Nicolas Pernot, DGS de la Région Grand Est : « Poursuivons la transition des administrations de contrôle à celle d’accompagnateur »

Publié le 20 avril 2020 à 8h35 - par

Face à la gestion de la crise sanitaire liée à la propagation du Covid-19, les collectivités doivent se coordonner pour maintenir une continuité d’activité et protéger les agents. Nicolas Pernot, Directeur Général des Services de la Région Grand Est, répond à nos questions et nous fait part de son expérience.

Nicolas Pernot, DGS de la Région Grand Est : "Poursuivons la transition des administrations de contrôle à celle d’accompagnateur"

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Covid-19 : des acteurs publics face à la crise sanitaire
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Quelles sont les premières urgences que vous avez eues à gérer devant la crise du coronavirus, eu égard à votre type de collectivité et au territoire ? Quels sont les services publics essentiels que vous maintenez ?

Nicolas Pernot, DGS de la Région Grand Est

Nicolas Pernot

Les premières urgences à gérer pour la Région ont débuté assez tôt dans la chronologie de cette crise, en raison de l’existence du cluster dit de Mulhouse, alors que bien sûr il n’existait pas de référentiels sur lesquels s’appuyer autre que le plan national de prévention et de lutte « Pandémie grippale » élaboré après l’épisode de la grippe A (H1N1) de 2009. Elles ont concerné la protection de nos personnels et de nos usagers, avec dès fin février, le maintien à domicile des agents revenant de zones à risques puis la gestion de la fermeture des lycées concernés par ce cluster, avant que cette mesure n’ait été étendue à l’ensemble des établissements scolaires et des bâtiments régionaux.

Dans le cadre du plan de continuité de l’activité et du déploiement rapide du télétravail, aucune Direction n’a cessé d’exercer ses missions même si, dans certains champs, celles-ci sont réduites, ou à l’arrêt dans les lycées ou bien sûr pour le transport scolaire.

Du fait de leurs domaines de compétences et de leurs responsabilités, notamment en matière de développement économique au sens large, de cohésion sociale et territoriale, du fait aussi de leur rôle d’animation et d’ensemblier des énergies locales, les Régions sont en première ligne pour apporter des réponses adaptées, concertées, fortes et immédiates aux effets de la crise.

Ainsi les services de la Région Grand Est demeurent fortement mobilisés pour assurer la mise en œuvre des mesures et initiatives décidées par l’exécutif régional depuis le début de la crise*. À noter que dès début mars, un recensement des missions prioritaires au fonctionnement de la collectivité avait été opéré par la DRH, les agents concernés étant prioritaires pour l’équipement en PC portable, kit VPN, de manière à télétravailler dans les meilleures conditions.

À ce stade dans quels domaines considérez-vous que votre organisation était prête à réagir au mieux et ce qu’il faudrait améliorer, voire créer ?

Notre double organisation, par compétence et territoriale avec notamment nos 12 Maisons de la Région réparties sur l’ensemble du territoire régional, nous permet d’être présent et réactif sur le terrain, de répondre sans délai aux besoins spécifiques des acteurs locaux et d’avoir ainsi une gestion très opérationnelle de la crise, que ce soit sur le plan des mesures sanitaires (cf. ci-dessous), économiques ou sociales.

  • L’existence de notre Mission Santé, dirigée par un ancien cadre de santé des hôpitaux et intégrée dans le pôle Cohésion des territoires et Proximité, a été un atout majeur dans la réponse sanitaire urgente à apporter. Une cellule de crise réunissant la Mission Santé, les Maisons de la Région et la Mission administrative et financière a été mise en place pour assurer la collecte de matériel médical sur le territoire régional (plus de 1,3 million de masques et du matériel de protection donnés par les entreprises et les lycées du Grand Est, distribués via les Maisons de la Région aux centres hospitaliers, Ehpad, structures d’accueil de personnes handicapées, associations d’aide à domicile, foyers, etc.) et la commande massive de masques chirurgicaux (5 millions de masques chirurgicaux commandés auprès de chaînes de productions étrangères).
  • La qualité et la dynamique de nos relations transfrontalières avec nos partenaires des régions et États voisins. Une cellule de contact a été établie dès le 12 mars à l’initiative de la Région, avec l’appui du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, entre la Préfecture de région, l’ARS et les autorités des trois Länder allemands chargées de coordonner la coopération transfrontalière.
  • Sur le plan médical, le 19 mars, une demande d’entraide a été formulée auprès des Länder frontaliers (Bade Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat, Sarre), conjointement avec la Préfecture et l’ARS, pour organiser le transfert de patients vers l’Allemagne, débuté les 21 et 22 mars. Des échanges similaires ont eu lieu avec les autorités luxembourgeoises. La solidarité de nos partenaires frontaliers et européens a ainsi conduit à ce jour au transfert de près de 200 patients des territoires alsacien et lorrain vers des hôpitaux du Luxembourg, d’Allemagne, de Suisse et d’Autriche.

