La Communauté de Communes de Marana-Golo, en Haute-Corse, a été confrontée à de graves irrégularités dans le recouvrement des créances de sa régie de l’eau. Entre 2019 et 2021, le taux de recouvrement a chuté drastiquement, passant de 63 % à 30 %, reflétant une accumulation de créances non perçues. Le préjudice financier, estimé à un minimum de 300 000 €, découle principalement d’une lenteur excessive dans la confection des rôles d’impayés (allant jusqu’à six mois), d’une collaboration insuffisante entre l’ordonnateur et les comptables (notamment l’absence de signature d’une convention partenariale pourtant prévue), et de l’intermittence des autorisations générales de poursuites. La perte d’archives en 2022 a également compliqué le suivi des créances. L’affaire a débuté par une communication de la chambre régionale des comptes Corse au parquet général après la Cour des comptes en octobre 2023. Suite à cette alerte, le ministère public a saisi la chambre du contentieux en novembre 2023. L’instruction a conduit à la mise en cause de plusieurs acteurs, dont M. Y, directeur général des services (DGS) de la communauté de communes, ainsi que M. X et Mme Z, comptables. La procédure a permis à toutes les parties de présenter leurs mémoires et de débattre du préjudice financier, garantissant le principe du contradictoire.
1. Les manquements du Directeur Général des Services
M. Y, en sa qualité de DGS, occupait une position clé au sein de la communauté de communes. Ses manquements, bien que non directement liés à l’émission des titres de recettes, ont contribué de manière significative à la dégradation du recouvrement :
- Lenteur administrative : une inertie notable dans la production des rôles d’impayés, point de départ des actions de recouvrement contentieux.
- Défaut de formalisation : l’absence de signature de la convention partenariale relative aux poursuites, pourtant approuvée en 2018, a privé la collectivité d’un cadre structurant pour le recouvrement.
- Gestion défaillante des autorisations de poursuites : les services de l’ordonnateur, sous sa responsabilité, n’ont pas assuré la continuité des autorisations générales de poursuites pour les comptables, entravant les mesures de recouvrement forcé.
- Passivité face aux alertes : malgré la dégradation manifeste du taux de recouvrement, et les alertes d’un audit interne, aucune mesure corrective d’envergure n’a été prise en temps utile.
Ces agissements ont été jugés comme une méconnaissance des règles d’exécution des recettes, contribuant directement au préjudice financier.
2. La responsabilité du Directeur Général des Services
La Cour des comptes a confirmé la justiciabilité de M. Y en tant que gestionnaire public. Il lui incombait de s’assurer de la bonne exécution des tâches relatives au recouvrement, notamment la rapidité dans l’établissement des rôles d’impayés, la mise en place effective de la convention de recouvrement et la fourniture des autorisations nécessaires aux comptables. Son rôle de supervision et d’organisation des services l’a placé au cœur de la chaîne de responsabilité. La Cour a estimé qu’il avait directement participé aux agissements ayant conduit au préjudice.
3. L’absence de sanction : des circonstances atténuantes reconnues
Malgré la reconnaissance de ses manquements et de sa responsabilité dans le préjudice subi, la Cour des comptes a décidé de dispenser M. Y de toute peine. Cette décision s’explique par plusieurs facteurs atténuants :
- Efforts d’amélioration : M. Y a ultérieurement œuvré pour améliorer la situation, notamment en réduisant le délai de confection des rôles d’impayés.
- Contexte de travail chargé : le DGS devait concilier la gestion des impayés avec d’autres objectifs majeurs pour la collectivité, tels que l’assainissement de la situation financière ou la prise en charge de nouvelles compétences.
- Hiérarchie et délégation : la Cour a pris en compte le fait que M. Y n’était pas l’ordonnateur principal et qu’il ne disposait pas de délégation pour la signature des titres de recettes. Son rôle était davantage celui d’un superviseur des services, et non d’un acteur direct de la régie.
Ces éléments ont conduit la Cour à considérer que, malgré ses défaillances, une sanction pécuniaire n’était pas justifiée dans son cas, à la différence des comptables qui ont été condamnés.
L’arrêt n° S-2025-0910 de la Cour des comptes constitue un rappel important des exigences de rigueur dans la gestion publique. Il souligne l’importance d’une collaboration efficace entre l’ordonnateur et le comptable et met en évidence le rôle central du directeur général des services dans la mise en œuvre des procédures de recouvrement. Si les manquements ont été clairement établis, la décision de dispenser le DGS de peine illustre la capacité de la Cour à moduler ses sanctions en fonction des responsabilités spécifiques de chacun et des efforts d’amélioration constatés. Cet arrêt offre une analyse nuancée des responsabilités dans le contexte complexe de la gestion des collectivités territoriales.
Dominique Volut, Avocat-Médiateur au barreau de Paris, Docteur en droit public