Entretien avec Sébastien Taupiac, Directeur Santé à l’UGAP, administrateur de l’Association pour l’Achat dans les Services Publics (APASP)

Publié le 26 mars 2020 à 13h28 - par

Dans le contexte de crise sanitaire liée à la propagation du Covid-19, l’UGAP, en tant que centrale d’achat grossiste et opérateur historique des établissements hospitaliers et médico-sociaux, est en première ligne et est très fortement sollicitée. L’UGAP, qui a activé son plan de continuité d’activité, est pleinement opérationnelle.

Entretien avec Sébastien Taupiac, Directeur Santé à l'UGAP, administrateur de l'Association pour l'Achat dans les Services Publics (APASP)

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Covid-19 : crise sanitaire, le point sur les services publics
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Quel est l’impact de la « mise à l’arrêt » du pays sur les entreprises du secteur de la santé ?

Cette crise est unique par son ampleur mondiale et par ses conséquences sanitaires, sociales, et économiques. Les entreprises du secteur de la santé, bien que très majoritairement implantées en France, sont de taille diverse et pour la plupart très souvent concernées par des circuits mondiaux, européens, et nationaux d’approvisionnement (matières premières, pièces, sous-ensemble, etc). Qu’elles soient fabricantes ou distributrices, toutes les entreprises sont concernées. La période de confinement, qui s’étend à l’échelle mondiale, a naturellement des impacts sur les processus et les organisations.

Toutefois derrière ce tableau un peu noir et nous le constatons à l’UGAP, la mobilisation sans précédent des personnels et des capacités de production auront permis jusqu’à présent d’approvisionner les établissements de santé notamment en équipements médicaux. Des sujets essentiels et spécifiques comme les masques ou encore les gels hydro-alcooliques demeurent difficiles à opérer pour la centrale.

Au-delà le confinement national induit des perturbations sur l’ensemble des chaînes logistiques et donc sur les délais de livraison.

Les acheteurs ne sont pas les seuls impactés. Les entreprises elles-mêmes sont impactées par la fermeture des établissements publics, l’impossibilité de livrer (et donc l’obligation de financer des coûts de stockage), l’impossibilité de réaliser les prestations de service ou encore des retards voire absence de paiement en raison des perturbations dans les chaînes publiques de facturation et de paiement.

Les entreprises sont-elles en mesure de répondre à la crise et aux besoins – voire aux pénuries sur certains produits – des établissements médicaux et hospitaliers ?

La crise étant mondiale, tous les pays cherchent à peu près au même moment à s’approvisionner sur les mêmes produits (équipements et consommables associés). Il existe donc des tensions réelles d’approvisionnement voire des ruptures sur certains produits notamment consommables et équipements médicaux. Mais les entreprises du secteur médical ne sont pas les seules concernées ! Les établissements de santé ont besoin quotidiennement de différentes fournitures et services (nettoyage, gardiennage…) y compris dans des domaines tels que l’informatique (postes de travail, visioconférence, logiciels, solutions de télétravail, cybersécurité…).

Les centrales d’achat comme l’UGAP ont-elles un rôle à jouer pour relever ces défis urgents ?

L’UGAP en tant que centrale d’achat grossiste et opérateur historique des établissements hospitaliers et médico-sociaux est en première ligne et est très fortement sollicitée. Elle l’est également par l’État et les collectivités notamment dans la fourniture d’équipements de protection individuelle ou encore de solutions hydro-alcooliques.

L’UGAP a activé son plan de continuité d’activité et est pleinement opérationnelle. L’UGAP fait notamment partie des acteurs publics, qui avaient initié un positionnement fort en matière de télétravail, d’outils collaboratifs ou de digitalisation de ces processus.

La situation actuelle démontre d’ailleurs toute l’importance du modèle en achat pour revente de la centrale, approche qui la distingue en Europe et en France des autres centrales d’achat. Car ce n’est plus actuellement pour la dispense de procédures de marchés publics qu’elle octroie que nous sommes recherchés mais bien par notre capacité à piloter près d’1,4 million de références actives issues de plus de 3 400 marchés actifs et proposées par 700 fournisseurs (dont une part très importante de PME).

La mobilisation multicanale et opérationnelle (vente assistée, centre de contact multicanale et site e-commerce) permet d’honorer encore un volume significatif de commandes, associé à la mobilisation de tous les collaborateurs et notamment des 90 acheteurs dans le pilotage des marchés. Nos acheteurs sont en contact quotidien actuellement avec leurs fournisseurs.

Un pilotage temps réel vécu aussi par les fournisseurs comme une opportunité (centralisation des commandes et des factures mais surtout un paiement fiable à 30 jours). Ceci leur permet d’alléger leurs tâches administratives et de se concentrer sur les enjeux de fabrication ou de distribution.

Cette crise devrait faire rejaillir de nombreux sujets : professionnalisation des achats, externalisation auprès des opérateurs, digitalisation des processus, travail collaboratif…

Le droit est, malgré les souplesses légitimes octroyées en cette période si particulière, d’un recours limité. Il faut toutefois en cette période rester vigilant car le droit reste présent et passé cette crise, de nombreuses problématiques liées à l’exécution voire à la pertinence juridique de certaines décisions pourraient se poser (hausses de prix, changements de produits, procédures en urgence impérieuse et leur justification, application de pénalités…).

En pratique, les acheteurs publics sont-ils armés pour répondre aux aléas d’exécution des contrats rencontrés actuellement ?

Je crois, en toute humilité, que personne n’était vraiment prêt à affronter une telle crise. Les services achats sont fortement perturbés tant au niveau de l’État que des collectivités ou des établissements de santé. Ces difficultés sont d’ailleurs souvent liées au retard pris par de nombreuses organisations en matière de télétravail, d’outils collaboratifs ou encore de digitalisation des processus.

Au-delà du Code de la commande publique et des clauses d’exécution des contrats, se pose avant-tout la question de la capacité des titulaires à exécuter les contrats ! Et ce malgré une disponibilité et un engagement majoritairement remarquables.

Allongement des délais, augmentation des prix, produits de substitution, admission partielle… de nombreux acheteurs publics découvrent l’importance de la phase d’exécution des contrats et leur pilotage ! Qui plus est et je le rappelle, la dématérialisation des marchés publics s’est souvent arrêtée à la notification.

Au-delà des questions d’exécution, se pose dès à présent le report des dates limites de dépôt des offres des procédures en cours ainsi que le report des publications à venir, les entreprises étant dans l’incapacité de répondre aux procédures durant cette période restant d’ailleurs incertaine en termes de durée et de répétition.

Nous estimons à 18 à 24 mois l’impact sur notre programmation achat à l’UGAP. Nous travaillons dès à présent sur ce sujet pour évaluer et limiter tous les impacts.

Y-a-t-il une forme d’« union nationale » des acteurs du secteur de la santé ?

Tous les acteurs sont mobilisés qu’ils soient du secteur public ou du secteur privé. La situation sanitaire est suffisamment grave pour que tous les moyens disponibles soient mobilisés. De nombreuses cliniques ont d’ailleurs témoigné de leur disponibilité et de leur engagement sans oublier les établissements transfrontaliers.

Propos recueillis par Julien Prévotaux