Attractivité de la FPT : les dirigeants territoriaux en quête de remèdes

Publié le 12 décembre 2023 à 9h30 - par

Durant deux jours, les entretiens territoriaux de Strasbourg ont phosphoré sur les réponses à apporter au casse-tête de l’attractivité qui touche aujourd’hui toutes les collectivités et tous les métiers. Au-delà de la question toujours centrale de la rémunération, plusieurs pistes se dégagent et continueront d’être débattues en 2024.

Attractivité de la FPT : les dirigeants territoriaux en quête de remèdes
Crédit © @cnfpt - Plus de 1 600 dirigeants territoriaux ont participé aux ETS, les 6 et 7 décembre 2023, entièrement consacrés cette année au thème de l’attractivité dans les collectivités.

Cet article fait partie du dossier :

Renforcer l'attractivité dans la fonction publique
Comment attirer et fidéliser de nouveaux talents ?
les problématiques d'attractivité dans la fonction publique
Voir le dossier

« Nous faisons le pari que des solutions existent et ces ETS [Entretiens territoriaux de Strasbourg] l’ont bien prouvé ». France Burgy, directrice générale du CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale), ne regrette pas d’avoir choisi les problèmes d’attractivité des collectivités, sujet brulant d’actualité avec des difficultés de recrutement qui ne cessent de croître, comme thème de la dernière édition des ETS. Organisés par le CNFPT et l’INET (Institut national des études territoriales), les 6 et 7 décembre 2023, avec 1 655 inscrits – un record -, tous ses ateliers et séances plénières étaient consacrés à ce sujet de préoccupation numéro un qui interpelle autant les dirigeants territoriaux que les élus locaux.

Rôle clé des élus et des DG

« Au-delà de la question essentielle de la rémunération, qui ne dépend pas que de nous, il faut agir sur les marques employeurs, les nouvelles pratiques managériales, les différents leviers RH, la diversification des parcours et des profils, le contenu des concours ou les différentes voies d’accès au statut », a détaillé François Deluga, le président du CNFPT pour bien planter le décor dès l’ouverture des ETS.
Plus de 1 600 dirigeants territoriaux ont participé aux ETS, les 6 et 7 décembre 2023, entièrement consacrés cette année au thème de l’attractivité dans les collectivités

Crédit © @cnfpt

Pour cela, le rôle des élus locaux comme des dirigeants territoriaux apparaît majeur. « Il faut replacer la fonction RH comme l’une des responsabilités premières des encadrants », souligne Belkacem Mehaddi, DGA du CNFPT et directeur de l’INET. « Pendant longtemps, les DG ont laissé le sujet aux seuls DRH, complète France Burgy. Mais ils ont pris conscience aujourd’hui de l’importance d’avoir une vision RH transversale ». Le constat vaut aussi pour les élus locaux qui ne se sont jamais beaucoup battus pour s’en emparer ! « Depuis la crise sanitaire, et la mise en avant du rôle essentiel de certains agents pour assurer la continuité du service public, les élus prennent plus conscience de l’importance de la question RH, constate François Deluga. Et cela se poursuit avec les problèmes d’attractivité qui exigent de prendre encore plus soin des agents ». Ce rôle croissant des élus s’observe aussi au niveau national, au travers de la coordination des employeurs territoriaux (CET).

La casquette d’employeur

Murielle Fabre, secrétaire générale de l’AMF (Association des Maires de France) et maire de Lampertheim (Bas-Rhin), souhaite que les maires « se saisissent davantage de leur casquette d’employeur ». « C’est vrai que durant une campagne municipale, ce ne sont pas les RH qui sont les plus mises en avant, reconnaît-elle. Mais compte tenu de leur importance, comme le montre bien l’attractivité, ils doivent s’en emparer davantage. Pour cela, ils ont besoin d’un appui juridique car le sujet est souvent complexe comme par exemple la PSC [protection sociale complémentaire]. De même, les fortes contraintes financières limitent les choix. C’est pour ça que les élus doivent se fixer des priorités ».
Autre nécessité : une meilleure coopération entre élus et dirigeants territoriaux. « Il y a une petite révolution à faire sur le sujet, estime Annick Morizio, première vice-présidente du département de la Haute-Vienne. Il faut les mettre à égalité même si les élus continuent de décider car ce sont eux qui ont le contact direct avec les citoyens. Chacun jouera sa partition afin de monter ensemble des projets qui aient vraiment du sens ».

