Vincent Lescaillez : “Le monde territorial a acquis une maturité en matière de gestion RH”

Publiée le 3 juillet 2024 à 10h10 - par

Entretien avec Vincent Lescaillez, président de l'Association des DRH des grandes collectivités (ADRHGCT), Directeur général adjoint RH et Administration de Bordeaux Métropole.
Vincent Lescaillez : “Le monde territorial a acquis une maturité en matière de gestion RH”

Photo © Bordeaux Métropole / Selon le président de l'ADRHGCT, 'la rémunération n'est qu'une branche d'une politique RH plus générale englobant tous les aspects de la politique sociale ou de la qualité du travail"

L’ADRHGCT fait partie des acteurs de la territoriale, aujourd’hui plus entendus par l’État en matière de gestion RH et de statut. Selon son président, certaines actions communes entre associations professionnelles, observées aussi au niveau des employeurs territoriaux, montrent une maturité qui permet de peser davantage. Volontariste, Vincent Lescaillez estime, après la journée du 31 mai sur le sujet de la rémunération, qu’il faut se saisir des outils existants et savoir être créatif. Un levier essentiel, selon lui, pour être un employeur attractif.

Vous êtes président de l’ADRHGCT depuis octobre 2023. Quelles premières leçons en tirez-vous ?

Tout d’abord, il y a une continuité entre les différentes présidences qui se sont succédées au sein de notre association. Chacune l’a emmenée un cran plus loin dans sa visibilité et dans son identification comme un interlocuteur sur les sujets propres à nos métiers de responsables de la gestion RH. Aujourd’hui, nous faisons partie des associations professionnelles reconnues et invitées par le gouvernement. Même si nous ne sommes pas toujours entendus, nous avons voix au chapitre. Mais il faut rester modeste car nous ne sommes pas les seuls à porter des propositions comme la simplification des déclarations de vacances d’emploi, l’entrée facilitée des apprentis dans la fonction publique ou les concours sur titre. Il existe une convergence sur quelques mesures pour nous simplifier la vie en tant que professionnel de la gestion RH qui sont sur le point d’être actées en droit.
L’autre intérêt d’une association comme l’ADRHGCT est de partager entre collègues et avec ceux qui tentent des initiatives sur tel ou tel champ de la politique RH.

On reproche parfois une action éparpillée des associations professionnelles avec donc moins d’efficacité. Est-ce toujours le cas ?

Pour gagner en efficacité, notre travail de lobbying doit en effet passer par plus de travail en commun avec les autres associations professionnelles et parvenir à parler d’une seule voix sur certains sujets. Par exemple, nous avons pu signer ensemble – avec le SNDGCT, l’ADT-Inet, l’ANDRHDT, l’association des ingénieurs en chef, Dirigeantes & Territoires, l’AATF, l’ADGCF, l’ANDCDG – des courriers au gouvernement précédent, durant la concertation sur le projet de loi de réforme de la fonction publique, pour réaffirmer des principes communs et la nécessité de préserver les spécificités du statut. Ce type de démarche était bien moins fréquente auparavant et nuisait clairement à notre efficacité collective. La spécificité du monde territorial, avec près de 40 000 employeurs, rend difficile le fait de parler d’une seule voix.
Le mouvement de rapprochement des associations professionnelles, comme des associations d’élus, est intéressant même s’il n’est pas complètement unitaire. La Coordination des employeurs territoriaux constitue une belle aventure en montrant qu’on n’a pas besoin d’institution pour travailler ensemble. C’est le signe d’une maturité du monde territorial car nous n’avons pas besoin qu’on nous donne la permission pour agir. À ce sujet, l’accord du 11 juillet 2023 sur la PSC [protection sociale complémentaire], signé entre les employeurs territoriaux et les organisations syndicales, me semble particulièrement intéressant. Il marquera durablement le paysage du dialogue social dans nos collectivités.

Cela signifie-t-il que vous avez plus de marges de manœuvre qu’on ne le dit ?

