L’acheteur public, condamné à devenir ou redevenir attractif

Publié le 8 décembre 2017 à 8h38 - par

Qu’il est loin le temps ou l’acheteur public ne craignait ni l’absence de réponses, ni celle de la performance économique de ses achats ; performance alors si évidente notamment lorsque des volumes significatifs étaient annoncés.

L’acheteur public, condamné à devenir ou redevenir attractif

Une relation, ô combien déséquilibrée, mettant l’acheteur sur une forme de piédestal du haut duquel il pourrait bientôt tomber ! En effet, si les entreprises, et notamment les PME, tendent à refaire de la commande publique, un levier de croissance, elles ne sont pas prêtes à le faire à n’importe quel prix et avec n’importe qui.

Et ce tout simplement pour des raisons économiques.

Les relations entre une entreprise et la commande publique engendrent de nombreux coûts au stade de la préparation, de la passation ou de l’exécution du contrat. Ces coûts directs et/ou indirects la conduisent donc naturellement à arbitrer de plus en plus sa réponse à telle ou telle entité voire à tel ou tel acheteur public. Ainsi, considérant que la performance du processus achat et de l’exécution des prestations est étroitement liée à l’implication de l’entreprise, il est essentiel pour l’acheteur public d’être de plus en plus attractif

Ainsi, bien plus que les volumes, l’entreprise a désormais un regard affuté sur les points suivants.

La cohérence entre le coût de réponse estimé, la probabilité de gains, la durée et surtout le montant du contrat

Lors du dernier colloque de l’APASP organisé à Paris, le témoignage du Groupe Prisme (PME située dans les Yvelines) a suscité un vif intérêt, qui ne s’est d’ailleurs pas démenti sur les réseaux sociaux. Cette présentation évoque un coût de réponse au marché public allant de 5 720 € à 27 800 € en fonction de la complexité du dossier. Il est également évoqué, si besoin était, tout l’intérêt de la dématérialisation dans la diminution de ces charges.

Cette étude est à rapprocher des montants, du même ordre, évoqués au sein du rapport d’information sénatorial n° 82 (2015-2016) de M. Martial Bourquin, fait au nom de la MCI sur la commande publique et publié en octobre 2015.

Les procédures, portant sur des montants compris entre 25 000 € HT et 90 000 € HT, peuvent donc naturellement interpeller en termes de concurrence réelle et de performance économique. Le fait que la France porte, à elle-seule, une procédure adaptée sur deux initiée en Europe, doit conduire à nous interroger sur le caractère « éclaté » de l’achat public et donc sur son coût aussi bien pour les acheteurs publics que pour les entreprises, estimé à 3 milliards d’euros par an.

En lien étroit avec ce qui précède, la durée du contrat est également un élément clé et pourra être perçue par l’entreprise comme insuffisante au regard des moyens à mettre en œuvre ou au contraire trop importante et donc de nature à exposer l’entreprise à des risques potentiels si ce contrat venait à ne pas être renouvelé.

L’expertise de l’acheteur en charge de la procédure et la pertinence du dossier de consultation eu égard au secteur d’activité concerné

Une fois validée l’opportunité économique du projet, les entreprises, qui plus est dans des domaines techniques et/ou technologiques, chercheront à s’assurer de l’expertise de l’acheteur et de la pertinence de son dossier de consultation. La consultation rapide du cahier des charges techniques, la constatation ou non d’une approche fonctionnelle du besoin ou encore la présence de clauses d’exécution inadaptées, pourraient ainsi rapidement sceller le sort de la consultation.

Citons pour mémoire, la déconvenue rencontrée par de nombreuses collectivités publiques ayant imposé dans leurs premiers marchés d’énergie (rendues obligatoires suite à la fin des tarifs réglementés de vente) des clauses de pénalités pour non distribution de gaz et ce au sein de procédures visant à acquérir la molécule et non son transport et sa distribution.

Cohérence et « sérieux » du dossier de consultation sont donc plus que jamais des éléments fondamentaux.

