L’affaire dont le Conseil d’État a eu à connaître concerne un immeuble ayant fait l’objet d’une démolition d’office en exécution d’un arrêté de péril pris par le maire de la commune de Beaulieu en raison du risque d’effondrement imminent de la construction.
Le contexte de cette affaire
Confronté à des désordres importants affectant deux immeubles mitoyens, le maire de la commune de Beaulieu a été contraint, en 2008, de mettre en demeure le propriétaire de l’immeuble principalement touché d’intervenir pour prévenir les chutes de pierres et un effondrement de son bâtiment.
En 2011, un premier expert judiciaire, désigné à la demande de ce propriétaire, a constaté l’existence de graves fissures sur le mur mitoyen et a conclu à l’existence d’un risque imminent d’effondrement de son immeuble et de dégradations connexes sur les constructions voisines, ainsi qu’à un risque imminent d’effondrement de l’escalier d’accès du second immeuble avec un effet d’entraînement sur la structure du bâtiment.
Le juge judiciaire a condamné le propriétaire de l’immeuble dont l’escalier présentait un risque d’effondrement, à faire réaliser, dans un délai de trois mois, les travaux de démolition et de réfection prescrits par l’expert sur les deux immeubles et sur le mur mitoyen.
Ce propriétaire n’ayant pas procédé aux travaux, deux experts ont successivement été désignés par le juge administratif à la demande du maire de Beaulieu sur le fondement de l’article L. 511-3 du Code de la construction et de l’habitation alors en vigueur.
Les deux experts ont estimé que l’immeuble en cause était en état de ruine et présentait un risque d’effondrement imminent sur le domaine public et sur la propriété voisine. Chacun a conclu à l’existence d’un péril grave et imminent et préconisé la démolition de l’immeuble.
Au vu de ces expertises, le maire de Beaulieu a pris, le 31 décembre 2013, un arrêté de péril imminent prescrivant au propriétaire de l’immeuble de prendre toutes les mesures pour garantir la sécurité publique en procédant à sa démolition.
Ce propriétaire n’ayant entrepris aucune action, le maire a fait exécuter d’office et aux frais de celui-ci, les travaux de démolition, puis a émis, en décembre 2015, deux titres exécutoires pour le recouvrement des frais de démolition s’élevant à 42 000 euros.
Contestés par le propriétaire, ces titres ont été annulés par un jugement définitif du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 2 février 2017, au motif que le maire, en ordonnant la démolition de l’immeuble par un arrêté de péril pris en application de cet article L. 511-3, avait méconnu l’étendue des pouvoirs qu’il tenait de cet article.
Sur la base d’une délibération du conseil municipal du 20 avril 2018 le mandatant pour remettre ces sommes à la charge du propriétaire sur le fondement de l’enrichissement sans cause, le maire a émis, en novembre 2018, deux nouveaux titres exécutoires qui ont été contestés par l’intéressé devant le juge administratif.
Son recours ayant été rejeté par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand puis par la Cour administrative d’appel de Lyon, le propriétaire s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’État.
Face à un péril imminent touchant un immeuble menaçant ruine, le maire ne peut ordonner, au titre de son pouvoir de police administrative spéciale, que des mesures provisoires
Dans sa décision du 4 juillet 2024, le Conseil d’État rappelle le cadre juridique relatif à la police des immeubles menaçant ruine, qui était défini dans le Code de la construction et de l’habitation1 jusqu’au 31 décembre 20202 .
En cas de péril résultant de l’état d’un immeuble, l’article L. 511-2 de ce Code, dans sa rédaction alors en vigueur, permettait au maire de prendre, après une procédure contradictoire, un arrêté de péril ordonnant au propriétaire d’exécuter les travaux nécessaires pour mettre fin au danger ou de démolir l’immeuble menaçant ruine si la démolition était la seule mesure adéquate.
À défaut d’exécution par le propriétaire et après une nouvelle mise en demeure, le maire pouvait faire procéder d’office et aux frais de celui-ci à l’exécution de travaux prescrits.
Toutefois, la démolition ne pouvait être réalisée d’office par la commune et aux frais du propriétaire qu’après ordonnance du juge judiciaire statuant en référé.
