L’achat responsable, politique publique ou pratique à part entière ?

Publié le 28 août 2018 à 14h10 - par

Longtemps considéré comme un acte juridique, l’achat public a lentement mais sûrement évolué pour devenir tantôt durable, responsable et social, tantôt innovant voir tout à la fois. Mais chaque acheteur public sait aussi, qu’au-delà de ces orientations légitimes, l’achat public demeure toujours un acte budgétaire.

L'achat responsable, politique publique ou pratique à part entière ?

Si l’achat public innovant occupe depuis de nombreux mois les devants de la scène, n’oublions pas les enjeux fondamentaux associés à l’achat responsable ! Ce  dernier se définit ainsi comme tout achat intégrant dans un esprit d’équilibre entre parties prenantes des exigences, spécifications et critères en faveur de la protection et de la mise en valeur de l’environnement, du progrès social et du développement économique.

L’acheteur recherche alors l’efficacité, l’amélioration de la qualité des prestations et l’optimisation des coûts globaux (immédiats et différés) au sein d’une chaîne de valeur et en mesure l’impact.

La publication récente du baromètre 2018 des achats responsables ObsAR (sondage annuel réalisé avec l’appui d’OpinionWay) et son caractère représentatif (270 organisations – 64 % d’entreprises et 36 % d’administrations) confirment cette tendance tout en démontant la nécessité de passer la vitesse supérieure.

Une réelle prise de conscience… mais…

Toutes les enquêtes démontrent de la part du citoyen, qu’il agisse en tant que consommateur ou en tant qu’acteur économique, une réelle sensibilité aux questions à caractère social, sociétal ou environnemental. Il est en effet difficile d’être contre un environnement de qualité, l’accompagnement de personnes en difficulté ou encore la prise en compte de préoccupations sociales.

Au-delà de cette perception individuelle, la diffusion facilitée de l’information conduit l’acheteur public à disposer d’un très bon niveau de connaissance des réglementations, des référentiels et des bonnes pratiques en matière d’achats responsables, en facilitant un premier niveau de mise en œuvre. Malgré ce contexte favorable, de nombreux freins demeurent évoqués au sein de cette enquête aussi bien au niveau des entreprises que de l’administration : manque d’indicateurs de mesure, objectifs contradictoires, contraintes budgétaires ou encore manque d’expertise interne.

Une démarche qui doit être intégrée au plus haut niveau de décision !

Les achats responsables ne peuvent s’entrevoir de manière pérenne que par l’intégration de cet enjeu au plus haut niveau des entreprises ou des collectivités publiques. La conduite du changement ainsi engagée doit alors reposée sur :

  • La définition des objectifs liés à la protection et à la mise en valeur de l’environnement, au progrès social et au développement économique dans sa politique achat.
  • La mobilisation et la recherche de l’adhésion de l’ensemble des métiers de l’organisation (prescripteur, acheteur, approvisionneur, juriste…). Tous les métiers étant impactés par une telle politique achat.
  • L’identification d’un référent interne, incarnant la démarche, en maitrisant les processus, les outils et acteur de la communication interne et externe associée.
  • La mise en place d’un système de veille (réseaux professionnels, salons, comités normatifs…).
  • Le déploiement et suivi d’indicateurs fiables.

Ainsi, si toutes les organisations achats professionnelles ont parfaitement intégré les dimensions juridiques, réglementaires et budgétaires, peu d’entre elles ont réussi au cœur de ces indicateurs à intégrer le plus important d’entre eux ! Le calcul et suivi en coût global. Selon le baromètre de l’ObsAR, 59 % des acheteurs mettent en œuvre de manière systématique ou occasionnelle une approche en coût global, contre 71 % en 2017. Une baisse due vraisemblablement à la meilleure perception de la complexité de la notion de coût global.

L’analyse en coût global, un sujet de Data Scientist ?

Le seul moyen pour définitivement faire de l’achat responsable, l’acte d’achat économiquement le plus efficient, est d’approcher l’ensemble de ses achats de manière structurée et maîtrisée en coût global. Le coût global d’acquisition ou « total life cost » (TLC), comprend généralement le prix d’acquisition, le coût de passation de la commande, le coût d’utilisation et/ou de possession du produit (exemple : logistique), le  coût de fonctionnement et le coût de destruction du produit. On peut également y ajouter les coûts relatifs à la non-qualité et au risque RSE. Passé ce stade de la définition se pose la question de l’application, dans la durée, d’une équation qui parfois et encore pour de nombreuses structures publiques comporte de nombreuses inconnues.