Le professionnalisme de l’acheteur, décrypté au travers du règlement de la consultation

L’avis de publicité et la cohérence du cahier des charges sont des préalables à l’étape suivante ; celle de l’analyse approfondie du célèbre règlement de la consultation. Le professionnalisme achat de son auteur sera rapidement analysé au travers :

  • du délai « raisonnable » voir « réaliste » de la période de remise des offres ;
  • de la pleine exploitation de toutes les possibilités offertes par le droit en matière de critères de choix ;
  • de la pondération des critères et de leur pertinence au regard du domaine d’activité ;
  • du caractère représentatif des demandes de spécimens ou d’échantillons voir le cas échéant l’existence d’un dispositif de prise en charge financière par l’entité achat ;
  • de la souplesse offerte en matière d’évolutions des conditions techniques (clauses de réexamen).

Le caractère non dissuasif ou non abusif des clauses d’exécution du contrat (pénalités de retard …)

Rappelons que la performance économique d’un achat repose de plus en plus sur les économies générées par l’exécution du contrat pour le fournisseur ou à minima sur l’absence de risques financiers trop importants. L’attention de l’entreprise portera ainsi souvent sur :

  • les possibilités et modalités pratiques d’ajustements économiques ;
  • la cohérence des formules de révision de prix ;
  • la mise en œuvre de dispositifs de pénalités en lien avec l’objet du marché et non abusifs, qui plus est lorsque l’on constate couramment que de nombreux acheteurs publics n’appliquent pas réellement ces dispositions ;
  • les possibilités offertes en matière d’avances ou d’acomptes ;
  • les conditions de résiliation anticipée ;
  • les clauses de propriété intellectuelle.

L’acheteur public doit ainsi être capable, notamment à l’issue de la phase de sourcing, d’identifier au sein de sa procédure tous les leviers de gains et mesurer les coûts engendrés par l’ensemble de ses exigences.

Le respect « connu » par l’entité achat de ses obligations contractuelles notamment en matière de délais de paiement

Les assises et prix des délais de paiement qui se sont déroulés le 13 novembre dernier à Bercy ont été l’occasion de rappeler le caractère crucial de ce sujet. Au-delà de récompenser les meilleures initiatives en la matière, tout comme l’avait d’ailleurs été l’UGAP en 2016, force est de constater qu’une facture sur sept reste encore bloquée chez les donneurs d’ordre, et qu’il faut alors en moyenne 51 jours pour la débloquer.

Le délai de paiement est un enjeu important pour la trésorerie des entreprises. L’UGAP, la centrale d’achat publique, mentionne lors de ses colloques, qu’en moyenne, son délai de paiement avéré de 30 jours, engendre couramment une performance « achat » évalué entre 3 et 4 %.

En conclusion

L’acheteur public, mais in fine l’ensemble des acteurs du processus achat (prescripteur, juriste, comptable, utilisateur…) représentent eux-mêmes des leviers de performance (ou non) de leur entité achat. Leur comportement peut donc s’avérer parfois préjudiciable au bon usage des deniers publics et invite donc, au-delà des missions individuelles de chacun, à poursuivre le développement d’un travail de plus en plus collaboratif. L’acheteur aussi professionnel et expert soit-il ne peut plus à lui seul porter les enjeux et surtout les responsabilités de la performance achat de son établissement. Celle-ci découle de plus en plus de nombreux facteurs, qui plus est à une époque où le paiement à l’usage tend à se substituer à l’investissement traditionnel. La situation financière et budgétaire de l’entité publique est donc appelée à impacter la fonction achat.

Exiger des entreprises qu’elles soient professionnelles est une chose, l’être soi-même en tant qu’acheteur public l’est tout autant.

La performance de l’achat public, l’expérience l’a démontré, est donc davantage à rechercher au travers d’une relation professionnelle, équilibrée et responsable entre les différents acteurs plutôt que dans une opposition permanente visant à faire des acheteurs des cost-killers et les entreprises, des pourvoyeurs de marge.

In fine, il s’agit pour les entreprises et notamment pour les plus petites d’entre-elles, de veiller à consacrer leurs précieuses ressources aux acheteurs les plus professionnels et aux réelles opportunités de développement. Ceci passe bien sûr par une parfaite connaissance du droit associé à la commande publique mais davantage par une maîtrise « actualisée » des pratiques liées à l’achat public. Les éditions WEKA sont d’ailleurs les premiers à proposer un produit unique répondant à ce besoin spécifique avec Facil’AO.

Sébastien Taupiac,
Directeur Santé à l’UGAP

 

En savoir plus : Communications de la Commission Européenne – Octobre 2017 :