La commande publique, un acte juridique, économique ou politique ?

Publié le 4 mai 2017 à 6h20 - par

Ce titre, objet d’ailleurs d’une des tables rondes du programme 2017 des colloques territoriaux de l’UGAP, évoque à la fois l’importance désormais avérée du sujet de la commande publique mais également les complexités et « paradoxes » auxquels sont confrontés des acheteurs publics en pleine professionnalisation mais également en quête de reconnaissance.

La commande publique, un acte juridique, économique ou politique ?

Dépasser le débat actuel et justifié du patriotisme économique, c’est avant tout aborder ce sujet de la manière la plus factuelle et pertinente possible car comprendre c’est aussi justifier cet achat responsable. Il convient ainsi de :

  • appréhender la place importante et rôle clé des PME dans notre économie,
  • prendre conscience du rôle majeur de la commande publique et de son poids économique,
  • s’interroger sur l’organisation en France de l’achat public, sur son efficience et son coût de fonctionnement,
  • se convaincre de l’absolue nécessité des PME dans l’optimisation et la modernisation du service public mais aussi parfois dans sa sécurisation !
  • étudier la mise en place rapide d’un certain nombre de solutions.

Pourquoi les PME sont-elles aussi importantes dans les économies des pays industrialisés ?

L’actualité nous le rappelle régulièrement : les grands groupes ont tendance à délocaliser voir de plus en plus à réduire leurs effectifs. Ces faits sont, dans une mondialisation installée, difficile « à court terme » à endiguer même s’il faut reconnaître des démarches exemplaires de certains grands groupes. Les disparités de coût du travail entre zones géographiques et pays sont dans l’industrie trop importantes et dans le domaine des services, se pose souvent la question du travail illégal ou encore des fraudes diverses. Les TPE/PME représentent donc un enjeu important en Europe et plus spécifiquement en France.

En effet, ces entreprises représentent, en France, 99,8 % des entreprises (soit 3,5 millions) et près de la moitié des emplois salariés (soit 7 millions). Une attention plus particulière doit même être portée à 4 % d’entre-elles, les 96 % restantes étant des micro-entreprises (MIC).

Ces TPE et PME réalisent chaque année 1 300 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit le tiers (35,5 %) du chiffre d’affaires total des entreprises françaises ; représentent 44 % du PIB mais ne représentent que 12 % des entreprises qui exportent et à peine 25 % de la commande publique en montant !

Ces entreprises sont donc, par leur capacité à se développer et à recruter (70 % d’entre-elles ont recruté au moins une personne dans les derniers mois), des éléments clés de toute stratégie de croissance et du retour progressif au plein emploi.

Pourquoi la commande publique est-elle souvent appelée à la rescousse !

La commande publique est aujourd’hui estimée à minima à près de 100 milliards d’euros et probablement plus proche des 200 à 300 milliards toutes dépenses confondues, supposition basée sur son poids traditionnel de l’ordre de 10 à 15 % du PIB d’un État. Cette manne financière est donc très importante.

La commande publique diminue moins vite ou moins brutalement que la commande privée en période de crise. Elle constitue un tampon lors des crises économiques et permet souvent à minima de pérenniser des emplois.

Pourquoi la France n’arrive-t-elle pas à atteindre le niveau des autres pays européens en matière d’accès des PME et de relais des politiques publiques ?

L’achat public français se démarque sur de nombreux points de l’achat public en Europe :

  • Il est tout d’abord éclaté sur près de 132 000 acheteurs (État, collectivités et établissements de santé). Un acheteur public sur deux en Europe est français.
  • Une procédure sur deux de marchés publics lancée en Europe est française. La France est championne d’Europe en nombre des procédures sous le seuil des procédures formalisées.
  • La France, même si la tendance vise à évoluer, est en retard en matière de dématérialisation et d’open data. Sa commande publique est donc quelque peu opaque et insuffisamment lisible pour les entreprises, ceci aussi bien au stade de la publication que de l’attribution.

In fine, il est quasi impossible de s’assurer que les dizaines de milliards d’euros de la commande publique contribuent efficacement (car répartis sur 132 000 entités) au développement économique de nos territoires (les PME ayant du mal à trouver des procédures de faible montant qui plus est très coûteuses en termes de réponse). Sans évoquer bien sûr le coût administratif de ces achats « isolés » ou insuffisamment mutualisés.

Rappelons que le coût complet (mise en œuvre et réponses) d’une procédure de marché public est largement supérieur à 25 000 euros !

Des procédures de marché public trop nombreuses, peu visibles, peu porteuses d’enjeux de politiques publiques, intégrant insuffisamment la notion de coût complet et donc in fine pas toujours favorables aux PME. Précisons également que les PME revendiquent désormais davantage un accès aux commandes publiques (et aux paiements !) qu’à la commande publique.

Pourquoi est-il nécessaire d’accroître la part des PME dans la commande publique ?

La réponse la plus logique est bien celle relative à l’apport de chiffres d’affaires additionnel, indispensable à la création d’emplois. Mais d’autres atouts majeurs sont à évoquer :

  • La commande publique, lorsqu’elle est centralisée et efficiente permet rapidement à la PME de consacrer davantage de temps et de ressources au secteur privé et à l’export.
  • La commande publique et notamment de grands donneurs d’ordre (État, métropole, région, département, CHU) constituent une caution pour les PME innovantes leur facilitant une reconnaissance à l’étranger.
  • La commande publique peut profiter en termes d’efficience mais également d’optimisation économique de l’apport par ces PME d’innovations, de nouveaux modèles économiques, d’offres plus agiles et plus adaptées à chaque personne publique.

