Analyse des spécialistes / Acheteur public

Le poids des achats publics dans l’empreinte carbone

Publié le 26 juillet 2023 à 11h00 - par

En 2022 en France, si les émissions de CO2 ont baissé de 2,7 % par rapport à 2021, cette diminution n’atteint pas encore la trajectoire de réduction fixée à 5 % par an afin d’être en adéquation avec la Stratégie nationale Bas-Carbone (SNBC) adoptée en avril 2020. Cette trajectoire permettrait de respecter les engagements internationaux résultant de la COP de Paris de 2015 qui doit contenir le réchauffement climatique à moins de 2°C d’ici 2050.

Le poids des achats publics dans l'empreinte carbone
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Concrètement, la réduction des émissions globale de CO2 de la France passera, notamment, par la baisse des émissions de chaque français sur les prochaines années. En effet, à ce jour, il ressort de l’étude CITEPA que les émissions moyennes de CO2 de chaque français sont d’environ 10 tonnes de CO2 équivalent par an pour l’année 2019. Dans ces 10 tonnes, une part importante est consacrée au transport (26,5 %), à l’alimentation (23,5 %), au logement (19 %), à la consommation (16 %) et aux dépenses publiques (14 %).

Pour atteindre l’objectif fixé par la SNBC, les émissions de CO2 devront avoisiner environ les 2 tonnes par personne et par an en 2050. Aussi et pour atteindre cet objectif, les administrations devront donc également diminuer drastiquement leurs émissions de CO2 qui représentent en 2019 environ 1 400 kg CO2 éq. par personne et par an. Pour avoir une idée précise des émissions de CO2, les entités publiques ont l’obligation de réaliser un bilan des émissions de leur gaz à effet de serre (BEGES).

L’obligation de réaliser un BEGES des 3 scopes pour certaines entités publiques

Si l’article L. 229-25 du Code de l’environnement impose à certaines entités publiques (services de l’État, collectivités territoriales de plus de 50 000 habitants, et les établissements publics et autres personnes morales de droit public de plus de 250 agents) de réaliser un BEGES tous les trois ans, de nombreuses administrations publiques n’ont pas encore réalisé et publié leur bilan carbone.

Lorsque qu’il est réalisé, il est très fréquent que le BEGES ne porte que sur les scopes 1 et 2. Or, suite au décret du 1er juillet 2022, les autres émissions indirectes (scope 3) telles que l’immobilisation des biens, l’achat de biens et services, les trajets domicile-travail des employés, le transport des marchandises avant et après leur production, les déchets ou encore la fin des produits vendus doivent également être prises en compte dans le BEGES. Dans la mesure où le scope 3 représente très régulièrement la majorité des émissions de GES d’une entité (publique ou privée), sa non prise en compte a pour effet, d’une part, de sous-estimer les données du BEGES et, d’autre part, de fausser les priorités du plan de transition visant à réduire les émissions, notamment, dans le cadre de ses achats publics.

Le poids des achats publics dans les émissions de CO2 d’une entité

Toute administration publique est amenée, pour répondre à ses besoins, à acquérir des fournitures, des services et des travaux à travers des marchés publics mais également à conclure des concessions afin de déléguer une prestation à une entreprise (ex. : restauration collective, équipements sportifs). Aussi, au vu de l’hétérogénéité des achats, la réalisation d’un BEGES incluant les postes 4.1 « achat des biens » et 4.5 « achat de service » du scope 3 est un réel défi pour chaque entité. En effet, le BEGES implique de disposer des émissions de CO2 propres à chaque produit, service et travaux acquis au cours d’une année donnée auprès des différents titulaires (et non le BEGES du fournisseur) dans la mesure où ces derniers ont également mis en place une démarche de calcul des émissions ou une analyse de cycle de vie (ACV).

Au regard des BEGES réalisés par certaines entités publiques, il convient de considérer que les achats représentent entre 40 % et 80 % des émissions de CO2 d’une entité publique. En pratique, ces chiffres dépendent, notamment, de la nature de l’activité et du périmètre géographique d’intervention.

Ainsi, la SNCF annonce que 80 % des émissions de CO2 proviennent de ses achats tandis que le CNRS les estime à 74 % en 2019. Côté collectivités, les achats représentent 45 % pour la ville de Tours et 48 % pour la ville de Grenoble en 2019. Enfin, dans le secteur de la santé, le Centre hospitalier de Jonzac estime que ses achats représentent 38 % en 2018 quand le CHU de Grenoble Alpes les estime à 44 % pour l’année 2016.

Au-delà de ces données propres à quelques entités qui semblent avoir pris en compte le scope 3, il convient de noter qu’il n’existe pas de données nationales consolidées des émissions de CO2 résultant uniquement des achats publics. Par conséquent, les mesures législatives et règlementaires prises dans le but de réduire les émissions de CO2 ne sont pas propres aux achats publics mais s’appliquent aux principaux secteurs émetteurs de CO2 en France (logements, transport, alimentation, production d’énergie et déchets) avec une déclinaison pour le secteur public.

Conclusion

Le projet de loi relatif à l’industrie verte prévoit d’une part, d’étendre le champ d’application des schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (SPASER) à l’ensemble des acheteurs publics (y compris les ministères et ses établissements publics) et, d’autre part, de pouvoir élaborer un SPASER commun à plusieurs acheteurs publics (Ex. : villes et métropole d’un même territoire).

Ces évolutions à venir doivent être l’occasion pour tous les acheteurs publics d’inscrire définitivement la décarbonation des achats publics dans les SPASER. En effet, la décarbonation doit obligatoirement être portée par l’instance dirigeante de l’entité publique et concerner tous les achats (transport, numérique, travaux, prestations de services, mobilier, denrée alimentaire…).

Pour conclure, comme le précise le Shift Project, « l’administration publique a un pouvoir prescripteur déterminant au travers des achats publics. Ainsi, si l’État et les collectivités décident de réduire l’empreinte carbone des repas servis dans les cantines, ce sont deux tiers des repas servis chaque année dans la restauration collective qui sont concernés et c’est une dynamique qui se propage dans toute la filière alimentaire ».

Baptiste Vassor, juriste, expert achat public et administrateur de l’APASP

Auteur :

Baptiste Vassor

Baptiste Vassor

Juriste, expert achat public et administrateur de l'APASP