Concurrence entre collectivités

La question de l’attractivité apparaît multifactorielle. « Touchant la territoriale mais au-delà toute la fonction publique comme le secteur privé, elle révèle de nouveaux rapports au travail comme les effets délétères du fonctionnaire bashing », pointe Murielle Fabre. Sur certains métiers en tension, il y a parfois beaucoup de candidats mais avec des profils pas du tout adaptés, souligne-t-elle. « D’où l’importance de communiquer plus sur tous les métiers, leurs voies d’accès et les concours qui demeureront même s’il faut indéniablement les faire évoluer », estime Murielle Fabre.
Autre constat partagé : les dangers de la concurrence entre collectivités sur les recrutements. « C’est un comportement irresponsable qui va à l’encontre de l’intérêt général », fustige Olivier Veber, DGS du département de Seine-Saint-Denis. La solution ? « Fonctionner plus au niveau du bassin d’emploi », répondent en cœur plusieurs dirigeants territoriaux. Il est également nécessaire de booster les coopérations comme l’ont fait par exemple les quatre centres de gestion de Bretagne en créant une marque employeur commune, avec une plateforme d’emploi territorial (den.bzh) dédiée aux collectivités de la région. Tout a démarré, début 2023, par une campagne de communication au ton décalé pour casser les idées reçues sur la fonction publique.
Sur ce sujet, Hélène Guillet, DGS du centre de gestion de Loire-Atlantique (CDG 44) et présidente du SNDGCT (Syndicat national des DG de collectivités territoriales), défend « une coopération indispensable en s’appuyant localement sur des leaders comme les CDG ou le CNFPT ». « Il faut fédérer les forces en présence sur le territoire, précise-t-elle. Cela constitue une assurance vie pour les agents que doit garantir les dirigeants territoriaux ».

Ouvrir plus largement les recrutements

Par ailleurs, les managers des collectivités se retrouvent pour prôner une ouverture plus large des recrutements. « Nous le faisons pour les catégories C auprès des lycées notamment via l’apprentissage, explique Florence Peleau Labigne, DGS de la région Centre Val de Loire. Nous misons aussi sur des formations sur-mesure sur nos métiers auprès des chômeurs d’un bassin d’emploi ». Elle insiste, en outre, sur le levier de la mobilité interne qui permet de pourvoir 40 % des postes de la collectivité. « Il faut organiser plus de passerelles et permettre de vraies évolutions de carrières au sein de la collectivité », résume la DGS.
Les recrutements doivent aussi passer par plus de diversité sociale, défend Farid Gueham, chef du département de la coordination des moyens et des ressources de la métropole de Montpellier, et membre de l’association La Cordée. « Nous devons faire tomber les barrières en arrêtant de chercher des profils qui nous ressemblent, lance-t-il. Les classes Prépas Talents ou les initiatives de mentorat fonctionnent bien et nécessitent d’être amplifiées ». « L’attractivité dépend aussi de la largeur de l’ouverture de la porte, encore trop faible, complète Franck Périnet, DGS du département d’Ille-et-Vilaine. Il faut vraiment se bouger sur la façon de recruter qui ne peut plus se limiter à une simple fiche de poste ».

Importance des valeurs

« Ce sujet de l’attractivité n’est pas si nouveau. Le changement du rapport au travail date d’avant la crise sanitaire qui l’a encore amplifié », analyse Jean-Yves Ottmann, sociologue du travail et chercheur au laboratoire Dauphine recherche en management. Il tient à distinguer l’emploi et le travail car « les personnes veulent travailler mais moins dans certains métiers dévalorisés ». « C’est toute l’importance de redonner du sens, souligne-t-il. L’attractivité passera indéniablement par un travail sur les valeurs ».
Sur le même registre, Murielle Fabre plaide pour « tenir un discours positif sur la FPT, redonner toute sa force à la valeur de servir l’intérêt général et mettre en avant nos 240 métiers ». La secrétaire générale de l’AMF reconnaît ici que « les employeurs territoriaux ne savent pas assez montrer l’utilité de tous ces métiers. Une acculturation est nécessaire car ils doivent bouger et casser les codes ».

