Analyse des spécialistes / Acheteur public

Clauses d’insertion sociale dans les marchés publics : où en sont les acheteurs publics ?

Publié le 29 avril 2025 à 11h40 - par

Le compte à rebours est lancé : 30 % des marchés publics passés par les acheteurs publics devront contenir une « considération d’ordre sociale » d’ici la fin de l’année 2025 selon le Plan national pour des achats durables (PNAD) et 100 % d’ici le 21 août 2026, une clause sous forme de condition d’exécution relative au domaine social et à l’emploi pour les marchés dont le montant est supérieur aux seuils européens (article L. 2112-2-1 du CCP tel qu’issu de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 dite « Climat et résilience »).

Clauses d'insertion sociale dans les marchés publics : où en sont les acheteurs publics ?
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Les acheteurs publics seront-ils prêts ?

La prise en compte de considérations sociales dans l’achat public n’est pas nouvelle : beaucoup d’acheteurs publics se prêtent à l’exercice depuis des années, que ce soit au sein de l’État, des collectivités locales que des hôpitaux publics, pour construire une politique d’achat à impact social. Depuis 10 ans, selon les données de l’Observatoire économique de la commande publique (OECP), la part de clauses sociales (en nombre) dans les marchés publics est passée de 12 % en 2014 à 22,3 % en 2022. Il y a de belles réussites.
La mobilisation de considérations sociales d’insertion induit l’implication de tout un écosystème. Dans cet écosystème, le facilitateur des  clauses sociales, dédié à l’insertion, est devenu un  partenaire indispensable par son rôle d’interface entre les multiples acteurs concourant à la réussite du dispositif. Des réseaux de facilitateurs, le plus souvent issus du service public de l’emploi local, sont aujourd’hui bien constitués et utilisés pour la mise en œuvre des clauses sociales. Les CCAG de 2021 rappellent le rôle primordial de ces facilitateurs1.
Mais la prise en compte de ces conditions sociales reste au global limitée. Il s’agit d’un « agrément » dans une politique d’achat à la marge d’autres prises d’initiative, notamment sur le plan environnemental. Forcé de reconnaitre aussi que c’est souvent l’apanage des acheteurs publics dont l’organisation achat a atteint un niveau de maturité suffisant pour adresser sérieusement le sujet et qui bénéficient de l’impulsion politique de leur gouvernance.
Elle reste également cantonnée à des types de marchés publics regardés comme se prêtant davantage à l’exercice : notamment en matière de travaux, d’entretien d’espaces verts, de nettoyage des locaux, etc. alors qu’il n’y aurait pas d’obstacle à  l’intégration de telles clauses y ompris dans les marchés publics de prestations intellectuelles.

Des obligations juridiques pour une marche forcée ?

La clause sociale consiste en une exigence contractuelle imposée par l’acheteur public au titulaire de réserver une partie des heures générées pour son exécution à une action d’insertion de publics éloignés de l’emploi.
La grande nouveauté issue des échéances sus rappelées, c’est l’obligation juridique de prévoir de telles clauses pour les marchés supérieurs au seuil européen, et la nécessité associée de suivre ses résultats pour démontrer la conformité (le nouvel article L. 2112-2-1 du CCP2 prévoit aussi des exceptions justifiant de ne pas y recourir).
Contrainte juridique car l’acheteur public devra donc systématiser, dans la préparation de ses marchés publics et le sourcing, la recherche d’opportunités permettant d’exploiter une clause sociale (exigence contractuelle) relevant d’une considération sociale.
Concrètement, il s’agira de lister les types de clauses sociales susceptibles d’être utilisées pour les intégrer dans un marché, toujours en lien avec son objet3, tout étant conforme à ses objectifs achats. La Direction des affaires juridiques de Bercy a publié récemment une fiche intitulée « Clauses et recommandations générales pour des achats publics durables », de nature à éclairer les acheteurs publics dans ce délicat objectif.

