La crise a-t-elle fait émerger un nouveau modèle de management public ?

Publié le 1 juillet 2020 à 14h33 - par

Nous vous invitons aujourd’hui à une réflexion sur le management public post-crise. Pour ce faire, nous avons croisé un extrait de la web-conférence, organisée par WEKA le 11 juin 2020, dans laquelle les intervenants posent la question du management de « l’après » aux analyses d’Henry Cléty, psychologue du travail. Il pose un certain nombre de précautions à toute modélisation qui s’appuierait qui plus est des nombreux retours d’expériences d’agents.

La crise a-t-elle fait émerger un nouveau modèle de management public ?

Cet article fait partie du dossier :

Les acteurs publics face à la crise sanitaire
Les acteurs publics face à la crise sanitaire
Voir le dossier

La durée exceptionnelle de la crise a, de facto, confronté deux modèles de management dans les organisations publiques

Le management participatif. C’est le modèle managérial en vigueur et promu avant que la crise ne frappe. Il repose sur 4 caractéristiques :

  • le souci de la dynamique de groupe et de l’esprit d’équipe ;
  • le souci de donner du sens et de la compréhension pour tout le monde et ;
  • le souci de faire monter tout le monde en compétences et en même temps ;
  • sa lourdeur et sa lenteur.

Le management de crise. Logiquement, il repose sur des caractéristiques différentes voire opposées :

  • nombre restreint de personnes concernées ;
  • plus souple et plus direct ;
  • moins « pédagogique ». Il suppose un contexte d’action-réaction qui induit un temps réduit et moins d’explications ;
  • économe en temps.

La dimension globale et la durée exceptionnelle de la crise sanitaire ont en quelque sorte installé le management de crise dans les organisations publiques. Croisé à l’accroissement des NTIC, il est sans nul doute un facteur explicatif important de l’agilité et de l’efficacité des organisations publiques locales pendant la crise.

Est-il possible pour autant de dire que les principes du management de crise vont définir le modèle à venir ?

La réponse est non, et ce pour deux raisons, au moins.

Tout d’abord comme nous y invite Bruno Cassette, DGS de la Métropole Européenne de Lille, parce que nous devons être vigilants et ne pas nous laisser piéger par les nombreuses publications actuelles de récits d’agents. Les agents n’ont fait que leur devoir. Leur récit doit permettre de maintenir vivante la mémoire collective et de préparer l’avenir. Au présent, le service public doit s’imposer en étant un acteur central du développement, de la solidarité et de l’innovation.

Ensuite, car les organisations publiques étant avant tout des réalités psychosociales, la réponse est plus complexe et ouvre des perspectives plus larges.

La complexité n’est pas prédictible en termes de modèle

Henry Clety, Docteur en psychologie, Psychologue, Enseignant-chercheur en psychologie

Henry Cléty

Selon Henry Cléty, pour des questions de rigueur scientifique et épistémologique, il est difficile de tirer des leçons et encore moins des modèles de la crise sur le plan de l’organisation du travail et du management. Il va même plus loin en indiquant qu’il n’y a pas véritablement d’enseignement, si ce n’est une meilleure compréhension des organisations du travail et du travail lui-même.

De ce point de vue, ce qui est remarquable note-t-il, c’est « la multiplicité divergente des réponses organisationnelles, collectives et individuelles faites face à l’événement ». Les organisations étant des systèmes complexes, « les adaptations et ajustements continus, qui les caractérisent, résultent d’opérations complexes, les rendant peu prévisibles, quasi-aléatoires et incertaines ». Ce constat est en soit une richesse énorme, car reconnaître la complexité d’un système, c’est reconnaître son autonomie, c’est-à-dire sa capacité à trouver une réponse spécifique, non programmée et sans intervention externe, aux enjeux émergeant de son environnement.

Le principe du management en situation complexe est celui de l’autonomie et non du contrôle

La condition pour qu’une organisation réagisse efficacement à son environnement est donc son autonomie. Or, les modèles de management appliqués jusque-là, reposaient sur des enjeux organisationnels différents dont découlaient une conception du manager comme agent de contrôle évaluatif, gestionnaires et administrateurs : l’« anti- » autonomie selon l’auteur.

Aujourd’hui, pour faire face à la complexité et aux incertitudes du contexte socio-économique et aux enjeux environnementaux, le manager doit être « un agent facilitant la circulation de l’information, l’interaction et les échanges entre les « composants » du système. (…) Il ne s’agit plus de décider ou contrôler, mais de réunir les conditions d’une auto-décision ou d’un auto-contrôle ».

Séverine Bellina et Hugues Perinel, Réseau service public