Priver les territoires des moyens de se faire concurrence pour développer leur collaboration face aux transitions ?

Publiée le 4 octobre 2023 à 10h00 - par

Faut-il, sur le terrain économique, priver les territoires des leviers leur permettant de se faire concurrence, de façon à stimuler leur collaboration face aux défis des transitions, à commencer par la transition écologique, la mère de toute les batailles ?
Fabien Bottini, Consultant, Professeur à Le Mans Université, Membre de l'IUF

La question peut surprendre. Mais le nouveau paradigme qui se met en place sous la pression des évènements conduit à réinterroger les bienfaits prêtés à certaines idées antérieures, à commencer par ceux de la concurrence entre collectivités.

Une concurrence entre territoires déjà affaiblie

Dans les années 1970, l’idée avait fini par s’imposer que la compétition entre les territoires pouvait nourrir une saine émulation favorable à leur développement économique. Mises en concurrence par des entreprises n’hésitant pas à conditionner leur implantation à un moins-disant réglementaire et fiscal, les administrations locales ont en effet été amenées à se servir de tous les leviers à leur disposition pour se rendre plus attractives, afin d’attirer ou simplement de maintenir les opérateurs du marché sur leur sol. Aides directes et indirectes aux entreprises, urbanisme économique, mise à disposition de foncier, fiscalité… tous les coups ont en quelque sorte été permis, d’autant que certains élus n’ont pas hésité à profiter de la notoriété nationale qu’ils tiraient du cumul des mandats pour pousser leur avantage compétitif face à leurs voisins : ici pour convaincre un préfet récalcitrant de valider leur projet de territoire ; là pour profiter de l’asymétrie d’information dont ils bénéficiaient par rapport aux autres élus de leur département…

S’il est difficile de faire un bilan objectif des retombées positives ou négatives de ce jeu concurrentiel sur la période 1970-2020 en termes économiques, des recherches menées dans le cadre du programme POPSU, notamment par Benoît Montabonne à Rennes II, montrent que certaines réformes ont eu pour effet de l’affaiblir au cours du temps, même si ce n’était pas leur objectif premier.

Parmi elles il est vrai, les fusions de communes et d’intercommunalités ont joué un rôle ambivalent : car si elles ont pu, d’un côté, remettre de l’ordre à l’intérieur d’une nouvelle circonscription au territoire désormais élargi, elles ont conduit, d’un autre côté, à démultiplier les effets de la concurrence, en nourrissant un choc inédit entre nouveaux titans territoriaux.

D’autres réformes ont toutefois bien eu pour effet de les priver de marges de manœuvre. On songe d’abord ici à l’abrogation de la taxe professionnelle puis de ses succédanés. Car la disparition programmée des impôts de production prive effectivement les territoires d’un important levier sur lequel ils pouvaient jouer pour se rendre attractifs.

On songe ensuite au « zéro artificialisation nette » imposée par la loi « Climat et résilience » à l’horizon 2050 qui privera en grande partie les territoires de leur possibilité d’offrir de nouveaux fonciers idéalement situés, en contrepartie de l’implantation ou du maintien des entreprises sur leur sol.

Tirer les enseignements de l’effet induit des réformes pour développer la collaboration territoriale

Sans doute les territoires savent-ils rivaliser d’ingéniosité pour contourner ces réformes et retrouver les moyens de se rendre plus attractifs. C’est ainsi que l’abrogation de la taxe professionnelle avait conduit certains maires ou présidents d’EPCI à abaisser ou supprimer le « versement transport » prévu par l’article L. 2333-64 du CGCT puisque celui-ci leur donne un pouvoir discrétionnaire en la matière.

Des dérogations restant en outre possibles au titre du ZAN en dessous de 10 000 mètres carrés de surface de vente pour les surfaces commerciales, les autorités locales seront sans doute amenées à jouer sur la superficie de leurs nouveaux projets dans les années à venir de même qu’à valoriser leurs friches industrielles lorsqu’elles en ont. Le but devenant de conserver un maximum de marge de manœuvre pour l’urbanisme économique, afin de conforter l’attractivité de leur circonscription.

En l’état actuel des choses, ces concours Lépine de l’attractivité territoriale restent permis par les réformes dont l’objet premier n’est, comme on l’a dit, pas de mettre un terme à ce jeu entre administrations locales.

Mais les transitions imposant plus de collaboration de leur part, cet effet induit retient malgré tout l’attention comme une piste à explorer pour catalyser la substitution d’une démarche plus collaborative à l’approche concurrentielle héritée des années 1970-1980 car il n’est pas aberrant de penser que pousser les administrations locales à davantage collaborer suppose dans certains cas d’abord de les priver des moyens de se faire concurrence, surtout lorsqu’un territoire ne se développe qu’au détriment de ses voisins.

D’autant que les réformes précédentes de la fiscalité locale ont conduit les élus à repenser leur offre de service territoriale. Lorsque l’abrogation de la taxe professionnelle a été compensée par la hausse des taxes foncière et d’habitation, certains édiles ou président d’EPCI avaient en effet été amenés à réorienter les services publics locaux dans un sens compatible avec l’attente des ménages. De sorte que la suppression des pouvoirs de taux des administrations locales a aussi des vertus puisque leur compensation par l’État rend les élus moins dépendants des pressions des contribuables dans leurs orientations stratégiques. Ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose vis-à-vis des choix parfois difficiles à opérer face aux transitions.

De ce point de vue, l’enjeu n’est ainsi pas tant le maintien d’un pouvoir de taux local que la sanctuarisation des versements de l’État sur la durée, pour ne pas vider le principe de libre administration de sa substance en rendant les territoires trop dépendants de lui.

Mais la question fédère déjà les acteurs locaux. Si bien qu’elle confirme en creux leur capacité à collaborer au service d’un intérêt commun.

C’est dire que les transformations à l’œuvre conduiront probablement à recentrer les bienfaits de la concurrence sur le secteur privé, ces derniers n’étant pas remis en cause dans son principe le concernant dès lors que la capacité d’innovation des entreprises et l’effet de diffusion du jeu du marché reste l’un des principaux leviers d’action face aux défis qui nous attendent.

L’effet induit des réformes opérées dépossédant de façon collatérale les territoires des moyens de se faire concurrence peut pour toutes ces raisons être compris comme un moyen de priver les entreprises carbonées des moyens de les diviser pour mieux prospérer. Ce qui est conforme aux préconisation du GIEC, dès lors que la priorité n’est désormais plus à l’essor de n’importe quelle activité économique mais à la croissance de celles qui seront un atout face au dérèglement climatique.

Chacun se fera sa propre opinion. Mais le débat mérite au moins d’être posé : faut-il dans le contexte des transitions priver les territoires des leviers de se faire concurrence ?

Fabien Bottini, Consultant, Professeur à Le Mans Université, Membre de l’IUF

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