Gestion de l’eau et de l’assainissement : dialogue de sourds entre préfets et sénateurs

Publié le 5 novembre 2025 à 9h00 - par

La loi du 11 avril 2025 visant à assouplir la gestion des compétences eau et assainissement est revenue sur le caractère obligatoire du transfert de ces dernières aux intercommunalités au 1er janvier 2026. Pour autant, les maires constatent sur le terrain que les agences de l’eau, dont les préfets assurent la coordination, conditionnent toujours l’octroi des aides à un portage intercommunal. Ce dont se défendent les préfets interrogés lors d’une table ronde le 23 octobre, assurant que les communes ayant directement en charge la gestion de l’eau et de l’assainissement sont traitées sur un même pied d’égalité. Une mission d’informations du Sénat fait le constat contraire. Reste à savoir qui dit vrai…

Gestion de l'eau et de l'assainissement : dialogue de sourds entre préfets et sénateurs
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La table ronde du 23 octobre 2025 réunissant plusieurs préfets coordonnateurs et directeurs généraux des agences de l’eau, organisée dans le cadre des travaux de la mission d’information sur l’accompagnement des collectivités territoriales par les agences de l’eau, avait le mérite de réunir autour de la table préfets et sénateurs dans l’optique de répondre à une question simple : les communes exerçant la compétence eau et assainissement sont-elles moins soutenues financièrement par les agences de l’eau du fait de leur moindre empressement à franchir le gué intercommunal ? Au bout d’une heure et demie d’échanges francs et directs, une conclusion s’impose : chacun est resté sur ses positions, poussant Gérard Lahellec, sénateur des Côtes-d’Armor, un des deux rapporteurs de la mission d’information, à s’étonner : « La réalité que vous nous décrivez est très éloignée de celle que les maires nous remontent. Nous n’avons visiblement pas les mêmes interlocuteurs ».

Les préfets réfutent le principe d’une préférence intercommunale

Bernard Delcros, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, a d’abord planté le décor : « La majorité des agences de l’eau ont adopté fin 2024 leur douzième programme, avec des  dispositifs qui étaient fondés sur le droit de l’époque, à travers le transfert de la compétence eau aux intercommunalités en janvier 2026. Comment les agences ont-elles adapté leurs dispositifs pour tenir compte de l’évolution de la loi ? Il nous est apparu que le périmètre de l’intercommunalité, souvent en milieu rural, n’était pas toujours pertinent pour la gestion de l’eau. Dans mon  département (Ndlr, Cantal), certaines intercos sont à cheval sur deux  agences de l’eau. Le bassin versant ou le bassin de vie paraissent plus pertinents que le découpage administratif. Nous pensons qu’il revient aux élus locaux de définir le périmètre qui leur paraît le plus pertinent ». Marc Guillaume, préfet d’Île-de-France, assure que « les agences de l’eau s’adaptent aux spécificités territoriales du bassin » et que les « aides octroyées ne sont pas conditionnées par le portage intercommunal des projets, mais la qualité des projets présentés ». Certes, en Île-de-France, les aides sont plus fléchées vers les intercommunalités et les syndicats mixtes parce que ces dernières « englobent une population plus large ». In fine, entre 2019 et 2024, 334 M€ ont été octroyés aux communes contre plus de 2 Md€ aux EPCI pour des raisons relevant de la logique organisationnelle.

Pragmatisme territorial

Jacques Witkowski, préfet de la région Grand Est, précise que 530 communes sont encore autonomes dans la gestion de ces compétences sur les 3 300 concernées et que les compétences sont gérées par 235 EPCI à l’échelle régionale. « On sent une tendance aux regroupements. Je suis préfet depuis plus d’un an et donc coordonnateur de bassin et je n’ai pas eu de remontée de réarbitrage de la part d’une commune. La question qui se pose est celle de l’échelle de la gouvernance locale devant répondre à une pertinence hydrologique qui doit l’emporter sur toute autre considération ». Préfet de la région des Hauts-de-France, Bertrand Gaume confirme, à l’instar de ses collègues, que toutes les communes sont aidées, « le plafond d’éligibilité au programme étant très bas, à hauteur de 10 000 €. Nous encourageons les solutions mutualisées, mais de façon pragmatique en fonction des attentes des élus ».

« Si tout allait bien, on ne serait pas là aujourd’hui »

Les sénateurs n’en sont pas convaincus : « Vous nous avez dit que vous ne prenez pas en compte le statut juridique de la collectivité. Les remontées de terrain montrent que les choses ne sont pas aussi fluides. La question de la pertinence du périmètre du maître d’ouvrage revient souvent. Qui en décide ? Les élus nous disent que certaines démarches de mutualisation ne sont pas considérées comme pertinentes. Certaines agences assurent que les périmètres ne sont pas bons alors que ce sont aux élus, selon la loi, de le décider. Les élus n’ont donc pas de visibilité », affirme ainsi Bernard Delcros. Même perplexité du côté de Gérard Lahellec, sénateur des Côtes-d’Armor et rapporteur de la mission d’informations. « Il y a une grande diversité géographique, hydrographique et peut-être même un peu politique dans les bassins. Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant qu’il y ait tentation de centralisation, car coordonner une telle situation n’est pas simple. Les lois précédentes à celle du 11 avril 2025 n’ont jamais indiqué que le périmètre pertinent était l’intercommunalité. Je ne dis pas que la commune va régler tous les problèmes. Il est clair, au regard de ce que vous nous dites, que nous n’avons pas les mêmes interlocuteurs. Sur le terrain, beaucoup de maires assurent que l’acceptabilité d’un dossier est fonction du transfert ou pas à l’interco. Vous nous dites que ce n’est pas le cas, je vous invite à réviser vos infos car si tout allait bien, on ne serait pas là aujourd’hui ». Cédric Vial, sénateur de la Savoie, s’avoue « un peu surpris. Soit vous êtes mal informés, soit nos interlocuteurs racontent des mensonges ».

Maires « perdus » en quête de visibilité

Visiblement piqué au vif, Marc Guillaume confirme que les interlocuteurs ne sont pas les mêmes, puisque 334 M€ sont attribués aux communes isolées. « Vous nous parlez de gouvernance hypercentralisée. Je ne sais pas ce que c’est. J’ai six délégations départementales, on ne peut pas faire plus proche ! Et 70 % des décisions prises le sont par ces délégations départementales ». Jacques Witkowski pointe quelques chiffres qui pourraient expliquer les raisons des désaccords : « 76 % des refus sur la plateforme de demandes des aides relèvent de l’inéligibilité des demandes ». En conclusion, Bernard Delcros assure que « les élus sont perdus et manquent de visibilité ». La prochaine fois, il faudra peut-être inviter quelques maires « perdus » à la table ronde.

Stéphane Menu


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