La commande publique au cœur des élections européennes ?

Publié le 25 janvier 2024 à 11h15 - par

En France, les élections européennes se tiendront les 8 et 9 juin 2024 en fonction des territoires. 81 députés européens seront élus en France en 2024, deux de plus que lors des élections de 2019. Au total, le Parlement européen comptera 720 membres, contre 705 actuellement.

La commande publique au cœur des élections européennes ?
© Par Branimir - stock.adobe.com

Les députés européens sont élus au suffrage universel direct à un tour. La législation de l’Union européenne garantit la représentation proportionnelle. En France, les listes sont fermées, c’est-à-dire que les électeurs ne peuvent pas changer l’ordre des candidats sur les listes.

Si les citoyens ne prennent pas pleinement la mesure de ces élections, considérant à tort une forme d’éloignement au regard de leurs préoccupations quotidiennes, cette édition 2024 pourrait se révéler beaucoup plus importante que prévu.

Une commande publique européenne à la croisée des chemins

Pandémie, guerre en Ukraine : les crises récentes ont révélé la résilience de l’Union européenne et l’importance de la taille “critique” associée. Dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes mais aussi du potentiel bouleversement de l’échiquier politique, l’Europe semble chercher un second souffle.

L’ancien Premier ministre, Édouard Balladur évoquait même dans une note publiée dans le cadre de Fondapol, la notion de “panne” (cf. L’Europe et sa souveraineté). La commande publique semble ainsi avoir été (enfin ?) identifiée comme un enjeu majeur dépassant ainsi une approche historique fortement basée sur le droit réglementaire et sur une large ouverture à la concurrence. Un constat confirmé par les récentes annonces de la Commission européenne concernant diverses réflexions et pistes de réformes à la suite des critiques de la Cour des comptes européenne.

Rappelons que l’UE est le premier marché mondial pour les marchés publics avec plus de 2 000 milliards d’euros par an, soit environ 14 % du PIB. Si l’OECP donne un chiffre de 160 milliards en France pour 2022, il est vraisemblable que nous soyons plutôt au-dessus des 200 milliards, tous achats confondus. Selon la Commission, la part des marchés publics remportée par des pays tiers s’élève à 3 % (ce qui représente 60 milliards d’euros). Le montant total des marchés des pays tiers concédés aux pays de l’UE, est, en tout état de cause, bien plus faible : les entreprises de l’UE ne remporteraient hors Europe, selon la Commission, que 10 milliards d’euros de marchés publics. En effet, certains pays comme la Chine, le Japon ou les États-Unis limitent l’accès à leurs marchés publics nationaux.

Une commande publique européenne sous la pression des citoyens

Si certains pays assument le fait de favoriser leurs entreprises via leur commande publique, l’Europe n’a jamais su prendre ce chemin malgré quelques tentatives. En témoigne le caractère mitigé du règlement européen du 23 juin 2022 concernant l’accès aux marchés publics européens à des entreprises de pays tiers. Le protectionnisme n’est ni dans les fondements, ni dans l’ADN de l’UE.

Le contexte économique, mais aussi environnemental et social, conduit les populations des États membres à une forme de retour aux fondamentaux (cf. pyramide de Maslow). Les besoins physiologiques (air, eau, nourriture…), de sécurité (environnement stable et prévisible. Cf. Éducation et emploi) et d’appartenance (vie sociale…) sont donc plus que jamais en première ligne notamment pour un électeur français appelé aux urnes en juin 2024 mais aussi en 2026 pour les élections municipales et en 2027 pour les élections présidentielles et législatives.

La pression sur les politiques va s’accentuer et les élections européennes de juin 2024 représentent un test majeur. Avouons que les disparités de situation, perception et vision au sein des 28 ne semblent jamais avoir été aussi grandes. Naturellement l’approche ne peut être la même entre un pays qui se réindustrialise (la France) et un pays dépendant massivement de l’export (l’Allemagne). Nous ne détaillerons pas ici non plus les fortes disparités autour du sujet de l’énergie. La montée en puissance au sein de la commande publique des enjeux environnementaux et sociaux fait ressortir les mêmes types de disparité en fonction des histoires, des cultures et des territoires. Sous couvert à peine masqué, d’enjeux majeurs d’indépendance et de souveraineté.