Dans la territoriale, j’aime cette capacité à prendre des initiatives, avec une autonomie et une latitude d’action permettant d’avoir une vraie politique d’employeur. Le statut permet de faire beaucoup de choses. Il est faux d’affirmer que nous sommes sous une forme de tutelle qui nous empêcherait d’agir. Par exemple, à Bordeaux Métropole, nous avons mis en place, pour la première fois en France, un régime de PSC à adhésion obligatoire sur la santé et la prévoyance. Nous avons pu le faire car rien ne l’interdisait ! Ayant déjà plus de 80 % de nos agents adhérents au contrat facultatif, la marche n’était pas si haute même si le travail de défrichage a été très important. Beaucoup de collectivités nous contactent pour en savoir plus et ce système pourrait tout à fait devenir la norme comme dans le privé. En tout cas, cela illustre bien cette maturité dont je parlais car pendant très longtemps, il y a eu le réflexe de se tourner vers le ministère et d’attendre un encadrement juridique, via un décret ou un arrêté, qui plus d’une fois n’est pas nécessaire. Je rappelle aussi le principe de libre administration des collectivités qui laisse la possibilité de faire bon nombre de choses.
Néanmoins, certaines limitations de nos marges de manœuvre restent incompréhensibles et nous aimerions pouvoir faire davantage. Je pense notamment à l’impossibilité de recruter en CDI à la différence de la FPE.

L’ANDRHGCT a organisé une journée, le 31 mai à Bordeaux, sur la rémunération. Pourquoi avoir choisi ce thème ?

Il y a eu près de 150 participants à notre journée, ce qui est beaucoup et s’explique par l’importance de ce sujet. La rémunération constitue un élément essentiel de l’attractivité des collectivités. L’intérêt a été d’explorer l’ensemble des outils de rémunération qui existent aujourd’hui dans la territoriale mais aussi d’aller voir ce qui pratique dans les autres versants avec des collègues du CHU de Bordeaux venus nous présenter des politiques mises en place chez eux parfois depuis très longtemps, de l’Université de Bordeaux et même du privé avec Audrey Guidez, DRH de France Télévision. Notre idée était d’aider les DRH à recueillir des idées notamment pour mettre en place une rémunération qui prenne en compte le mérite.
Il existe un paysage assez contrasté dans la territoriale avec des grosses différences entre collectivités, au-delà même de leurs tailles. Certains employeurs ont pu se saisir de la question du CIA [complément indemnitaire annuel] pour en faire une vraie rémunération variable liée à l’évaluation professionnelle. D’autres n’ont pas voulu se lancer à cause du coût et de l’ingénierie nécessaire. Concevoir un système de rémunération au mérite signifie en effet d’être très solide sur les évaluations professionnelles nécessitant d’être pleinement objectives. Il faut beaucoup de temps d’ingénierie pour concevoir le système, de temps de dialogue social pour le mettre en place et de temps managérial pour l’appliquer.
Selon mon expérience personnelle, au regard de la faiblesse des montants possibles à verser sur une rémunération au mérite, le jeu n’en vaut pas la chandelle. On y passe beaucoup de temps et, surtout, cela vient polluer l’entretien professionnel qui, même si cela ne porte que sur quelques dizaines d’euros à la fin de l’année, a tendance à ne tourner qu’autour de ça. C’est vraiment dommage.

Sur quels autres types de rémunération le débat a-t-il porté ?

Il a permis d’ouvrir des perspectives sur les notions d’intéressement et de prime sur des objectifs collectifs. Sur l’intéressement, le témoignage d’Audrey Guidez sur France Télévision a décrit une distribution collective sur la base du résultat de l’entreprise. Dans la territoriale, nous ne distribuons évidemment pas de résultats mais ce n’est pas rédhibitoire. On peut imaginer une provision reposant sur des objectifs de sobriété ou d’économie dans une collectivité : les sommes non dépensées alimenteraient un fond avec des versements, à la fin de l’année, à tous les agents. Un tel dispositif permettrait de créer des dynamiques collectives très intéressantes.
En matière de rémunération, beaucoup d’actions sont déjà possibles dans le cadre actuel. Je pense notamment à l’expérimentation que j’ai pu faire à Cergy-Pontoise dans un cadre juridique qui n’était même pas encore celui du RIFSEEP. On avait encore à l’époque des régimes indemnitaires propres à chaque filière et parfois même à chaque cadre d’emploi. Malgré cela, nous avons réussi à créer un cadre unique pour élaborer une vraie politique de rémunération mettant tout le monde sur des bases communes. Juridiquement, personne ne nous l’a reproché ! Il faut un peu d’audace en passant dans les interstices de la réglementation. Tout ce qui n’est pas interdit est autorisé ! C’est la même démarche aujourd’hui à Bordeaux sur la PSC qui permet d’offrir une protection sociale de meilleure qualité et moins chère aux agents.

