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Protection sociale complémentaire des agents territoriaux : les détails de la réforme

Publié le 6 mai 2022 à 10h30 - par

Le 21 avril 2022, le décret n° 2022-581 du 20 avril 2022 relatif aux garanties de protection sociale complémentaire et à la participation obligatoire des collectivités territoriales et de leurs établissements publics à leur financement a été publié au Journal officiel.

Protection sociale complémentaire des agents territoriaux : les détails de la réforme

Ce décret vient préciser plusieurs éléments importants de la réforme en cours de la protection sociale complémentaire dans la fonction publique territoriale qui, pour rappel, impose notamment aux employeurs publics territoriaux plusieurs obligations minimales de financement.

Obligations minimales de financement : les montants sont connus

La principale mesure instaurée dans le cadre de la réforme de la protection sociale complémentaire des agents territoriaux, initiée par l’ordonnance du 17 février 2021, est une participation obligatoire des collectivités territoriales et de leurs établissements publics au financement des garanties de protection sociale complémentaire de leurs agents : 50 % d’un montant de référence déterminé par décret, à compter du 1er janvier 2026, en matière de frais de santé et 20 % d’un montant de référence défini par décret, à compter du 1er janvier 2025, en matière de prévoyance lourde (incapacité, invalidité, inaptitude, décès).

À ce titre, dans le prolongement de l’ordonnance du 17 février 2021, le décret du 20 avril 2022 fixe à 30 euros le montant de référence pour les frais de santé, soit une participation minimale de 15 euros par mois et à 35 euros le montant de référence en matière de prévoyance lourde, soit une participation minimale de 7 euros par mois. Ces montants ne sont pas une surprise puisqu’ils sont conformes au projet de décret qui était en circulation. Notons tout de même que ces montants constituent des minimas qui pourront être revus à la hausse dans le cadre de futures négociations locales.

Garanties minimales : des précisions insatisfaisantes

L’ordonnance du 17 février 2021 prévoyait qu’un décret vienne préciser « les garanties minimales que comprennent les contrats » financés pour partie par les employeurs publics territoriaux. Ainsi le décret du 20 avril dernier indique qu’en matière de frais de santé, le panier de soins minimal est celui applicable aux salariés de droit privé. Il s’agit là d’une différence avec les agents de la fonction publique de l’État qui bénéficieront d’un panier de soins supérieur en vertu de l’accord interministériel du 26 janvier 2022 relatif à la protection sociale complémentaire en matière de couverture des frais occasionnés par une maternité, une maladie ou un accident dans la fonction publique de l’État.

En outre, le décret vient définir les garanties minimales en matière d’incapacité de travail et d’invalidité, en distinguant entre les fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales et les agents relevant du régime général de la sécurité sociale. Pour ce faire, le décret fixe des niveaux minimums de prise en charge : les indemnités journalières complémentaires devront garantir une rémunération nette équivalente à 90 % du traitement indiciaire, de la nouvelle bonification indiciaire et 40 % du régime indemnitaire nets, déduction faite des montants correspondant aux garanties statutaires versés par l’employeur, à compter du passage à demi-traitement et jusqu’à épuisement des droits à congés statutaires ou en cas de mise en disponibilité d’office ou de maintien du demi-traitement dans l’attente de l’avis du conseil médical. En cas de mise à la retraite pour invalidité avant l’âge légal de départ à la retraite, une rente d’invalidité garantissant une rémunération équivalente à 90 % du traitement net de référence devra être prévue contractuellement.

L’instauration de ces niveaux minimums est une nouveauté puisque, jusqu’à présent, les contrats d’assurance facultatifs souscrits pour la couverture prévoyance des agents territoriaux n’étaient pas encadrés par de telles dispositions. Autrement dit, à compter du 1er janvier 2025, tous les contrats d’assurance proposés pour la couverture des risques incapacité de travail et invalidité des agents territoriaux devront tenir compte de ces minimas. À ce titre, les organismes assureurs devront mener une refonte de leurs documents contractuels avant cette échéance.

En revanche, les garanties minimales en cas d’inaptitude ou de décès ne sont pas déterminées par le décret. Si cette situation perdure au-delà du 1er janvier 2025, date d’entrée en vigueur de l’obligation de financement en matière de prévoyance lourde, cela signifiera que les contrats financés par les employeurs publics territoriaux ne seront soumis à aucun niveau minimal de prise en charge pour ces risques. Les contrats pourraient donc ne pas couvrir ces risques, comme c’est le cas actuellement.

