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Comment caractériser l’exception de mise en concurrence propre aux achats publics innovants ?

Publié le 2 avril 2019 à 7h50 - par

La volonté d’intégrer l’innovation à la commande publique n’est pas nouvelle. Dès 2012, le Pacte national pour la compétitivité, la croissance et l’emploi fixait un objectif de 2 % d’achat public innovant à l’horizon 2020. Avec le décret n° 2018-1225 du 24 décembre 2018, le gouvernement entend insuffler un nouvel élan à l’achat public d’innovation.

Comment caractériser l'exception de mise en concurrence propre aux achats publics innovants ?

Expérimentation et achats innovants

L’article 1er du décret n° 2018-1225 du 24 décembre 2018 prévoit ainsi une expérimentation d’une période de trois ans en application de laquelle les acheteurs publics peuvent passer des marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence portant sur des  travaux, fournitures ou services innovants d’un montant inférieur à 100 000 euros HT.

Ces dispositions sont applicables aux marchés publics pour lesquels une consultation a été engagée depuis le 27 décembre 2018.

Si le projet de décret initial prévoyait de limiter le bénéfice de cette expérimentation aux petites et moyennes entreprises, cette restriction n’a toutefois pas été retenue dans sa version finale.

Désormais, cette expérimentation est ouverte à tous les opérateurs économiques sous réserve que (i) le montant du besoin soit inférieur à 100 000 euros HT et (ii) que l’achat soit véritablement « innovant ».

 

Qu’est-ce qu’une solution innovante en droit de la commande publique ?

C’est sur ce dernier point que risque d’achopper cette expérimentation car ce décret d’apparence simple laisse subsister des incertitudes tirées de l’absence d’une définition claire et précise de l’innovation au sens du droit de la commande publique.

En effet, la définition du caractère innovant n’est pas explicitée par le décret, qui procède par renvoi à la définition du 2° du II de l’article 25 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 (codifiée à l’article R. 2124-3 du Code de la commande publique) selon laquelle « sont innovants les travaux, fournitures ou services nouveaux ou sensiblement améliorés. Le caractère innovant peut consister dans la mise en œuvre de nouveaux procédés de production ou de construction, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l’entreprise ».

Mais mettre en avant une organisation du travail agile et décloisonnée ou un lieu de travail assurant de la flexibilité à ses employés peut-il constituer des gages d’innovation suffisants pour déroger aux règles de la commande publique ?

Selon ce texte, l’innovation peut en effet être liée directement à la nature des travaux, fournitures, services en cause ou aux procédés de leur réalisation ou de leur commercialisation mais également être liée aux méthodes et à l’organisation interne de l’opérateur économique.

En tout état de cause, l’innovation suppose que les travaux, fournitures ou services soient nouveaux ou substantiellement améliorés.

Or, si le critère de nouveauté peut objectivement être établi (absence de produits ou services similaires ou substituables déjà présents sur le marché), celui de l’amélioration substantielle est en revanche plus difficile à cerner, et donc à démontrer.

 

Des marchés publics conclus sans publicité, ni mise en concurrence

À noter que le recours à cette expérimentation est encadré par la précision selon laquelle « lorsqu’ils font usage de cette faculté, les acheteurs veillent à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin ».

Les acheteurs publics devront également rendre publiques les données essentielles d’un tel marché négocié sans publicité ni mise en concurrence, au même titre que l’ensemble de leurs marchés dont le montant est supérieur ou égal à 25 000 euros HT, en application de l’article R. 2196-1 du Code de la commande publique.

Cette obligation de transparence et de publicité pour les acheteurs publics permettra aux concurrents de faire contrôler les éventuels abus que pourrait entrainer cette expérimentation.

Rendez-vous à la fin de l’année 2021 pour connaitre le bilan de cette expérimentation : le décret prévoit en effet qu’un rapport de suivi et d’évaluation de cette mesure sera rendu public à l’issue des trois ans.

 

Claire Desjardins, Avocate collaboratrice, cabinet Taylor Wessing

Auteur :

Claire Desjardins

Claire Desjardins

Avocate collaboratrice, cabinet Taylor Wessing


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