Décentralisation : Éric Woerth plaide pour « une remise en ordre »

Publié le 9 février 2024 à 16h40 - par

Chargé d’une mission sur la décentralisation, qui doit rendre ses conclusions en mai, le député de l’Oise a déjà dessiné plusieurs pistes lors d’une audition devant les sénateurs. Parmi celles-ci : une clarification des compétences car « tout le monde fait tout », une redéfinition de l’intercommunalité, la territorialisation de la fiscalité nationale, davantage de pouvoirs accordés aux préfets…

Décentralisation : Éric Woerth plaide pour « une remise en ordre »
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Cela avait mal commencé avec la rumeur du projet qui courait de supprimer un niveau de collectivité. Chargé en novembre dernier par le président de la République d’une mission sur une réforme de la décentralisation pour « simplifier l’organisation territoriale et clarifier les compétences », Éric Woerth, député (Renaissance) de l’Oise et ancien ministre du Budget et des Comptes publics sous Nicolas Sarkozy, a rapidement voulu rassurer en évacuant cette hypothèse. Même s’il ne doit rendre ses conclusions qu’au mois de mai, il commence déjà à distiller certaines pistes. Auditionné le 8 février par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, il a redit sa volonté de ne pas supprimer une strate. Tout en soulignant qu’il ne s’agit pas encore de propositions, il se veut plus précis et cela avec des propos assez libres.

« Il faut respecter la loi »

À Françoise Gatel, sénatrice (UDC) d’Ille-et-Vilaine et présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités, insistant sur la « nécessité de plus d’efficacité et non pas d’un big bang territorial », l’ancien ministre répond avant tout clarification et approfondissement des compétences. « Il faut commencer par remettre de l’ordre », lâche-t-il. Et de préciser : « Pas de façon brutale mais pour respecter les lois et éviter que tout le monde fasse tout et donc en réalité rien. Les collectivités doivent se concentrer sur leurs compétences mais pas plus ». Le député de l’Oise cite l’exemple de l’aide des départements aux communes « qui en profitent souvent pour revenir sur le développement économique ». Et de tacler au passage les régions qui n’investiraient pas toujours l’intégralité de cette compétence. « La nature a horreur du vide », ironise-t-il.
Éric Woerth pointe « des financements croisés dans tous les sens » et préfère que chaque niveau de collectivité se concentre sur ses compétences obligatoires. « À défaut, le débat sur le nombre de strates va revenir », prévient-il. Il concède juste que les multiples interventions des collectivités peuvent se comprendre en période de crise, en particulier celle du Covid-19. Mais pas au-delà.

Clause de compétence générale

Autre critique : « Certaines collectivités n’utilisent pas totalement leurs compétences ». Pensant surtout les régions, il suggère « d’aller au bout du fait régional en s’appuyant sur leur grande taille ». Et d’évoquer aussi la piste de nouvelles compétences pour elles en matière de santé ou d’enseignement supérieur. En outre, le député de l’Oise suggère de « clarifier et approfondir certaines compétences déjà existantes. C’est le cas notamment de la grande compétence de solidarité des départements ne bénéficiant pas de fiscalité directement liée ».
Opposé à toute idée du retour de la clause de compétence générale pour les départements et les régions, il la défend uniquement pour les communes. « Il faut absolument la préserver car c’est l’élément fondamental de la démocratie locale, quelle que soit la taille de la commune », insiste-t-il. À ce sujet, il considère que cela justifierait « dans les EPCI de donner plus de pouvoirs au maire sur les sujets fondamentaux concernant sa commune ». Sur l’intercommunalité encore, il semble un peu en retrait en préconisant « une clarification juridique de la notion d’EPCI qui entraînerait une réduction du nombre de compétences obligatoires ».

Pas de jardin à la française

Plus globalement, sur le sujet des compétences des collectivités, Éric Woerth réfute tout idée de vouloir un jardin à la française. « Au contraire, je suis favorable à beaucoup d’adaptations locales, permises par la loi, notamment avec les délégations de compétences », explique-t-il. Et de prôner le recours à « tous les outils existants permettant de s’adapter et d’être au plus proche des préoccupations des citoyens ».
Se disant également très favorable à la contractualisation, il cite l’exemple « intéressant » des contrats de plan État-régions. L’ancien ministre se prononce en faveur d’une « contractualisation obligatoire » dans certains cas comme entre un département et une métropole lorsque celle-ci couvre une grande partie de son territoire.

Territorialiser la fiscalité nationale

« J’ai bien compris qu’on aimerait retrouver un lien direct entre le contribuable local et le citoyen mais il a été rompu progressivement, d’abord par la suppression de la taxe professionnelle puis de la taxe d’habitation », affirme Éric Woerth, en jugeant le sujet clos. « On ne va pas refaire le débat car cela a été voté », lance-t-il. Il évacue ainsi l’idée de rétablir les taxes supprimées ou de créer un nouvel impôt local.
Reconnaissant qu’une réforme des finances locales « ne peut pas se faire au fil de l’eau avec un peu plus de TVA », il se dit partisan de la territorialisation de la fiscalité nationale existante, avec une « liberté de fixation » pour les collectivités et un lien avec leurs charges les plus importantes. « J’aspire à un système où les régions, les départements et les communes aient une part de liberté dans leurs taux de fiscalité », ajoute-t-il.
Sur les dotations, le député de l’Oise balaye « tout fléchage inutile ». Autre piste avancée : globaliser les différentes dotations d’investissement et d’équipement (FNADT, DSU, DETR, Fonds vert, fonds des différentes agences…). « Il pourrait y avoir une part de pluri-annualité vu les demandes et les besoins des communes et des EPCI pour leurs projets », reconnaît-il.
Par ailleurs, il juge utile la mise en place d’une loi de programmation (trois ans) « pour fixer les grandes enveloppes ».

Plus de pouvoirs au préfet de département

Au sujet de la déconcentration, Françoise Gatel défend un « État qui puisse parler d’une seule voix dans les territoires avec un préfet de département chef d’orchestre des services et de leurs agents ». « Il serait logique qu’il ait plus de pouvoirs et d’autonomie de gestion pour mieux satisfaire les demandes des élus », lui répond Éric Woerth.
Insistant sur « le rôle politique important du préfet qui connaît bien son département et les élus, et doit pouvoir gérer toutes les injonctions contradictoires », il plaide pour lui donner une plus grande capacité d’arbitrage. Il cite ici l’exemple de l’administration de l’Éducation nationale et des cas de regroupements pédagogiques. « Le préfet a déjà aujourd’hui un pouvoir de dérogation mais qui reste factice car la décision doit remonter à l’administration centrale », admet-il, en estimant que cela doit changer.

Philippe Pottiée-Sperry


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