La cellule de contact assure aussi le suivi des questions liées notamment aux droits des travailleurs frontaliers et des frontaliers habitués à traverser la frontière pour être pris en charge médicalement. En parallèle, la Région a accompagné le réseau des structures frontalières, qui informe les frontaliers sur leurs droits. Dès le 9 mars, la plateforme de ressources Frontaliers Grand Est a mis en ligne des questions/réponses sur la base d’informations fiabilisées auprès des partenaires allemands, belges, luxembourgeois et suisses, et mutualisées avec les autres structures frontalières. Plus de 100 000 visiteurs se sont déjà appuyés sur ces ressources.

En interne, notre Secrétariat général, en lien notamment avec la DRH, le Service de médecine de prévention et les moyens et capacités informatiques pré-existantes remplit une mission tout à fait essentielle pour assurer le bon accompagnement au quotidien de nos agents dans ce nouveau contexte de télétravail généralisé.

Dès le 19 mars, un Guide du management à distance en situation exceptionnelle, coproduit par Manag’Est, notre école de formation interne au management, et notre Délégation à l’Innovation et à la Modernisation de l’Action publique (DIMAP), a été diffusé à l’ensemble de nos agents, avec des conseils pratiques et des exemples concrets sur le télétravail et le management en situation exceptionnelle. Une rubrique « Infos Région Grand Est Covid-19 » a été mise en place sur le réseau interne de la Région. Régulièrement actualisée, elle donne de multiples informations, permet aux agents de trouver des réponses aux questions les plus fréquentes sur l’organisation de la collectivité pendant le confinement, de partager leur expérience, etc.

Le Secrétariat général aide également nos agents confrontés à des difficultés ou interrogations personnelles ou professionnelles. Ainsi, un dispositif de soutien psychologique est créé, confié à un prestataire extérieur, qui mobilisera son réseau de psychologues diplômés et formés à l’accompagnement des personnes confrontées à des angoisses, tensions, remises en question ou inquiétudes liées au confinement. Tout agent ressentant le besoin d’une aide spécifique liée au confinement peut en bénéficier, en contactant le plateau médical qui assurer le relais avec le prestataire.

Une crise est souvent révélatrice. À ce stade, qu’a-t-elle révélé sur vos forces et vos faiblesses ?

L’une des plus grandes forces de la Région tient à sa capacité à aller très vite pour inventer et mettre en œuvre les mesures.

Notre présence en proximité dans les territoires facilite par ailleurs grandement le nécessaire dialogue avec les acteurs locaux de cette crise, et les réponses aux besoins de nos interlocuteurs habituels. L’intervention et le rôle dévolus aux Régions dans la mise en œuvre du fonds national de solidarité aux entreprises au côté des autres institutions, en sera ainsi plus adapté dans un écosystème qui reste complexe.

En même temps, notre dimensionnement nous offre une force de frappe et un rôle de coordination ou fédérateur que ne peuvent avoir d’autres structures, notamment pour être l’interlocuteur de l’État qui s’est structuré à l’échelon régional en matière de santé.

Cette crise met ainsi particulièrement en lumière l’émergence du fait régional par nos capacités financières d’action et de fédérations des acteurs.

Beaucoup de citoyens et d’entreprises prennent conscience de l’importance d’un service public qui allie solidarité et efficacité. Quel message souhaiteriez-vous faire passer ?

Cette crise, aussi pénible ou douloureuse qu’elle puisse être, doit être le catalyseur ou l’accélérateur d’une transformation des modalités de fonctionnement des administrations dans leurs relations avec leurs « clients » finaux mais aussi dans la conception même de l’organisation des relations backoffice avec les autres intervenants.

Le développement de cette économie numérique, qui va nécessairement connaître une accélération avec les mesures de distanciation sociale, le recours accru aux téléservices, à l’intelligence artificielle, doit permettre de dégager des disponibilités supérieures pour des tâches d’accompagnement plus spécifiques et spécialisés, de développeur de projet. Nous devons accentuer la transition d’une mission de gestion dévolue historiquement aux administrations à une mission de gestion de projets et des réseaux.

Ayons bien conscience que la crise économique qui vient sera énorme. Si les ressources des collectivités ne sont pas garanties en 2020 et surtout 2021, leur autofinancement va s’écrouler et elles ne pourront rien faire pour sauver l’économie et accompagner l’effort de relance alors qu’elles mobilisent 80 % de l’investissement public et peuvent faire jouer un effet levier considérable ! Il faut des engagements clairs pour nous permettre d’anticiper !

Enfin, pour réussir cette mutation de gestionnaire des réseaux et de développeur / facilitateur, développons la confiance réciproque. Poursuivons la transition des administrations de contrôle à celle d’accompagnateur, et cela peut valoir aussi pour l’État dans ses relations avec les collectivités territoriales.

Propos recueillis par Hugues Perinel

* Pour en savoir plus : Retrouvez plusieurs mesures et initiatives mises en place dans le cadre des missions assurées par la Région que ce soit pour soutenir les secteurs d’activités économique, les transports, ou la formation et l’emploi.


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