Changement important : le principe du remboursement par les agents des indus fixé règlementairement

Le décret apporte un changement significatif dans la relation entre les agents territoriaux et les organismes assureurs. En effet, il précise que les indemnités journalières complémentaires versées aux agents devront être remboursées dans deux situations : en cas de rétablissement rétroactif à plein traitement de l’agent ou en cas de placement rétroactif dans une autre position statutaire. Cette situation concerne notamment les fonctionnaires qui perçoivent des indemnités journalières complémentaires lorsqu’ils sont en congés pour raisons de santé ou lorsqu’ils ont été mis en disponibilité d’office.

Jusqu’à maintenant aucune disposition légale ou règlementaire n’imposait un remboursement des prestations versées indument, de sorte que certains agents en contestaient le principe même, notamment lorsqu’aucune stipulation contractuelle ne le prévoyait expressément. Cela pouvait donner lieu à des procédures contentieuses longues et coûteuses. Le principe du remboursement étant désormais prévu par le décret, ce type de contestation ne devrait plus avoir court.

Application du décret : les dates d’entrée en vigueur

Les dispositions prévues par le présent décret entreront en vigueur, bien entendu, en même temps que les obligations de financement qu’elles viennent compléter : le 1er janvier 2025 en matière de prévoyance lourde et le 1er janvier 2026 en matière de frais de santé. Avant ces dates d’entrée en vigueur, des débats seront organisés au sein du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale sur les garanties minimales et les montants de référence fixés par le décret : avant le 31 décembre 2023 en matière de prévoyance lourde et avant le 31 décembre 2024 en matière de frais de santé.

Négociations à venir : la question cruciale de la prise en charge des risques en cours

Au-delà de ce qui est prévu par l’ordonnance du 17 février 2021 et le décret du 20 avril 2022, des négociations sont prévues entre les employeurs publics territoriaux et les organisations syndicales. À ce titre, un pré-accord de méthode circule. Selon ce pré-accord, l’objectif des négociations est d’aller plus loin que ce qui est prévu actuellement par les textes, notamment en réformant le décret n° 2011-1474 du 8 novembre 2011 relatif à la participation des collectivités territoriales et de leurs établissements publics au financement de la protection sociale complémentaire de leurs agents. C’est ce décret qui fixe actuellement les modalités de participation des employeurs publics territoriaux. La discussion portera notamment sur les mécanismes de solidarité, la portabilité des droits ou encore la prise en charge des évolutions de cotisations. Par ailleurs, un second volet des négociations visera à définir un cadre de référence aux futures négociations locales, qui puisse concilier à la fois la nécessité d’avoir un dialogue social et le principe de libre administration des collectivités territoriales.

Il faut remarquer le silence fait jusqu’à présent sur des discussions afférentes à la prise en charge des risques en cours. Or, ce sujet est essentiel puisqu’il concerne notamment les questions relatives à la prise en charge des agents en arrêt de travail lors de la prise d’effet d’un contrat, à la continuité du versement des prestations en cas de successions d’organismes assureurs et à leur financement. De nombreux contentieux existent actuellement sur ces sujets et il serait judicieux que ces questions soient traitées dans le cadre des futures négociations et textes à paraître afin d’éviter que chaque employeur territorial ne soit confronter isolément à ces problématiques, au risque de générer encore de nouveaux contentieux.

Quoiqu’il en soit, aucun accord ne devrait intervenir avant le 1er trimestre 2023. Ce qui ne doit pas empêcher les employeurs publics territoriaux de se saisir, dès à présent, de l’ensemble de la réforme afin d’anticiper les décisions à prendre et les nouveaux dispositifs à mettre en place.

Maître Caroline Letellier, Avocat Associé, Maitre Kamel Boulacheb, Avocat, AVANTY Avocats

AVANTY Avocats est un cabinet intégralement dédié au droit de la protection sociale (salariés et fonctionnaires) et des rémunérations complémentaires. Disposant de la première équipe de la place avec 40 professionnels intégralement dédiés à la matière, AVANTY Avocats accompagne l’ensemble des acteurs du marché sur le conseil juridique, le contentieux et la formation.

Auteurs :

Caroline Letellier

Caroline Letellier

Avocat Associé AVANTY Avocats

Kamel Boulacheb

Kamel Boulacheb

Avocat AVANTY Avocats