Analyse des spécialistes / Achats

Quelle place pour la lutte contre la déforestation importée dans la commande publique ?

Publié le 17 octobre 2023 à 9h40 - par

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), 420 millions d’hectares de forêts ont disparu entre 1990 et 2020 (soit 10 % des forêts dans le monde correspondant à une superficie supérieure à l’Union européenne).

Quelle place pour la lutte contre la déforestation importée dans la commande publique ?
© Image par Szabolcs Molnar de Pixabay

Le principal facteur de la déforestation est l’expansion des terres agricoles à des fins de production d’huile de palme, de bois, de soja, de cacao, de café ou encore l’élevage de bétail. À travers ses importation de produits, l’UE contribue à hauteur de 16 % à la déforestation mondiale. Or, les forêts jouent un rôle déterminant dans la lutte contre le changement climatique à travers le stockage du carbone et dans le cycle de l’eau par l’évapotranspiration des arbres. Aussi, au regard du changement climatique, il y a urgence à enrayer la destruction des forêts au niveau mondial.

En France, la Stratégie Nationale de lutte contre la Déforestation Importée (SNDI) a été adoptée le 14 novembre 2018 pour mettre fin d’ici 2030 à l’importation de produits forestiers ou agricoles non durables contribuant à la déforestation dans les filières de cacao, hévéa, soja, huile de palme, bois et bœuf.

Parmi les différentes actions, l’objectif n° 8 vise à mettre en œuvre une politique d’achat public « zéro déforestation » d’ici 2022 passant, notamment, par la publication d’un guide sur la lutte contre la déforestation et l’achat public, l’intégration de l’objectif « zéro déforestation importée en 2022 » dans le dispositif interministériel « administration exemplaire » et par un lobbying auprès de l’UE pour la mise en place d’une interdiction d’achats de produits issus de la déforestation importée pour les acheteurs publics.

L’intégration de cet objectif « zéro déforestation » a été transposé en droit communautaire en passant d’une logique d’obligation de prise en compte dans les achats à une interdiction de mise sur le marché de l’UE.

1. L’obligation de prendre en compte le risque de déforestation importée pour certains achats de l’État

L’article 272 de la loi Climat et résilience a créé l’article L. 110-7 du Code de l’environnement qui dispose que « L’État se donne pour objectif de ne plus acheter de biens ayant contribué directement à la déforestation, à la dégradation des forêts ou à la dégradation d’écosystèmes naturels en dehors du territoire national. Cet objectif est décliné par décret, pour la période 2022-2026 puis pour chaque période de cinq ans. »

Le décret n°2022-641 du 25 avril 2022 relatif à la prise en compte du risque de déforestation importée dans les achats de l’État pose le principe « de tendre vers des achats de biens qui ne contribuent pas à la déforestation importée » pour les achats des services centraux et déconcentrés de l’État.

Plus précisément, le décret précise que les biens sont « tout produit, produit dérivé, produit transformé issu, ou produit à partir, des matières premières suivantes : bois, soja, huile de palme, cacao, bœuf et hévéa » qu’il convient de croiser avec les 7 segments d’achats concernés par cet objectif (les matériaux de construction et de rénovation, les combustibles, le mobilier, les véhicules (y compris les équipements), les fournitures de bureau, les produits d’entretien et la restauration).

Enfin, le décret précise que les acheteurs publics doivent prendre « en compte le risque de déforestation importée dans leurs achats, de la définition du besoin au suivi de l’exécution du marché ». Ainsi, l’obligation vise tout le cycle d’achat ce qui impose un contrôle de l’exécution des prestations à travers la réalisation d’audit.

En pratique, pour accompagner les acheteurs publics, le ministère de la Transition écologique a publié un guide « S’engager dans une politique d’achat public « Zéro déforestation » : guide à destination des acteurs de la commande publique » (novembre 2021). Dans l’objectif de faire de l’Europe le premier continent neutre pour le climat à l’horizon 2050, l’UE vient d’adopter, dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, un Règlement sur la déforestation importée.

2. L’interdiction de la mise sur le marché européen des produits ayant contribué à la déforestation

Le Règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts est entré en vigueur le 30 juin 2023. L’objet du Règlement est d’interdire la commercialisation de 7 produits de base (bovins, cacao, café, palmier à huile, caoutchouc, soja et bois) et aux produits qui contiennent ces produits de base ou qui ont été nourris ou fabriqués à partir de ces derniers dans la mesure où ces derniers sont issus de  terres déboisées ou de forêts dégradées. La liste complète des produits visés est annexée au Règlement.

Concrètement, avant la mise sur le marché de l’UE de ces produits, il conviendra de respecter les 3 conditions suivantes :

  1. Les marchandises doivent être « zéro déforestation » c’est-à-dire qu’elles ne contiennent pas de produits provenant de terres ayant fait l’objet de déforestation après le 31 décembre 2020 ou qu’ils n’ont pas été nourris ou fabriqués à partir de tels produits ;
  2. Les marchandises sont produites dans le respect de la législation du pays de production (environnementales, fiscales et sociales, droits de l’homme et des peuples autochtones) ;
  3. Les marchandises doivent faire l’objet d’une déclaration de diligence raisonnée de la part des opérateurs et des commerçants.

En pratique, cette dernière condition implique la collecte des informations, données et documents attestant du respect des deux conditions susmentionnées, des mesures d’évaluation du risque « visant à déterminer s’il existe un risque que les produits en cause destinés à être mis sur le marché ou exportés ne soient pas conformes » et, le cas échéant, des mesures d’atténuation du risque c’est-à-dire l’adoption « des procédures et mesures d’atténuation du risque appropriées pour parvenir à un risque nul ou seulement négligeable ».

Sur la base des diligences raisonnées, des contrôles des opérateurs et des commerçants devront être réalisés par les autorités compétentes des États membres (les douanes) et, le cas échéant, les parties prenantes (ONG, communautés locales, populations autochtones…) pourront présenter des rapports détaillés aux autorités compétentes.

Enfin, il convient de noter que différents types de sanctions sont prévus pour les contrevenants : de la saisie des produits, au rappel des produits pour destruction en passant par des amendes jusqu’à 4 % du CA annuel de la société à l’exclusion temporaire aux procédures de passation des marchés publics.

Conclusion

Si l’obligation de mise en place d’une diligence raisonnée est applicable à compter du 30 décembre 2024 à tous les opérateurs et commerçants et, à compter du 30 juin 2025, pour les microentreprises ou les petites entreprises (établies au plus tard le 31 décembre 2020), tous les acheteurs publics peuvent prendre en compte ce risque dès aujourd’hui dans leur DCE à travers l’exigence de labels, des écolabels, l’imposition de conditions d’exécution portant sur la traçabilité des produits mise en place par les fournisseurs, l’exigence d’un reporting périodique sur l’origine géographique des produits et, son corollaire, une clause relative à la mise d’un plan de progrès.

S’agissant de la sanction relative à l’exclusion temporaire des marchés publics, sa mise en œuvre effective milite une nouvelle fois pour le déploiement d’une plateforme publique connectée aux différentes API existantes (URSSAF, DGFIP, INPI, Egapro, BODACC, RBE…) et à créer (plan de vigilance, BEGES, CSRD, sanctions internationales…) dans le cadre d’un nouveau Plan Transformation Numérique de la Commande Publique afin de permettre aux acheteurs de se concentrer sur les achats !

Baptiste Vassor, juriste, expert achat public et administrateur de l’APASP

Auteur :

Baptiste Vassor

Baptiste Vassor

Juriste, expert achat public et administrateur de l'APASP