L’État central doit mieux faire
Si la commande publique représente 400 milliards d’euros par an en France selon l’Union européenne, la commande publique est principalement portée par les collectivités territoriales, qui représentaient, en 2023, 80 % de l’ensemble des marchés publics, contre seulement 8 % pour l’État et 12 % pour les entreprises publiques et les opérateurs de réseaux. Une part importante de ces marchés est en pratique réalisée par le biais de centrales d’achat. La principale d’entre elles, l’Union des groupements d’achats publics (UGAP), représente à elle seule près de 3 % des marchés publics français, avec des commandes enregistrées d’un montant de 5,9 milliards d’euros en 2024, en progression de 6,2 % en un an. Le rapport concentre un enchevêtrement de compétences entre les acteurs centraux de l’achat public. Aucune administration ne peut être sérieusement qualifiée de « pilote » de la commande publique à l’échelle nationale, que ce soit la Direction des achats de l’État (DAE), la Direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l’Économie ou encore le Commissariat général au développement durable (CGDD). Face à ces défaillances, la commission d’enquête juge indispensable de confier au Premier ministre la responsabilité du pilotage, de la cohérence et de l’efficience de la commande publique en France et de mieux associer le Parlement à son suivi à l’occasion d’un débat annuel consacré à la politique d’achat de l’État. Le rapport constate également les difficultés de l’État à faire face au défi de la transition écologique. Alors que les achats de l’État représentent 23 % de ses émissions totales de gaz à effet de serre, soit 10 millions de tonnes en équivalent CO2 chaque année, la transformation de la commande publique selon un modèle responsable apparaît depuis quelques années comme un objectif prioritaire afin de mener à bien une transition écologique globale. Pourtant, les obligations environnementales instaurées ces dernières années en matière de commande publique font l’objet d’une application lacunaire. Enfin, la commission d’enquête a relevé, au cours de ses travaux, des difficultés persistantes de l’État à soutenir, dans le cadre de ses marchés publics, des start-ups ou PME françaises et européennes innovantes ainsi qu’à garantir la protection pleine et entière des données publiques.
Pour une préférence européenne
Dans le cadre de la révision des directives européennes, la commission d’enquête estime que l’accent doit être mis sur la préférence européenne, sur le modèle de dispositions en vigueur de longue date aux États-Unis et résumées sous l’appellation Buy American Act, qui imposent un régime de préférence nationale dans les achats fédéraux, sauf prix déraisonnable de l’offre. « Sans enfreindre les engagements internationaux de l’Union européenne, il lui appartient de faire preuve de moins de naïveté à l’égard de ses partenaires, qui ferment leurs marchés publics à ses entreprises tandis qu’ils profitent des siens ». L’évolution du contexte international appelle à soutenir par la commande publique les entreprises européennes, dans le cadre du marché intérieur. La préférence européenne doit être générale et non limitée à certains secteurs particuliers. La commission d’enquête appelle à instaurer, dans le cadre de la révision des directives européennes sur la commande publique, un principe général de préférence européenne dans les achats des personnes publiques. Elle revendique l’introduction d’une exception alimentaire au droit de la commande publique, permettant de faciliter, notamment pour les collectivités territoriales, le recours à des producteurs locaux et à des circuits courts d’approvisionnement.
Simplification des règles de la commande publique : passer du slogan à l’action
Il convient de libérer les acheteurs publics des normes excessives. Aujourd’hui, l’extrême complexité des règles de la commande publique pèse en grande partie sur les acheteurs publics, freinant les bonnes volontés. La commission d’enquête a notamment relevé l’enchevêtrement des procédures et des règles de publicité, qui suscite de la complexité et de l’insécurité juridique, comme l’illustrent les contradictions de la jurisprudence administrative au sujet de la qualification juridique d’un marché négocié attribué après sollicitation de trois devis. En outre, en dehors de quelques cas, les marchés les plus importants sont paradoxalement les seuls à ne pas pouvoir être négociés. Selon les sénateurs, les acheteurs publics devraient pouvoir négocier librement tous leurs marchés, dans le respect des principes fondamentaux du droit de la commande publique. Une véritable simplification du droit de la commande publique s’impose qui pourrait notamment reposer sur la suppression de la procédure adaptée, laquelle n’est pas imposée pas le droit européen, et l’extension du champ de la procédure négociée jusqu’aux seuils européens des procédures formalisées. Il s’agirait ainsi d’autoriser, pour tous les pouvoirs adjudicateurs, de recourir librement à une procédure formalisée avec négociation, sans avoir à le justifier.
Enfin, la commission d’enquête juge donc que la constitution d’un outil statistique national public et transparent est un objectif prioritaire pour la performance de la commande publique et préconise en conséquence de prévoir le recensement des données des marchés publics dès le premier euro dépensé.
Dominique Niay
Source : Rapport de la commission sénatoriale d’enquête sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d’entraînement sur l’économie française, 9 juillet 2025
