir un bilan des émissions de gaz à effet de serre (Beges) pour les personnes morales de droit privé employant plus de 500 personnes en métropole (250 personnes en Outre-mer), qui doit être rendu public par la mise en ligne sur la plateforme Bilans Beges de l’Ademe et qui doit être mis à jour tous les 4 ans.

Toutefois, selon une évaluation de l’Ademe de 2021, seulement 35 % des entreprises soumises au Beges ont fait l’exercice alors même que de nombreuses entreprises s’engagent à « zéro carbone » d’ici 2050.

Face à cet échec, la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte multiplie par 5 le montant de l’amende, conditionne le bénéfice d’aides publiques à la transition écologique et énergétique à l’établissement d’un Beges simplifié pour les entreprises de 50 à 500 salariés et permet aux acheteurs publics d’exclure les candidats des marchés publics.

Plus précisément, l’article 29 de la loi créé un nouvel article L. 2141-7-2 dans le Code de la commande publique qui dispose que l’acheteur public peut exclure de la procédure « les personnes soumises à l’article L. 229-25 du Code de l’environnement qui ne satisfont pas à leur obligation d’établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre pour l’année qui précède l’année de publication de l’avis d’appel à la concurrence ou d’engagement de la consultation ».

En pratique, l’établissement d’un Beges pour les sociétés est une étape clé pour réaliser son reporting extra-financier qui est une autre obligation règlementaire.

3. Un nouveau motif à venir : le non-respect des obligations de reporting extra-financier

La directive n° 2022/2464 du 14 décembre 2022 relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (dite directive CSRD) devra être transposée avant le 6 juillet 2024. En France, le Gouvernement est habilité, par l’article 12 de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023, à transposer la directive par voie d’ordonnance.

L’article 25 de la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 vient modifier l’article 12 de la loi du 9 mars 2023 afin de permettre au Gouvernement « d’introduire dans le Code de la commande publique un dispositif d’exclusion des procédures de passation des marchés publics (…) à l’appréciation de l’autorité contractante, pour les opérateurs économiques qui ne satisfont pas aux obligations de publication d’informations résultant des mesures de transposition mentionnées au 1° du présent I ».

En pratique, certaines entreprises (avec un calendrier échelonné) devront publier un rapport de durabilité qui identifie les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et prend en compte les impacts positifs (opportunités) et négatifs (risques) sur le développement, la performance et les résultats de l’entreprise (concept de double matérialité).

En attendant l’entrée en vigueur de ce nouveau motif d’exclusion, un nouveau motif d’exclusion est déjà en projet comme précisé dans le plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2023-2027) : l’exclusion des entreprises soumises à l’index égalité Femmes/Hommes qui ne l’ont pas calculé et publié ou ayant une note strictement inférieure à 75/100.

Conclusion

Les acheteurs publics ne se saisiront des motifs d’exclusion de candidatures à leur appréciation lorsque les pouvoirs publics mettront soit en place une plateforme publique connectée aux différentes API existantes (ou à créer) ou délivreront un « passeport » d’accès à la commande publique permettant de vérifier effectivement l’éligibilité de chaque candidat à la commande publique (et non de s’appuyer sur une attestation sur l’honneur).

Ces différentes propositions rejoignent celle du livre blanc « Pour une loi Sapin 3 » de la Chaire de droit des contrats publics et de l’Observatoire de l’éthique publique portant sur la création d’un « registre national des opérateurs économiques non admissibles aux contrats de la commande publique sous la responsabilité du ministère en charge de l’Économie et des Finances ».

Quelle que soit la solution retenue (plateforme, passeport ou registre), elle va devenir indispensable pour vérifier effectivement les exclusions temporaires des marchés publics prévues par le Règlement (UE) 2023/1115 du 31 mai 2023 relatif à la déforestation importée.

Baptiste Vassor, juriste, expert achat public et administrateur de l’APASP

Auteur :

Baptiste Vassor

Baptiste Vassor

Juriste, expert achat public et administrateur de l'APASP