« Il faut reconstruire le dialogue entre les collectivités et les assureurs », a martelé Alain Chrétien, vice-président de l’Association des Maires de France (AMF) et maire de Vesoul (Haute-Saône, 15 892 habitants), le 24 septembre 2024, lors de la présentation à la presse du rapport sur l’assurabilité des biens des collectivités locales qu’il a produit avec l’ancien président de Groupama, Jean-Yves Dagès. Car entre les désordres climatiques et les émeutes de 2023, leurs relations se sont dégradées, au point que le nombre de maires furieux croît de semaine en semaine devant la hausse vertigineuse des franchises, les résiliations sans explication des contrats d’assurance, voire l’absence de réponse aux appels d’offres. D’où, pour les élus, des risques quotidiens (un gymnase ou une église qui brûle, un accident dans une école…) pouvant entraîner leur responsabilité pénale et la rupture du service public.
Comment en est-on arrivés là ? Dans les années 2010, les assureurs se sont livrés à une guerre des prix qui a fait baisser les primes d’environ 7 %, ce qui a certes profité aux finances des collectivités, mais a parallèlement fragilisé le marché. À la fin de la décennie, l’explosion des coûts relatifs aux dommages liés à la crise climatique (retrait-gonflement des argiles, pluies diluviennes, recul du trait de côte…), passés de 2 milliards d’euros par an à 20 milliards d’euros en 2022, a quasiment stoppé le marché de l’assurance des collectivités. Et les émeutes de 2023 « se sont surajoutées à ce contexte ».
Parmi les vingt-cinq propositions du rapport, figure l’adaptation du droit de la commande publique. Le plus souvent, les contrats d’assurance des collectivités sont passés selon une procédure d’appel d’offres ouvert. Or, l’offre doit correspondre parfaitement à la demande qui doit être le plus précise possible, et les assureurs doivent répondre très précisément au cahier des charges. La rigidité du Code des marchés publics, encadré par l’Union européenne, ne permet pas de dialoguer avec l’assureur avant de contracter. « La procédure de marchés négociés serait préférable, même si elle est plus lourde et plus complexe, car elle permet d’ajuster l’offre à la demande, a précisé Alain Chrétien. Nous essaierons d’opérer cette adaptation à réglementation constante ». En effet, le Code des marchés publics prévoit une procédure négociée pour des « cas complexes », ce qui pourrait conduire à une solution. Mais le guide pratique des marchés publics de Bercy dissuade les collectivités d’avoir recours à la procédure négociée ! Pour améliorer le dialogue avec les assureurs, il faudrait également renforcer l’acculturation au risque des collectivités, qui devraient s’atteler à un travail de recensement de leur patrimoine et de priorisation de leurs risques et nommer un gestionnaire de risque mais aussi harmoniser les référentiels d’assurance public et privé, afin de « parler la même langue que les assureurs ».
Réunion tripartite
Autre point important proposé par le rapport : la mutualisation du risque émeutes. En effet, certaines collectivités risquent de ne plus être assurées parce qu’elles sont « sujettes aux émeutes de façon plus récurrente que les autres ». Mais il faut éviter que ce risque pèse exclusivement sur les élus de ces communes. Et pas question de créer un impôt pour faire payer les surcoûts des primes d’assurance aux citoyens qui sont déjà très sollicités. Les rapporteurs préconisent d’engager une réflexion tripartite avec France Assureurs, l’État et les collectivités locales, pour construire un dispositif de mutualisation du risque exceptionnel. Il pourrait s’inspirer du modèle du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (Cat Nat) ou du fonds de gestion de l’assurance des risques d’attentat et d’actes terroristes (Gareat). Le maire de Vesoul souhaiterait qu’une mission d’information étudie ainsi la possibilité d’étendre le Gareat au risque d’émeutes. Pour Jean-Yves Dagès, il faut s’inspirer du modèle des entreprises qui ont une meilleure culture de la prévention, ce qui permet de faire baisser la prime et de trouver des assureurs.
Il est donc « urgent de mettre en œuvre les recommandations du rapport », pour garantir au plus vite une capacité de s’assurer aux collectivités. En mai dernier, la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales, Dominique Faure, avait annoncé que l’État étudierait la possibilité de créer un fonds portant sur les risques sociaux (émeutes et violences urbaines), alimenté par les assureurs. « Nous souhaitons très rapidement une rencontre, ici à l’AMF, avec le nouveau ministre de l’Économie, la nouvelle ministre des Collectivités territoriales et les assureurs, pour mettre en place un dialogue tripartite au niveau politique car le travail technique a commencé au niveau des administrations ». Le Sénat pourra être associé à ces réflexions. Le sénateur de la Meurthe-et-Moselle, Jean-François Husson, a lui aussi étudié le risque assurance des collectivités « et nos travaux sont très proches », a constaté Alain Chrétien.
Martine Courgnaud – Del Ry