Peu de démarches RSO

Tous ces propos prouvent bien que l’attractivité ne se limite pas juste à trouver les bons profils. En dehors de nos frontières, le constat est le même. « Les problèmes d’attractivité sont identiques chez nous, indique ainsi Pierre Petit, directeur du conseil régional de la formation de Wallonie. Le Covid a changé la donne avec de nouveaux rapports entre vie professionnelle et vie personnelle. Les valeurs ne sont plus les mêmes ». Et d’affirmer que « l’employé choisit de plus en plus son employeur alors qu’avant c’était l’inverse ». Un constat formulé par de nombreux dirigeants territoriaux durant les ETS. Selon Pierre Petit, « il faut montrer aux agents la valeur ajoutée de ce qu’ils font avec un travail collectif pour définir ces valeurs. Ensuite, ils doivent devenir les ambassadeurs de ces valeurs ».
Un mini sondage, réalisé auprès des participants de la séance plénière du 7 décembre, indique que 58 % des collectivités n’ont pas mis en place de démarche RSO (responsabilité sociétale des organisations). Un chiffre d’autant plus surprenant que les managers présents sont surtout issus de grandes collectivités. « Cela m’étonne compte tenu de sa forte nécessité, affirme Arnaud Gaboriau, DGS de la communauté de communes des Vallées du Haut-Anjou. Nous l’avons fait dès 2018 dans mon intercommunalité afin de se donner un cadre de référence et un projet avec des valeurs et du sens ».

Améliorer les conditions de travail

« La solution ne passe pas que par le recrutement, confirme Olivier Veber. Elle s’appuie aussi sur une démarche relative aux valeurs, l’organisation du temps de travail ou le développement de la formation ». Le DGS remarque que pour certains métiers, il y aura de moins en moins de profils classiques. « D’où le besoin de se mobiliser sur le développement des compétences au sein même des collectivités », insiste-t-il. « Plutôt que de rechercher le mouton à cinq pattes, mieux vaut travailler davantage sur les parcours professionnels », ajoute France Burgy.
À ne pas oublier non plus l’amélioration des conditions de travail, en particulier dans la lutte contre les RPS (risques psychosociaux) et les TMS (troubles musculo–squelettiques). « On sait que pour certains métiers difficiles, comme les auxiliaires de puériculture, il ne sera pas possible de travailler jusqu’à 64 ans, constate Olivier Veber. Il faut donc penser très tôt à un accompagnement permettant une seconde carrière ».
De même, Florence Peleau Labigne met en avant les trois leviers RH de la région Centre Val de Loire : « l’amélioration de l’organisation et des conditions de travail et une réflexion sur les valeurs comme l’égalité femmes/hommes ou la transition écologique, très importantes pour les plus jeunes ». S’y ajoutent un baromètre réalisé auprès des agents tous les deux ans pour prendre le pouls sur les points forts et faibles de la collectivité ou une étude réalisée en 2023 par une élève de l’INET sur les agents des générations Y et Z recrutés depuis moins de trois ans (bonne intégration dans une organisation pourtant assez classique). Sans oublier la marque employeur « Made in Centre Val de Loire » qui « fonctionne bien et permet d’embarquer tous les agents, encadrants comme encadrés », se réjouit la DGS.

Développer le « aller vers »

À la difficulté de recruter s’ajoute celle de fidéliser les agents afin qu’ils ne partent pas. Le constat vaut aussi pour les cadres dirigeants. « Aujourd’hui, dans ma collectivité, il est difficile de garder un cadre plus de deux ans car il a des envies fortes de mobilité. C’est devenu la norme », témoigne le DGS de Massy, pourtant ville attractive de plus de 50 000 habitants de l’Essonne.
Autre levier RH à favoriser : le « aller vers ». « Il faut vraiment le développer, en particulier concernant les plus jeunes. Cela permettra notamment de toucher des personnes qui ne se sentent pas aptes, à tort, pour des postes à responsabilités », estime Karine Garcin-Escobar, DGA de Marseille et nouvelle coprésidente de l’AATF (Association des administrateurs territoriaux de France). France Burgy défend aussi un aller vers en direction de « ceux qui ne nous connaissent pas ». « Nous sommes dispersés et pas assez organisés là-dessus, reconnaît la directrice générale du CNFPT. Il nous faut faire plus et mieux avec différents partenaires comme les université ou Pôle emploi ».

Un projet de loi présenté en février

Les propositions formulées durant les ETS ont été compilées par des élèves de l’INET et doivent encore servir. Le CNFPT s’engage, sur cette base, à « proposer en 2024 des rendez-vous sur l’attractivité en région pour initier de nouvelles approches territoriales de cet enjeu et ainsi transformer l’essai », indique France Burgy.
Ce travail veut également servir à alimenter le projet de loi de réforme de la fonction publique que le Gouvernement prévoit de présenter en Conseil des ministres en février prochain, a annoncé la Première ministre dans une interview au Figaro du 6 décembre. « Malgré des discussions démarrées il y a plusieurs mois avec le ministre Stanislas Guerini, nous n’en savons pas beaucoup plus à ce jour sur les contours du texte », regrette François Deluga.

Philippe Pottiée-Sperry


On vous accompagne

Retrouvez les dernières fiches sur la thématique « Ressources humaines »

Voir toutes les ressources numériques Ressources humaines