Quelles sont les solutions à mettre œuvre ?

La notification d’un marché public à une PME ou d’ailleurs à n’importe quelle entreprise n’est jamais le fruit d’un pur hasard. Tout acte professionnel d’achat public résulte de la mise en œuvre d’une stratégie d’achat basée avant tout sur des indicateurs, des objectifs et une méthodologie.
Il apparaît donc indispensable d’approcher ce sujet de manière factuelle et dépassionnée en mettant notamment en œuvre :

  • Un outil de mesure et des indicateurs objectifs d’intégration par les achats des politiques publiques. Certaines structures comme l’UGAP ont mis en place un rapport d’empreinte économique via l’entreprise innovante eAttestations
    À noter également l’importance de mettre en place des indicateurs de suivi du taux de dépendance.
  • Un renforcement de la phase de sourcing notamment vis-à-vis de cette typologie d’entreprises (contact avec les CCI, DIRECCTE, pôles de compétitivités, fédérations professionnelles,…). Certains acheteurs publics, notamment au sein des centrales d’achat, consacrent 1/3 de leur temps à cette phase capitale.
  • Un accroissement de la visibilité des marchés publics en termes de pré-information ou de publicité mais également en termes d’attribution. L’article 107 du décret 2016 impose aux acheteurs d’offrir, sur leur profil d’acheteur, un accès libre, direct et complet aux données essentielles de leurs marchés publics. Le décret du 10 avril 2017 introduit quant à lui un seuil de 25 000 euros en-deçà duquel les acheteurs ne sont pas soumis aux obligations relatives à l’open data. Une visibilité accrue à venir au-dessus des 25 000 euros qui devrait conduire à une plus grande attention des acheteurs publics dans leur choix et dans leur justification.
  • La mise en œuvre de tous les dispositifs possibles en termes de simplification et facilitation de cet accès des contrats aux TPE-PME (MPS, DUME, critères allégés de candidatures, vulgarisation des cahiers de charges, allotissement technique ou géographique, critères coût complet en lieu et place du prix…).
  • La priorisation de cahiers des charges fonctionnelles décrivant davantage le besoin que la solution attendue.
  • Une ouverture à des offres différentes et innovantes (modèles économiques liés à l’usage, critère caractère innovant, …)
  • La mise en œuvre de délais de réponse pertinents et de clauses d’exécution adaptées à cette typologie d’entreprises (dispositifs d’avances et d’acomptes, clauses de sanction ajustées,…).
  • Le respect scrupuleux des délais de paiement et le versement des intérêts moratoires.
  • La mise en place d’un suivi spécifique de ces entreprises et notamment des startups lors de la phase d’exécution, naturellement plus fragiles en termes de trésorerie ou en cas d’incidents techniques ou technologiques.

Toutes ces démarches témoignent d’un achat alors plus responsable devant engager la structure achat à minima dans la signature de la charte RFR ou idéalement dans l’atteinte du label Relations Fournisseurs Responsables.

En conclusion

Rappelons tout d’abord que les directives marchés européennes prônent un achat plus responsable, la plus grande intégration de l’innovation, de la performance environnementale et l’insertion sociale ou encore la mise en œuvre d’une approche en coût complet naturellement plus favorable aux PME à valeur ajoutée. Soyons donc honnête de considérer que pour une fois, la législation européenne ne peut être seule responsable d’un déséquilibre d’accès paradoxalement marqué surtout en France !

Le droit est donc un outil qu’il convient d’utiliser au mieux.

Favoriser l’accès des PME à la commande publique mais surtout aux commandes publiques constitue bien plus qu’une réponse à une demande politique nationale, territoriale ou encore locale. Elle répond à une réalité économique territoriale. L’achat public, acte par essence juridique est donc bien devenu un acte économique et politique !
L’accès d’une PME à la commande publique ne peut se justifier par son seul statut ou sa seule présence sur le territoire. Ces atouts liés à son agilité ou encore à sa proximité avec le client intermédiaire ou final doivent lui assurer suffisamment de valeur ajoutée pour se différencier, sa taille la contraignant souvent à de moins bonnes conditions économiques, du moins en apparence.
Il ne s’agit donc pas d’un problème fondamental de droit mais probablement davantage d’un problème de confiance. L’acheteur public aurait-il ainsi tendance à se comporter vis-à-vis des TPE et PME françaises comme il se comporte en tant que citoyen consommateur vis-à-vis des produits « Made in France » ?

Une question essentielle car si c’est le cas, les solutions sont davantage à rechercher dans le rétablissement de la confiance que dans des décisions juridiques, clauses, Small Business Act ou autres quotas !
Former les acheteurs au monde économique et au monde de l’entreprise et réciproquement aider les PME à comprendre et intégrer les spécificités et attentes de la commande publique semble être la voie à privilégier. Saluons ainsi l’initiative innovante conduite par le Lab Pareto et son expérience « Vis ma Vie »
Une approche simple mais incontestablement efficace et marquante !

Pour en savoir plus :

Sébastien Taupiac,
Directeur délégué à l’innovation à l’UGAP


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