Quarante ans après, la décentralisation française laisse un goût d’inachevé

Publié le 13 mars 2023 à 9h25 - par

Quarante ans après les premières lois visant à rapprocher la décision politique du citoyen en transférant des compétences de l’État aux collectivités, la décentralisation reste inachevée, estime le 9 mars 2023 la Cour des comptes dans un rapport qui plaide pour une relance du processus.

Quarante ans après, la décentralisation française laisse un goût d'inachevé
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Dans son rapport annuel sur « la performance de l’organisation territoriale française », la Cour dresse un bilan des différentes étapes qui ont conduit, depuis les grandes lois Defferre votées à partir de 1982, à d’importants transferts de compétences aux communes, départements et régions, touchant directement la vie des Français.

Dans les années 2003-2004, un second « acte » s’est traduit par de nouveaux transferts et a consacré le caractère « décentralisé » de la République, mais ce processus ambitieux est resté inabouti depuis 2010, regrettent les magistrats.

De fait, les multiples lois, dont celles instaurant les 13 grandes régions en 2015, « ont souffert d’hésitations, de renoncements et de retours en arrière », obéissant davantage à la volonté de « préserver l’équilibre des intérêts » de chaque catégorie de collectivités.

La décentralisation a pour ambition de « renforcer la démocratie locale par l’élection d’assemblées délibérantes », de rapprocher la décision politique du citoyen en mettant fin « au droit exclusif de l’État central de déterminer seul l’avenir (…) des  populations locales » et d’améliorer l’efficacité de la gestion publique, rappelle le rapport.

Mais sur le terrain, les magistrats dressent le constat d’un pays « encore marqué par une forte tradition centralisatrice » avec un État qui « peine à se départir de ses compétences transférées ».

Si la dépense publique locale est passée de 8 % à 11,2 % du PIB en France entre 1980 et 2021, elle reste bien inférieure à celle des autres pays de l’Union européenne.

De plus, la France « n’est jamais parvenue à régler de manière satisfaisante la question du maintien d’un très grand nombre de communes », aujourd’hui de 34 955, dont près de 50 % ont moins de 500 habitants.

Alors qu’une clause dite « de compétence générale » les autorise à intervenir dans tous les domaines les concernant, elles ne disposent « pas des moyens et de l’expertise techniques pour répondre seules aux défis sociaux et environnementaux auxquels elles doivent faire face », estiment les rapporteurs.

« Essoufflement »

Aujourd’hui, l’élan décentralisateur « s’est progressivement essoufflé » avec des compétences « de plus en plus intriquées, le plus souvent exercées par plusieurs niveaux différents de collectivités » comme c’est le cas de la politique du logement, souligne la Cour, pour qui cette complexité « nuit à l’intelligibilité et à l’efficience de l’action publique locale ».

En parallèle de la décentralisation, l’État a fait le choix de diminuer fortement ses effectifs dans les services déconcentrés (préfectures, directions départementales et régionales), contribuant ainsi « au désarmement des services techniques », ce qui a rendu plus difficile le contrôle de l’action des collectivités.

« Ce désengagement de l’État a pu contribuer, par l’insuffisance des contrôles sanitaires, à la prolifération des algues vertes en Bretagne », note par exemple le rapport.

Côté financement, la suppression d’impôts locaux remplacés par des parts d’impôts nationaux a « distendu le lien » entre les contributions des citoyens « à la charge publique locale » et le « service public rendu aux usagers », tout en rendant les collectivités de plus en plus dépendantes de l’État.

Face à ce constat, les magistrats estiment peu réaliste à court terme l’idée d’un « grand soir » de la décentralisation avec une refonte du dispositif dans l’esprit des objectifs de 1982, mais jugent aussi qu’un statu quo n’est « pas tenable ».

« Une nouvelle étape de la décentralisation est souhaitable pour revoir la répartition des compétences entre l’État et les différents échelons de collectivités territoriales, et doter chaque niveau de gestion locale des moyens lui permettant de les assumer », estiment-ils.

Ils préconisent notamment d’approfondir et de simplifier la coopération intercommunale tout en continuant à favoriser la fusion des trop petites communes.

Lorsque les compétences sont partagées par plusieurs échelons de collectivités, les magistrats conseillent de « renforcer le rôle des collectivités cheffes de file de politiques faisant intervenir un grand nombre d’acteurs ».

Ils recommandent enfin pour mieux utiliser les possibilités « d’expérimentation » d’adapter l’organisation des collectivités à la diversité des situations locales.

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