Tiers financement de la rénovation énergétique : peu de collectivités intéressées

Publié le 23 avril 2024 à 10h30 - par

Confier la rénovation énergétique de ses bâtiments à un tiers investisseur, avec paiement différé grâce aux économies d’énergie, est séduisant… mais compliqué. Les futures lauréates de l’appel à projets Actee/Ademe seront-elles d’utiles pionnières ?

Tiers financement de la rénovation énergétique : peu de collectivités intéressées
© Par Curios - stock.adobe.com

La loi du 30 mars 2023 permet aux collectivités locales d’expérimenter pour 5 ans le tiers financement pour leurs travaux de rénovation énergétique de bâtiments. Le principe paraît simple : confier à un partenaire (entreprise, banque, syndicat d’énergie, EPCI…) le coût des études et travaux, puis rembourser grâce aux économies d’énergie réalisées. Dans les faits, plus d’un an après, et malgré le décret d’application du 3 octobre 2023 relatif aux marchés globaux de performance énergétique à paiement différé (MGPEPD)1, les collectivités n’y sont pas allées. Trop compliqué !

Des outils et un soutien financier

Alors, l’Ademe et Actee (Action des collectivités territoriales pour l’efficacité énergétique) ont lancé le 9 février 2024 l’appel à projets (AP) AMO CPE (Assistance à maîtrise d’ouvrage Contrats de performance énergétique) qui se clôture le 28 juin prochain. Une vingtaine de candidatures – à compléter – étaient déposées au 12 avril : un tiers par des EPCI et deux tiers par des communes. Une quinzaine de lauréats sera retenue le 21 septembre prochain, avec à la clé 1,2 M€ d’aides à se partager. Antonin Bell, chargé de mission Actee, ne nie pas « un dispositif compliqué ». Alors, pour faciliter les candidatures, l’AP s’accompagne d’outils : une fiche de décryptage du dispositif, un cahier des charges pour recruter une AMO pour passer un CPE, deux clausiers2 pour mettre en place un CPE avec ou sans tiers financement.

Côté soutien financier, « le premier lot financera jusqu’à 30 % plafonnés du salaire brut d’un agent pour préparer, passer et suivre le marché », note Antonin Bell. Le second octroiera jusqu’à 50 % plafonnés du coût HT des outils de mesure et de suivi des consommations énergétiques, le troisième jusqu’à 80 % du coût HT plafonné de l’AMO pour la passation du marché. Tous les lauréats accéderont à des experts : Cerema, FinInfra (Bercy). FinInfra analysera les études préalables des collectivités locales et donnera son avis sur le MGPEPD.

« Le critère paiement différé ne peut expliquer à lui seul le recours à un MGPEPD, analyse Cécile Fontaine, cheffe du service juridique à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). L’intérêt, c’est aussi le volet performance énergétique, le recours induit à une AMO, etc. ».

Pourquoi pas ?!

Attention, « prometteur, le MGPEPD n’est pas la solution miracle, reconnaît Antonin Bell. Certains Mgpe se feront sans paiement différé, les autres financements – fonds vert, intracting, prêt bancaire… – pouvant suffire ». Mais lorsque le paiement des travaux sera lissable sur dix ans par exemple, le MGPEPD sera adapté. « Avec lui, si la baisse des consommations d’énergie est moindre que prévu, la rémunération du tiers investisseur pourra être abaissée, alors que c’est impossible quand on paye tout à réception », explique Antonin Bell.

Les collectivités sont prudentes. À la métropole de Rouen, la société publique locale (SPL) Altern, candidate à l’AP, n’a pas répondu à nos questions.

Le Département de l’Aveyron n’exclut pas, lui, de postuler – il étudie cette hypothèse en ce moment – pour mettre en œuvre son Schéma directeur énergie carbone (SDEC) visant la rénovation énergétique de 21 collèges et qui sera terminée fin 2024. « Ce SDEC fera intervenir une AMO (consultation en mai prochain) pour étudier différents scenarii de financement : tiers financement, mais aussi Actee, fonds vert, dotation de soutien à l’investissement des départements », précise Sébastien Goubelle, directeur des Collèges au Département.

Le syndicat d’énergie du Gers n’a pas tranché non plus. Engagé depuis 2022 dans des audits énergétiques d’écoles pour ses communes adhérentes, il doute des financements possibles pour les travaux : « La préfecture nous avait orientés sur le fonds vert… dont le gouvernement vient d’annoncer la réduction, précise le DGS Jean-Michel Walcker. En même temps, une clause dérogatoire réglementaire semble en discussion à Paris pour porter à 90 % le taux d’aide maximum (ndlr : contre 80 % d’ordinaire). Quel complément sera ensuite à financer ? Nous discutons actuellement avec la Banque des territoires pour un prêt à taux préférentiel ». Si ce prêt est obtenu, les économies d’énergie sur chaque facture le rembourseront. Cela faisant beaucoup de si, Jean-Michel Walcker ne ferme pas la porte aux MGPEPD, mais attend que son Ademe régionale lui explique les règles du jeu. Cécile Fontaine rappelle que ces expérimentations laissent le droit à l’erreur…

Mais qui peut être le tiers investisseur ? Pour des montants de travaux faibles à moyens, « l’entreprise titulaire du marché, laquelle peut contracter un crédit classique auprès de sa banque », précise Antonin Bell. Pour de grosses opérations, ce titulaire peut créer une société de projet finançant l’opération. Un syndicat d’énergie peut aussi être tiers investisseur ou entrer au capital d’une société de projet. Mais « peut-il embaucher un ingénieur bâtiment pour des bâtiments communaux ? », interroge Jean-Michel Walcker. « Rien ne s’y oppose, cela relève de son organisation interne », selon Antonin Bell. « Peut-il financer les travaux des communes ? », continue le DGS. « Tiers investisseur, le Syndicat préfinance de facto ces travaux pour les communes ayant un MGPEPD », répond le chargé de mission. À la FNCCR, on demande déjà un prolongement de l’expérimentation pour cinq ans supplémentaires.

Le programme Actee et France Urbaine ont organisé le 14 février 2024 un webinaire MGPEPD, à voir en replay, destiné à leurs réseaux respectifs et portant sur les nouveaux marchés globaux de performance énergétique à paiement différé. Pour plus de renseignements sur les MGPEPD, vous pouvez également contacter la FNCCR.

Frédéric Ville


1. Celui-ci a précisé le contenu de l’étude préalable et de l’étude de soutenabilité budgétaire, avant adoption d’un MGPEPD.

2. « Kits juridiques » avec pièces de marché prérédigées.


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