Le RIFSEEP a dix ans. En dressez-vous un bilan positif ?

Son bilan est effectivement plutôt positif avec un système beaucoup plus simple et homogène qu’avant, même si toutes les filières ne sont pas encore passées au RIFSEEP comme les policiers municipaux, les enseignants des écoles de musique ou les professionnels d’enseignement artistique. Nous disposons d’un paysage plus unifié qui rend possible les comparaisons et visible les inégalités entre cadres d’emploi et entre filières, souvent révélatrices d’inégalités de genre. Cela a été décisif pour corriger des inégalités de fonds entre des filières traditionnellement plus favorisées en termes de rémunération, plus masculines, par rapport à d’autres moins favorisées et plus féminines. À Bordeaux, l’an dernier, un accord signé avec une majorité des organisations syndicales a réussi à faire passer un alignement complet des catégories A administratives sur les catégories A techniques. Cela a été socialement accepté, ce qui n’aurait pas été le cas sans un système RIFSEEP avec des comparaisons beaucoup plus difficiles. Certains agents bénéficiaient de primes comme l’IAT [indemnité d’administration et de technicité] alors que d’autres en avaient avec des noms bizarres, le tout avec des rythmes d’évolution différents. Le RIFSEEP a donc eu la vertu de mettre fin à cette situation.

Et concernant les critiques ?

Le péché originel du RIFSEEP est d’avoir voulu assigner trop d’objectifs à un seul outil n’intervenant que sur une partie marginale, voire parfois accessoire, de la rémunération. En moyenne, il représente juste un quart de la rémunération même si, dans certains cas, comme pour les catégories A+, cela peut aller jusqu’à 50 %.
Je pense par exemple à la notion d’expérience professionnelle alors que ce n’est pas la vocation du régime indemnitaire de s’en charger. Cette dimension, proche de l’ancienneté, a d’abord vocation à être prise en charge par les avancements d’échelon et de grade. Dans la réglementation d’origine, l’examen de l’expérience professionnelle devait passer par des systèmes de réévaluation réguliers, même pour un agent qui ne changeait pas de poste. En réalité, très peu de collectivités le font estimant que cette évolution, liée uniquement à l’ancienneté, est prise en charge par les échelons ou la progression du point d’indice.

Quelles sont les idées-forces ressorties de votre journée de Bordeaux ?

En premier lieu que nous disposons d’outils pour concevoir une vraie politique de rémunération, ce dont tout le monde n’était pas complètement convaincu au départ. Nous ne sommes pas obligés de nous calquer sur des normes conçues pour des ministères qu’il faudrait transposer. Ce message est passé auprès des participants, ce qui constitue une réussite. Même constat pour l’intérêt de développer des outils dans la perspective notamment de la mise en place d’un intéressement qui serait vraiment pertinent.
Autre sujet : la rémunération non-monétaire. Elle peut fonctionner s’il s’agit d’apporter une considération sincère aux agents. On peut compenser par de l’argent mais aussi par d’autres moyens comme le temps de travail. Des métiers plus pénibles peuvent justifier de l’octroi de jours de repos supplémentaires. Une rémunération en temps a aussi de la valeur. Et cette valeur est de plus en plus perçue par les salariés comme les agents publics. Disposer de plus de temps pour sa vie personnelle rentre en ligne de compte aujourd’hui dans les décisions de candidats pour rejoindre le monde territorial.
En définitive, la politique de rémunération n’est qu’une branche d’une politique RH plus générale englobant tous les aspects de la politique sociale ou de la qualité du travail. Donner un travail de qualité et offrir des conditions de travail de qualité aux agents constituent aujourd’hui un facteur déterminant pour les candidats et font d’une collectivité un employeur attractif ou pas.

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry