Dominique Faure : “Dire à nos maires qu’on les aime”

Publié le 21 novembre 2023 à 8h00 - par

Son pas est rapide, son agenda bien rempli et sa détermination intacte. Entre deux réunions de travail à Paris, des visites dans les territoires, des interventions dans différents congrès partout en France, Dominique Faure, ministre déléguée aux Collectivités territoriales et à la Ruralité, a répondu à nos questions sur les sujets qui intéressent la fonction publique territoriale : aménagement, décentralisation, budget 2024, statut des élus…

Dominique Faure : “Dire à nos maires qu'on les aime”
© Photo ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires

L’adhésion de certains élus à la loi zéro artificialisation nette (ZAN) et à ses objectifs est compliquée ? Comment convaincre, inciter, rassurer, notamment le territoires ruraux ? Quels scénarios pour l’aménagement de ces territoires ?

Je pense que sur ce sujet, il faut revenir à ce qu’est la loi pour dépassionner la chose. L’interdiction n’est pas brutale et immédiate, elle se fait en deux temps : 2030 pour la division par deux des consommations d’espaces naturels, agricoles et forestiers, par rapport au rythme de la décennie écoulée, 2050 pour le zéro artificialisation nette. C’est donc un objectif, avec du temps pour le réaliser.

Parallèlement, il est impossible d’ignorer la nécessité pour notre pays d’engager sa transition écologique. Pour avoir rencontré depuis plus d’un an plusieurs milliers d’élus, je sais qu’ils partagent cette vision et le besoin de préserver nos terres de l’artificialisation. Et parfois, on le sait bien lorsque l’on est maire, tenir un cap nécessite de prendre des décisions difficiles…

J’ai d’ailleurs conscience que la mise en œuvre de cette politique écologique a besoin d’accompagnement, d’informations, d’écoute de tous et notamment des services de l’État. Le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires est en train de préparer un guide complet à l’attention des élus et notamment des maires sur la mise en œuvre de la garantie communale, définie par une loi d’ajustement que nous avons voulu, avec Christophe Béchu, dès l’été 2022. Je resterai à l’écoute comme je l’ai toujours fait des élus locaux sur ce sujet comme sur les autres.

« Il faut davantage partir du local pour construire nos institutions et nos politiques décentralisées »

L’autonomie promise à la Corse fait des envieux. Droit à la différenciation, davantage de décentralisation demandée, obtention de nouvelles compétences, liberté d’action… Comment y répondre ? Et quelle place pour l’État ?

Le président de la République a fait de la différenciation une nouvelle manière de « décentraliser autrement ». Il n’y a pas de raison de vouloir traiter toutes les situations et tous les territoires de la même manière, et nous avons souhaité faire du principe de différenciation un élément central des nouvelles modalités de décentralisation.

Jusque-là, la décentralisation a été essentiellement menée de manière descendante : l’État, décisionnaire, impose une répartition institutionnelle de manière uniforme, parfois au mépris du terrain et du bon sens. Il faut davantage partir du local pour construire nos institutions et nos politiques décentralisées.

C’est ce que nous avons commencé à faire en matière institutionnelle, avec les collectivités à statut particulier, qui se sont développées, à l’instar de la métropole de Lyon en 2015 (mais également Aix-Marseille-Provence en 2016, la collectivité territoriale de Corse en 2018, la Ville de Paris en 2019 ou encore la collectivité européenne d’Alsace en 2020), et je souhaite que ce mouvement se poursuive.

C’est également le cas en matière de compétences. La loi 3DS de 2022 consacre en effet le principe de la différenciation territoriale dans la loi et renforce la capacité des collectivités territoriales à proposer des adaptations du droit à leurs particularités et à leurs attentes. Nous avons d’ores et déjà instruit des demandes et les premières adaptations devraient commencer à être mises en œuvre très prochainement.

La loi 3DS a en outre étendu le pouvoir réglementaire local dans plusieurs champs de compétences des collectivités territoriales permettant là encore de supprimer le recours au pouvoir réglementaire national ou d’en restreindre le champ aux éléments essentiels, afin de simplifier la vie des élus et de s’adapter au contexte local.

« Ancrer ensemble, État et collectivités, la transition écologique dans les territoires. »

Les collectivités territoriales sont au cœur des priorités budgétaires 2024. Le soutien à la transition écologique, et son accélération, est un des axes majeurs. Moyens, ingénieries, plan France ruralités sont déployés. Cela est-il suffisant pour changer de paradigme et installer l’écologie au cœur, en particulier, des politiques locales, intercommunales ?

Depuis 2017, nous souhaitons travailler côte à côte avec les collectivités, et non face à face. L’agenda territorial est l’illustration de notre méthode nouvelle : travailler ensemble pour construire une feuille de route commune et discuter, le plus en amont possible, des réformes politiques. Il nous a permis de préparer ce budget avec les collectivités dans la confiance et la sérénité.

Cette année encore, nous faisons le choix de protéger les collectivités territoriales face à la hausse des prix et de les soutenir dans les défis de la territorialisation de la transition écologique ! Nous poursuivons, pour la seconde année consécutive, la hausse de la DGF pour les communes les plus fragiles, soit une hausse de 540 millions d’euros en deux ans.

Nous soutenons massivement, comme en 2023, l’investissement local, avec un effort inédit de 12 milliards d’euros dont 2,5 milliards d’euros de fonds vert et l’intégration des dépenses d’aménagement au FCTVA. Nous renforçons enfin l’équité et la cohésion territoriale avec un soutien accru aux territoires ruraux pour répondre à leurs besoins spécifiques, notamment avec le plan France ruralités, mais également leur donner les moyens de préserver leur patrimoine naturel, ainsi avec la dotation aménités rurales et biodiversité.

Soutenir les collectivités face aux crises, c’est notre boussole depuis 2017 et le budget 2024 en est une nouvelle preuve. Grâce à lui, nous pourrons ancrer ensemble, État et collectivités, la transition écologique dans les territoires.

Condition de l’exercice, violence envers les élus, démission des maires : comment endiguer cette situation et soutenir les élus ? Quel discours tenir à l’occasion du Congrès des maires* ? Quelle concertation ? Quelles annonces doit-on retenir (revalorisation, statut de l’élu local) ?

Je pense que la première chose à faire est de dire à nos maires qu’on les aime et qu’on les respecte, et oser dire qu’on aime la République et qu’on la respecte. Voilà le discours que je tiens devant tous les maires que je rencontre.

Aujourd’hui, lorsque l’on est maire : plus rien n’est simple. C’est dramatique. Nous devons simplifier le quotidien du maire pour améliorer celui du citoyen. Cela commence par simplifier les règles, redonner les moyens d’agir à nos maires ; c’est pour ça qu’ils sont devenus maires : pour changer le quotidien ; il faut vraiment qu’ils en aient les moyens. C’est ce que j’ai commencé à faire avec France Ruralités, en déployant des outils et des moyens à leur disposition.

Avec David Lisnard, président de l’association des Maires de France (AMF), nous avons parallèlement lancé une démarche nationale, fondée sur trois exercices : le bilan de tout ce qui a déjà été proposé en matière de condition de l’exercice du mandat d’élu ; le lancement d’une grande enquête auprès des maires sur leur ressenti ; enfin l’organisation d’une convention nationale de la démocratie locale (CNDL) le 7 novembre pour y voir clair au moment du Congrès des maires, sur la base d’un grand conclave des élus locaux, qui rassemblera plus de 400 représentants de tous les territoires et de tous les corps d’élus locaux. En vue de ces discussions, j’ai souhaité qu’il n’y ait aucun tabou, nous avons donc ouvert tous les débats : indemnités, cumul des mandats, création d’un statut, rapport aux normes et règlementations, etc. Nous devons aujourd’hui partir sur des bases solides pour définir les actions à mener.

« C’est le devoir de l’État de protéger les élus et jamais je ne renoncerai à cette mission. »

Et enfin, quels sont vos objectifs et enjeux pour les prochains mois ?

Nous avons un grand défi devant nous pour les mois qui viennent. Faire que la démocratie locale continue à vivre, alors que les violences se multiplient et conduisent, dans beaucoup de situations à des démissions. Pour répondre à cette crise, ma priorité est de garantir la sécurité des élus en veillant au déploiement du plan national de prévention et de lutte contre les violences faites aux élus. Notre société est de plus en plus en proie à la violence, nous devons stopper cette spirale infernale, en particulier pour nos élus locaux. Ce sont les premiers défenseurs de la République, ce sont eux qui œuvrent au quotidien pour le bien des Françaises et des Français. C’est le devoir de l’État de les protéger et jamais je ne renoncerai à cette mission. Par ailleurs, il nous faut travailler à améliorer leur condition d’exercice et donc réfléchir à la création d’un statut de l’élu local pour s’assurer de l’attractivité de la fonction de maire. C’est un enjeu très fort des prochains mois.

Enfin, il faut veiller à la mise en œuvre du plan France Ruralités pour que plus aucun village de France ne se sente abandonné. Lutter contre le fait qu’un territoire se sente seul est l’un de mes combats. Je crois profondément en l’alliance des territoires, entre la coopération de l’urbain et du rural au service d’une société apaisée et de nouveau unifiée.

Propos recueillis par Jérémy Paradis

* Le Congrès et le salon des maires de France se déroulent à Paris, Porte de Versailles, du 21 au 23 novembre 2023.


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