Le risque d’une adhésion imparfaite des acheteurs publics les moins dotés

Cependant, l’adhésion de tous les acheteurs publics, en particulier les moins dotés en moyens et/ou matures dans leur organisation achat, n’est pas acquise : le premier obstacle à l’intégration de considérations sociales dans les marchés publics, c’est la difficulté pour l’acheteur public d’identifier des marchés qui pourraient se prêter à l’exercice. Dans les services, il y a des oppositions spontanées : sur les marchés publics communément passés, il ne serait pas possible d’intégrer des clauses sociales car sans lien évident avec l’objet. C’est sans doute le conservatisme atavique des acheteurs publics qui conduit à ces prises de position, mais elles peuvent en partie être bien fondées : s’il y a des facilitateurs, c’est précisément parce qu’il faut identifier les marchés susceptibles de se prêter à des clauses favorisant l’intégration des personnes éloignées de l’emploi.
Naturellement, pour un acheteur public, toujours en retard dans le renouvellement de son marché, l’étude préalable des besoins intégrant la possibilité d’introduire une clause sociale ne sera pas forcément priorisée et la contrainte juridique n’y changera pas grand-chose.
L’obligation juridique, issue de la loi « Climat et résilience », ne concernera certes que les marchés publics supérieurs au seuil européen, mais elle devrait obliger tous les acheteurs publics à porter ces réflexions impactant la structure de leur organisation. Des moyens seront nécessaires pour appréhender efficacement le sujet. Sinon, les exceptions prévues au II de l’article L. 2112-2-1 du CCP risquent de devenir en réalité le principe, et l’intégration d’une clause sociale continuer à être la véritable exception.

Maître Pierre-Ange Zalcberg, Avocat Of Counsel (Nemrod Avocats)


1. Par exemple, article 20.1.4.1 du CCAG-FCS : « Dans le cadre du marché, le facilitateur a pour mission notamment :

  • d’accompagner le titulaire dans la définition du besoin de recrutement (nature du poste, compétence…) et de lui proposer les modalités les plus appropriées de mise en œuvre de la clause d’insertion (embauche directe, mise à disposition, etc) ;
  • d’identifier les publics susceptibles de répondre au besoin du titulaire ;
  • d’organiser le suivi des publics ;
  • de mesurer et de communiquer auprès du maître d’ouvrage et du titulaire sur les réalisations obtenues dans le cadre du marché. »

2. « I.- L’acheteur prévoit des conditions d’exécution prenant en compte des considérations relatives au domaine social ou à l’emploi, notamment en faveur des personnes défavorisées, dans ses marchés dont la valeur estimée est égale ou supérieure aux seuils européens figurant dans un avis annexé au présent code.

II.- L’acheteur peut décider de ne pas prévoir de conditions d’exécution prenant en compte des considérations relatives au domaine social ou à l’emploi dans l’un des cas suivants :

  • 1° Le besoin peut être satisfait par une solution immédiatement disponible ;
  • 2° Une telle prise en compte n’est pas susceptible de présenter un lien suffisant avec l’objet du marché ;
  • 3° Une telle prise en compte est de nature à restreindre la concurrence ou à rendre techniquement ou économiquement difficile l’exécution de la prestation ;
  • 4° Lorsqu’il s’agit d’un marché de travaux d’une durée inférieure à six mois.

III.- Lorsque, pour les marchés mentionnés au I, l’acheteur ne prévoit pas de conditions d’exécution prenant en compte des considérations relatives au domaine social ou à ’emploi, il en indique les motifs dans les documents conservés en application de l’article L. 2184-1 lorsqu’il agit en tant que pouvoir adjudicateur ou par tout moyen approprié lorsqu’il agit en tant qu’entité adjudicatrice. »

3. Conseil d’État, 25 mai 2018, « Nantes Métropole », n° 417580.

Auteur :

Pierre-Ange Zalcberg

Pierre-Ange Zalcberg

Avocat Of Counsel (Nemrod Avocats)