Ainsi certains établissements publics, comme l’UGAP, ont grandement avancé sur ce sujet en déployant une stratégie intégrant désignation et formation d’un référent, accompagnement spécifique de ses 75 acheteurs ou encore déploiement d’outils spécifiques permettant la mesure, son enregistrement et son ajustement dans le temps.

Des raisons d’y croire…

L’UGAP, comme évoqué précédemment, fait partie des acteurs en première ligne sur le sujet et porteur d’un discours positif et constructif. L’occasion nous était ainsi donné de recueillir au cours de cet été le témoignage d’Alice Piednoir, Responsable développement durable et achats responsables au sein de la centrale d’achat.

Quelle est votre perception du niveau d’engagement des acheteurs publics ?
Alice Piednoir : « Les achats responsables sont entrés dans une phase de maturité. Les donneurs d’ordres privés et publics intègrent les aspects de développement durable lors de leurs achats depuis plusieurs années. Cependant, il reste encore des éléments à clarifier sur la forme et sur les thématiques prises en compte.

Sur la forme, la récente jurisprudence a clarifié le nécessaire lien avec l’objet du marché, pour les achats publics. Cela peut être frustrant de ne considérer que les aspects responsables des seuls produits, ou prestations ciblées par la procédure, mais la valorisation des éléments de développement durable ne peut pas porter sur la démarche RSE globale des entreprises candidates. À l’UGAP, nous réfléchissons en termes d’impact lors du cycle de vie pour adapter les questions posées aux candidats à chaque produit ou service concerné.

Sur les thématiques à prendre en compte émergent le coût global, les délais de paiement, l’impact de la Loi Sapin II ou encore l’encrage de la démarche via une labellisation. »

Pourriez-vous nous développer en quelques mots ces quatre thématiques ?
A P : « Une réflexion sur le coût global est importante dans une approche réelle du mieux disant. Nous veillons à intégrer ces éléments lors de la rédaction des appels d’offres, même si nous n’achetons pas pour nos propres besoins. En faisant apparaitre distinctement le prix d’acquisition et le cout d’utilisation, nous adressons un message fort à l’amont industriel et également à nos clients publics.

Concernant les délais de paiement, la centrale d’achat public s’applique à payer ses fournisseurs à 28 jours environ et propose des solutions comme l’affacturage collaboratif pour améliorer la trésorerie des PME notamment. Très attendue, la loi Sapin II apporte, quant à elle, une nouvelle dimension aux achats responsables en ancrant ces obligations de vigilance dans le corpus réglementaire.

Depuis maintenant 6 ans, l’UGAP dispose du label Relations Fournisseurs Responsable. Au travers de l’évaluation externe avec auditeur et de la délibération d’un jury d’experts sur notre dossier, nous inscrivons notre démarche responsable dans la durée aussi bien vis-à-vis de nos clients, fournisseurs que de nos collaborateurs fortement impliqués dans la démarche. »

Comment décrocher cette deuxième étoile en matière d’achats responsables ?

En conclusion, il semble, avec l’expérience et un peu de recul que l’idée de faire de l’insertion sociale, de la performance en matière de protection de l’environnement ou encore de l’innovation des politiques publiques, rencontre à moyen terme certaines limites. Le baromètre des achats responsables semble en témoigner. En effet, la mise en place d’une politique d’achats responsables demeure une priorité pour 4 organisations sur 10 mais ce chiffre est désormais stable. Ainsi la vision trop « politique » de cet enjeu pourrait en limiter le développement. Se pose ainsi la véritable question qui est de faire de l’achat responsable, de l’achat tout simplement !

L’achat, qui plus est public, doit être par essence responsable tout comme aujourd’hui toute entreprise se doit d’être innovante. Intégrer ces enjeux, processus, méthodologies, outils au sein des cursus de formation achat, au sein des critères de recrutement RH mais également au sein des indicateurs de mesure de performance constitue vraisemblablement la solution.

Une démarche de long terme plus coûteuse au début (professionnalisation, formation continue, nouveaux métiers liés à la Data, systèmes d’information performant et souples) mais tellement plus efficiente à moyen terme. Une approche disruptive mais citoyenne qui devra conduire à une concentration de l’achat public sur quelques dizaines d’acteurs locaux, régionaux et nationaux amenés tous à démontrer le caractère « responsable » de leurs achats.

Sur ce point, la question d’imposer le label RFAR à toute structure de mutualisation de l’achat public dépassant un seuil de volume d’achats (et donc susceptible d’impacter durablement l’économie) doit désormais être posée au plus haut niveau.

Sébastien Taupiac,
Directeur Santé à l’UGAP


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