Thomas Rougier : “Maîtrisée, la dette reste un point fort”

Publiée le 18 juin 2024 à 16h00 - par

Thomas Rougier, Secrétaire général de l’Observatoire des finances de la gestion publique locales (OFGL), revient, sur le pré-rapport de l’OFGL, sur l’état des lieux des finances des collectivités locales 2023 sorti le 11 juin 2024.
Thomas Rougier : “Maîtrisée, la dette reste un point fort”

© OFGL

Quelles sont les principales conclusions de ce rapport ?

L’épargne nette1 des collectivités baisse de 15,4 %. Par ailleurs, l’investissement progresse lentement, essentiellement sous l’effet de l’effet prix, assez fort en 2023 et du cycle électoral. La dette locale est stable et sous contrôle, mais les charges financières (intérêts d’emprunts) s’envolent (+ 29,5 %), sous l’effet mécanique de la remontée des taux en 2022, notamment pour les collectivités ayant une partie de leur dette indexée sur ces taux. Les charges financières des budgets principaux et annexes pèsent, en 2023, 1 Md€ de plus. Mais le risque n’est pas systémique, seules quelques collectivités étant impactées.

Pour l’ensemble des collectivités locales, le besoin de financement, hors mouvements de la dette, est de 4 Mds€ : c’est le résultat à la fois de la baisse de l’épargne et de la progression de l’investissement. Ce besoin est partiellement financé par l’accroissement de la dette (1,4 Mds€) et surtout par le fonds de roulement, qui s’accroissait jusqu’ici. C’est un fusil à un coup, notamment si on prend chaque collectivité isolément.

Y a-t-il des différences sensibles entre niveaux de collectivités ?

Les départements font face à une baisse brutale des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) de 21,8 % en 2023 (- 3,2 Mds€), après des hausses passées importantes, et alors que les dépenses sociales continuent de progresser. Résultat, leur épargne nette a été divisée par deux. Pour Jean-Léonce Dupont, rapporteur du pré-rapport de l’OFGL, c’est un choc qui ne pourra pas se répéter en 2024. En moyenne, le délai de désendettement des départements est passé de 2,6 à 4,2 ans entre 2022 et 2023. Mais ce n’est pas encore catastrophique, puisque quatre départements dépassent un désendettement de 10 ans en 2023 contre 15 en 2015. Une petite partie des DMTO a été mise de côté en 2022 pour pouvoir être réutilisée lors des années difficiles.

Concernant les régions, on note, à périmètre de compensation fiscale comparable2, une TVA très favorable en 2022 (+ 9 %), mais moins en 2023 (+ 3 %). Les régions continuent toutefois à accroître leur dette, notamment pour financer la montée en puissance des transports. Mais leur niveau de dette antérieur étant moins important, le désendettement reste correct à 6 ans.

Le bloc communal a, lui, été soutenu par la progression de la taxe foncière (foncier bâti – TFB – à + 9,8 % et + 8,1 % hors Paris), de la taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères et de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires (THRS), servis par une revalorisation des valeurs locatives de 7 % en 2023. Toutefois une partie de l’augmentation est liée à la nouvelle gestion des biens immobiliers et à l’entrée par erreur de nouveaux contribuables dans le dispositif de THRS. Bertrand Hauchecorne, membre du CFL, souligne également que la hausse de la TFB accentue l’écart entre les communes riches dépendantes de cette fiscalité et celles pauvres s’appuyant davantage sur les dotations de l’État qui ne suivent pas l’inflation.

Quelles sont les conclusions du dossier sur la dette publique locale, réalisé par l’OFGL ?

Certes, le poids de la dette des Administrations publiques locales (APUL) a augmenté depuis 45 ans, multiplié par 10 en valeur pour atteindre 250,4 Mds€ fin 2023. Mais la dette est restée entre 6,6 % et 9,9 % du Produit intérieur brut (PIB) depuis 1980, avec un minimum de 6,6 % en 2002 et un maximum de 9,9 % en 2020. Par ailleurs, la dette locale rapportée à la dette publique totale a diminué de 30,3 % en 1980 à 8,1 % en 2023.

Depuis 2016, l’accroissement de la dette des collectivités locales est modéré (ndlr : + 1,16 %/an). Pour les régions, puis les EPCI cela progresse le plus : + 5,5 %/an depuis 2011 pour les régions, mais en partant d’un encours de dette modeste à la fin des années 2000, + 4,7 %/an entre 2011 et 2020 puis + 2,1 %/an entre 2021 et 2023 pour les EPCI montés en puissance. In fine, depuis 2015, l’encours de dette du bloc communal et des syndicats ne progresse que de + 06, %/an.

Quels sont les points d’attention à venir ? Quel impact pourrait avoir le contexte national actuel ?

Des zones de fragilité apparaissent. La nouvelle organisation fiscale crée une dépendance à l’évolution de la TVA. L’évolution de l’inflation et des DMTO – qui servent à financer notamment les dépenses sociales, on s’en aperçoit aujourd’hui ! – sont à surveiller de près. La dette, tant qu’elle est maîtrisée et contenue comme actuellement, reste un point fort. Les défis du dérèglement climatique nécessitent en effet une participation massive des collectivités locales, par un accroissement de la dette – c’est possible aujourd’hui – ou par de l’autofinancement.

La crise politique et le reflet d’un sentiment de déclassement nécessitent de concentrer les forces financières des collectivités locales pour inverser cette tendance. Il faut faire une décentralisation forte tout en réunifiant les espaces de notre pays, en matière de mobilité, accès à la culture, au savoir, etc.

Propos recueillis par Frédéric Ville


1. Différence entre les recettes et les dépenses, déduction faite des remboursements de dette.

2. TVA attribuée en compensation de la suppression définitive de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

On vous accompagne

Retrouvez les dernières fiches sur la thématique « Finances et comptabilité »

Voir toutes les ressources numériques Finances et comptabilité