Objectif ZAN : “Valorisons ce qui existe !”

Publiée le 19 septembre 2022 à 8h55 - par

La loi Climat et Résilience est venue fixer un objectif de zéro artificialisation nette des sols, qui va nécessiter de repenser l'ensemble des politiques territoriales dans un avenir très proche. Entretien avec Ulrich Rodrigo, Directeur Général Adjoint de l'aménagement durable et de l'animation du territoire au sein de la commune de Bègles (Gironde).
Objectif ZAN : “Valorisons ce qui existe !”

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L'objectif Zéro artificialisation nette (ZAN)
L'objectif Zéro artificialisation nette (ZAN)
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Juriste de formation, spécialisé en droit public et plus particulièrement en droit de l’urbanisme, Ulrich Rodrigo est aussi titulaire d’un troisième cycle en droit public et en politique de développement des collectivités locales. Consultant formateur et chargé d’enseignement à l’université de Bordeaux, il anime régulièrement des séminaires à destination des organismes publics ou parapublics et a collaboré à différentes tables rondes sur les thématiques liées à l’aménagement du territoire. Expert WEKA, il est membre du comité de direction scientifique de la collection « Aménagement des territoires ».

L’objectif affiché est de diminuer le rythme de grignotage des espaces naturels par la ville de moitié d’ici 2030, pour arriver à zéro d’ici 2050. Quelles difficultés les collectivités vont-elles rencontrer dans la mise en œuvre du ZAN ? Le calendrier serré notamment est-il tenable ?

L’artificialisation des sols et ses conséquences sont dénoncées depuis près de 20 ans. En 2000, la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) prônait déjà un équilibre entre urbanisation et préservation des espaces (article 1er du texte)… Il y a de fait, un consensus partagé sur cet enjeu même si les disparités sont importantes dans ce domaine. Le fameux « un département disparaît tous les 7 ans » relève davantage du cri d’alerte que d’une réalité tangible.

Toutefois et au-delà de la bataille des chiffres, le sujet de la sobriété foncière est central. À lui seul, il embrasse la quasi-totalité des problématiques contemporaines de l’aménagement (enjeux environnementaux, étalement urbain, mobilité, inclusion sociale, emploi, formes urbaines…). Dès lors et comme pour tout sujet complexe, la principale difficulté ne vient pas de l’adhésion aux valeurs défendues par le ZAN (manifestement partagées par les décideurs locaux) mais des moyens d’y parvenir et indirectement de la hiérarchisation entre les objectifs évoqués ci-dessus.

Selon moi, la question du calendrier est secondaire. 2032 et 2050 sont des échéances ambitieuses certes, mais il y va davantage de la route à parcourir que du point à atteindre (je rejoins Orelsan : « ce qui compte c’est pas l’arrivée mais la quête »). Je suis conscient des difficultés importantes tant en matière de planification et d’intégration de cet enjeu dans les documents locaux d’urbanisme (PLUi ou SCoT notamment) qu’en matière d’équilibre des territoires. Sur le premier point, les documents sont, pour certains, encore en cours d’intégration des lois ALUR (pour l’accès au logement et un urbanisme rénové) et Élan (portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique). Depuis 10 ans, l’instabilité législative entraîne des évolutions permanentes des documents de planification qui cherchent davantage à intégrer les nouveaux cadres règlementaires qu’à dessiner un projet de territoire. L’instabilité est in fine contreproductive, éloigne les élus des enjeux et elle est source de fragilité juridique. Sur le second point, j’anticipe les mêmes difficultés qu’en matière de risques, à savoir admettre la neutralisation d’espaces au bénéfice du développement d’autres. Cela revient à faire émerger un projet politique commun et partagé… Je suppose donc que le consensus sera délicat à l’instar des SCoT.

La sobriété foncière n’est pas une contrainte mais un levier pour réinventer de nouvelles formes d’habiter.

Parmi les principaux leviers de lutte contre l’artificialisation des sols, la définition d’un nouveau modèle d’urbanisation semble inévitable. Comment réinventer et optimiser l’usage du bâti existant ?

La sobriété foncière n’est pas une contrainte mais un levier pour réinventer de nouvelles formes d’habiter. Alors que nos modes de consommation évoluent en intégrant de manière systémique le « seconde main », nous restons sur un schéma daté en matière de production de logements. Nous constatons au quotidien des centres-villes désaffectés alors que des zones pavillonnaires périphériques émergent. Il est indispensable d’appuyer nos projets de développement sur l’existant, à commencer par le bâti. Pourquoi démolir ? Cette question basique doit être un paradigme. Sur ce point, la fiscalité semble devoir être retravaillée. J’observe plus de dispositifs très favorables au neuf (exonération temporaire de la taxe foncière, Scellier, Duflot, Pinel…) qu’en faveur de la réhabilitation (il y en a malgré tout quelques-uns…).

Les outils en faveur de la densification existent déjà pour les PLU (seuil de densité minimale notamment) et le Code admet même de nombreuses dérogations si elle n’a pas été anticipée (minoration des règles de stationnement, libération des conditions d’implantation ou de hauteurs…). Cependant, force est de constater leur faible mise en œuvre. Le volet règlementaire devra donc aussi soutenir cette démarche en sécurisant les droits à construire pour écarter le phénomène NIMBY (not in my backyard) et, d’un certain point de vue, épauler les élus locaux.

Les finances pourraient, à n’en pas douter, être un facteur incitatif déterminant même si le contexte économique des collectivités est éminemment difficile, tant sur le plan fiscal comme évoqué qu’à travers des aides ciblées comme c’est déjà le cas avec les PIG (programmes d’intérêt généraux). L’État devra donc jouer un rôle moteur.

En conclusion, valorisons ce qui existe !

L’application de l’objectif ZAN ne risque-t-il pas d’aggraver la crise du logement ? Pourra-t-on toujours répondre à la demande tout en réduisant la consommation d’espace ? Faut-il contenir le développement de la maison individuelle, pourtant encore ancrée dans la culture française ?

On l’a vu à travers des positions médiatisées, le débat sur le ZAN amène la question de la maison individuelle et indirectement du lotissement. Ce sont des discussions passionnées, construites sur un modèle historique français dans lequel on oppose logement collectif et logement individuel. La crise du logement est en grande partie due à une décorrélation entre la qualité de l’offre (incluant son prix) et les envies/capacités de la demande. Ce n’est pas qu’un sujet quantitatif.

Il est juste qu’une majorité significative des Français aspire à la propriété d’une maison individuelle et à ce jour, nombre d’entre eux sont contraints à l’éloignement et au périurbain. Donc ils participent à l’artificialisation des sols. Toutefois, la maison individuelle ne génère pas intrinsèquement une forme urbaine lâche. Prenez les échoppes bordelaises, leur densité est plus importante que celle des grands ensembles construits au cœur de nappes de parking.

Ce qui m’intéresse en tant qu’acteur de l’aménagement, c’est de comprendre la prédilection pour l’habitat individuel. Qu’est-ce que cette forme de logement a que n’a pas le logement collectif ? Un espace extérieur privatif, une individualisation, une capacité d’évolution… Ce sont des éléments à prendre en compte dans les projets collectifs. L’aménagement public doit avant tout se réapproprier le sujet de la qualité du logement pour donner envie d’adhérer à de nouveaux modes d’habiter. Les générations actuelles sont prêtes pour de nouveaux modèles. À nous de leur apporter des réponses crédibles.

Propos recueillis par Mariam El Habib

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