En cas d’un péril imminent résultant toujours de l’état de l’immeuble, l’article L. 511-3 du même Code n’autorisait le maire qu’à prescrire, aux frais du propriétaire, des mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité, sans possibilité d’ordonner la démolition de l’immeuble.
Tout arrêté ordonnant la démolition d’un immeuble sur ce fondement était donc entaché d’une illégalité touchant au champ d’application de la loi et devant être relevée d’office par le juge saisi d’un recours contre l’arrêté3.
La démolition immédiate d’un immeuble présentant un péril grave et imminent ne peut être décidée par le maire que dans le cadre de son pouvoir de police administrative générale
Au titre de son pouvoir de police administrative générale qui vise à prévenir les atteintes à l’ordre public4, le maire peut prendre toute mesure qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publique ; ce qui comprend notamment la démolition ou la réparation des édifices menaçant ruine.
La gravité ou l’imminence d’un danger donne au maire la possibilité de prescrire l’exécution des mesures exigées par les circonstances5, dont la démolition de l’immeuble.
Le Conseil d’État confirme ici sa jurisprudence antérieure selon laquelle, « en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent qui exige la mise en œuvre immédiate d’une mesure de démolition, le maire ne peut l’ordonner que sur le fondement des pouvoirs de police générale qu’il tient des dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales »6.
Si les travaux prescrits par le maire au titre de son pouvoir de police administrative générale sont à la charge de la commune, celle-ci peut en demander le remboursement au propriétaire privé
Lorsqu’elle procède à l’exécution d’office des mesures prescrites par le maire en vertu de son pouvoir de police administrative spéciale, la commune se substitue au propriétaire défaillant et les frais qu’elle engage sont à la charge de celui-ci.
En revanche, lorsque le maire fait usage de son pouvoir de police administrative générale, les travaux qu’il prescrit pour faire cesser la situation d’urgence sont réalisés aux frais de la commune.
Dans sa décision du 4 juillet 2024, le Conseil rappelle néanmoins que la commune a la possibilité d’obtenir du propriétaire privé le remboursement des frais exposés par elle à l’occasion des travaux entrepris, y compris pour les frais de démolition de l’immeuble, en invoquant la responsabilité civile de ce propriétaire à raison d’une faute ou de son enrichissement sans cause7.
Il précise que, dans cette hypothèse, « la contestation de la créance invoquée par la personne publique constitue, quel que soit son mode de recouvrement, un litige relevant de la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire, en l’absence d’une disposition législative spéciale régissant une telle action civile ».
Dans le cas d’espèce, le Conseil d’État considère que les travaux de démolition ordonnés en raison de l’état de ruine de l’immeuble s’inscrivaient dans le cadre du pouvoir de police administrative générale du maire et qu’ils ne pouvaient être réalisés qu’aux frais de la commune. Si bien que le litige portant sur le remboursement par le propriétaire des sommes exposées par la commune relevait de la compétence de la juridiction judiciaire.
Il censure donc les arrêts et jugements de la Cour administrative d’appel et du tribunal administratif, qui s’étaient estimés à tort compétents pour connaître du recours exercé par le propriétaire contre les titres exécutoires émis par le maire de Beaulieu.
Si le cadre juridique relatif aux immeubles menaçant ruine a été profondément modifié en 2020, la solution retenue par le Conseil d’État dans son arrêt du 4 juillet 2024 reste pertinente au regard des nouvelles règles entrées en vigueur au 1er janvier 2021.
Donatien de Bailliencourt, Avocat Associé, HMS Avocats
1. Articles L. 511-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation.
2. L’ordonnance n° 2020-1144 du 16 septembre 2020 relative à l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations, a modifié ce régime juridique en supprimant la distinction entre les bâtiments menaçant ruine et les bâtiments insalubres et en instituant une police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations.
3. CE, 6 novembre 2013, M. Goin c. Ville de Cayenne, req. n° 349245.
4. Article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales.
5. Article L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales.
6. CE, 6 novembre 2013, M. Goin c. Ville de Cayenne, req. n° 349245.
7. CE, 11 juillet 2014, Copropriété les Hauts de Riffroids, req. n° 360835.