Stéphane Pintre : “Les directions générales ne doivent pas être la variable d’ajustement de l’autorité territoriale”

Publiée le 19 mars 2021 à 10h05 - par

Amené à se prononcer sur une affaire en jugement, le Conseil d'État a reconnu dans un arrêt du 26 janvier 2021 la « nature particulière » des fonctions exercées par les DGS et DGA en collectivités territoriales. C'est une revendication portée de longue date par le SNDGCT. Qu'implique ce nouvel arrêt pour le syndicat ?
Stéphane Pintre : “Les directions générales ne doivent pas être la variable d'ajustement de l'autorité territoriale”

La clarification des compétences des directeurs généraux est une revendication ancienne, qui remonte à plus de vingt ans, et qui revient régulièrement car nous n’avons pas encore réussi à faire entendre raison aux pouvoirs publics pour des raisons essentiellement politiques. Tout le monde s’accorde à dire qu’il y a un vide juridique dans ce domaine mais la force des faits et une résistance de certains élus vivant mal le fait que l’on puisse attribuer à d’autres des compétences légales sur le territoire de la collectivité sont des éléments qui posent problème.

Cette décision du Conseil d’État, qui ne portait pas précisément sur cette question mais sur la présence d’une DGA sur une liste de comité technique d’une communauté de communes, ne fait que confirmer que les membres des directions générales ont une situation particulière dans les collectivités où ils exercent. Ils sont souvent assimilés aux employeurs alors qu’ils ne le sont pas, ce sont des agents. Nous avons saisi cette occasion pour faire remonter au gouvernement qu’il y avait toujours un problème concernant le positionnement des directeurs généraux au sein des collectivités locales et qu’il serait bon de clarifier ces missions, comme nous nous étions mis d’accord avec l’Association des Maires de France (AMF) pour le faire.

Malgré son échec, la proposition qu’avait fait Madame la députée Émilie Chalas, rapporteure du projet de loi de transformation de la fonction publique, et qui avait pour but de préciser par décret les compétences des directions générales, nous avait permis de trouver un accord sur un projet de texte avec l’AMF. Nous attendons depuis maintenant plus d’un an que le gouvernement réécrive le décret datant de 1987 sur la base de nos propositions.

Le dernier arrêt du Conseil d’État peut-il amener à clarifier la question de la présence ou non des DGS dans les commissions d’appels d’offres, de délégation de services publics ou les commissions paritaires ?

Aujourd’hui, la présence d’un directeur général dans une commission d’appels d’offres ou de délégation de services publics peut entacher la légalité de la décision prise, même s’il ne participe pas au vote. Il existe un texte sur les commissions paritaires autorisant l’autorité territoriale à se faire assister du directeur général ; il s’agit de l’un des rares points qui soit réglé même s’il ne s’agit que d’une assistance et non d’une présence. Ce que nous demandons, c’est que le directeur général ou son représentant, sans pour autant disposer d’une voix délibérative, puisse être présent ès-qualités dans les différentes instances et commissions. Il s’agit d’une question de bonne administration et de stabilité des décisions.

En matière de rémunération, il n’y a pas de reconnaissance de la spécificité – et de la précarité – des emplois fonctionnels. Quel est selon vous l’impact sur l’attractivité de ces emplois ?

Les grades d’administrateurs, d’attachés ou d’ingénieurs ont vu leurs indices revalorisés alors que ceux des emplois fonctionnels ne l’ont pas été, ce qui crée un fort déséquilibre. Les directeurs généraux dans les communes de 10 000 habitants ont par exemple un indice terminal de l’emploi fonctionnel très en dessous de l’indice terminal du grade du titulaire car le titulaire de l’emploi fonctionnel est payé en fonction de son grade et non de son emploi.

Cependant, les emplois fonctionnels restent globalement attractifs. Les emplois de DGS sont munis d’une prime de responsabilité, une reconnaissance financière pour ces emplois. Les problèmes d’attractivité se font davantage sentir sur les postes de directeurs généraux adjoints qui ne touchent ni prime spécifique, ni prime de responsabilité.

Au regard des dernières élections locales, y-a-t-il selon vous l’émergence d’une nouvelle génération d’élus, plus enclins à reconnaître un véritable statut au DGS ?

L’évolution tient surtout à la fin des cumuls de mandats. Il y a un regard nouveau de la part d’une nouvelle génération d’élus qui n’a jamais été député ou sénateur mais seulement maire ; elle sera beaucoup plus présente et investie dans l’ensemble des missions de la collectivité. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle ne s’appuiera pas sur des équipes de direction générale.

La plupart des élus dans les grandes et moyennes collectivités ont d’ailleurs bien conscience de ce que les équipes de directions générales leur apporte. Ceux qui ne le reconnaissent pas sont marginaux.

Je pense cependant que la « mythologie du maire », c’est-à-dire l’image du maire comme seul maître à bord, est une problématique qui va perdurer. Il s’agit là du travers français, cette mythologie est aussi une réalité juridique car le maire est le seul chargé de l’administration. C’est justement cela qui freine la reconnaissance de l’autorité des directions générales.

N’y-a-t-il pas, plus particulièrement en ces derniers temps de crise sanitaire, un risque de confusion parfois dangereuse des périmètres d’action entre différentes autorités ? Qu’en est-il de la relation au sein du couple élu-DGS ?

La pandémie a sans aucun doute eu des conséquences sur les services de l’État. Celui-ci a pour ainsi dire grignoté les compétences des élus car certaines décisions se sont imposées à eux qu’importe leur avis. Au niveau des collectivités, il a fallu agir vite mais les maires ont été très présents et malgré la pression nous avons pu constater une certaine symbiose entre les élus et les équipes de directions générales, que ce soit pour les masques, les tests ou la vaccination.

Il est normal et légitime que les maires et les élus définissent la stratégie de la collectivité mais la direction générale doit avoir un cadre d’action clarifié au niveau national. Certaines périodes, durant lesquelles la confiance n’est pas encore là, pas complètement là ou plus là, sont propices au flottement et au changement de direction générale, ce qui est préjudiciable pour la collectivité. Les DGS et DGA ont pour rôle de diriger l’ensemble des services, de mettre en œuvre le projet municipal ou communautaire et doivent le faire dans un cadre clair. C’est ce que nous revendiquons, afin d’éviter le risque que les équipes de directions générales ne soient la variable d’ajustement de l’autorité territoriale.

Propos recueillis par Julien Prévotaux

Texte de référence : Conseil d’État, 26 janvier 2021, n° 438733, mentionné aux tables du recueil Lebon

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