L’Europe n’a jamais eu autant besoin d’unité et pourtant elle semble s’en éloigner chaque jour ?

La commande publique, un enjeu européen et/ou national ?

La réponse est dans la question. Car avec 97 % de la commande publique en “vase clos” au sein de l’UE, pourquoi réfléchir à une réécriture des Directives Marchés, au déploiement des Directives CSRD et CSDD ou encore à un droit encadrant l’hébergement de données ou l’IA ?

Tout d’abord parce qu’entreprise européenne ne veut pas dire obligatoirement produits, service ou encore hébergement des données européennes !

D’autre part parce qu’entreprise européenne ne signifie pas entreprise (et emplois) allemande, française, italienne, espagnole, belge ou autres. L’Europe a comme légitimité et mandat la défense des intérêts européens, pas nécessairement celle de chaque État.

Et lorsque l’on parle de pouvoir d’achat, d’alimentation, de logement, de santé, de sécurité, d’emploi, de développement économique des territoires… on est de plus en plus souvent à l’échelle nationale voire régionale !

On comprend ainsi mieux l’inflation réglementaire française récente constatée et ses impacts sur la commande publique :

Pas facile de faire du « protectionnisme national » dans un environnement européen non prévu pour cela. Preuve en est l’avis circonstancié adressé début novembre par la Commission européenne au gouvernement français et critiquant la loi SREN.

Pas facile d’avancer vite et ensemble sous la pression du citoyen et de l’électeur.

La commande publique, une mobilisation attendue de l’Europe

Si l’Europe prend les choses au sérieux, c’est que les initiatives réglementaires mises en place au sein de chaque pays sont désormais de nature à fragiliser le modèle « familial ». Le célèbre adage qui dit que “Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin” pourrait en matière de commande publique devenir “Seul on va plus vite, ensemble on va nulle part”. Il s’agit bien sûr ici d’une provocation salutaire de ma part et n’engageant que moi.

Rappelons, par exemple, pour ne pas parler que de la France que le ministre de l’Économie, Robert Habeck, a présenté en octobre dernier une stratégie pour préserver le tissu industriel allemand, quitte à revoir des règles de concurrence ou budgétaires « d’une autre époque » selon lui. On le voit, chacun ses priorités !

L’Europe se fissure…

La fragilité de l’Europe, pourtant plus que jamais indispensable, repose sur un très (ou trop ?) grand nombre de membres et sur une volonté historique de tout réglementer. L’Europe doit tout d’abord se décomplexer et revendiquer et assumer des politiques ambitieuses d’un point de vue économique, environnemental et social. La souveraineté européenne mais aussi, dans certains domaines, des États membres, et donc in fine de l’UE, sera un des enjeux de juin 2024.

Si l’Europe doit poser les grands principes en matière de marchés publics (liberté d’accès, égalité de traitement et transparence des procédures), elle doit aussi permettre à chaque état d’utiliser celle-ci à des fins d’indépendance et de souveraineté. Il n’y aura en effet en France pas de réindustrialisation sans mobilisation dans la durée d’une commande publique devant intervenir en appui ou relais de dispositifs d’accompagnement et de subventions.

Revoir la répartition des compétences entre l’Union et les États membres, repréciser les ambitions et stratégies, mieux tenir compte des équilibres démographiques, économiques, environnementaux et sociaux au sein de l’Union, préciser le rôle des juges nationaux et supranationaux, telles sont les priorités qui semblent émerger.

Rappelons pour conclure que la commande publique est au service de l’usager et de celles et ceux qui font de la qualité de notre service public et de l’intérêt général une priorité quotidienne.

Sébastien Taupiac, Directeur de la Communication et des Relations Publiques
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