Hausse des prix des matières premières : publication d’une circulaire sur l’imprévision dans les marchés publics

Publié le 7 avril 2022 à 13h50 - par

Le Premier ministre a adressé, le 30 mars 2022, aux membres du Gouvernement et aux préfets une circulaire pour expliquer la théorie de l’imprévision et les conditions d’exécution des marchés en cours dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières.

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L’instabilité et l’envolée sans précédent des prix de certaines matières premières, tout particulièrement du gaz et du pétrole, constituent une circonstance exceptionnelle de nature à affecter gravement, dans plusieurs secteurs d’activité, les conditions d’exécution des contrats, voire leur équilibre économique, et à mettre en danger la pérennité de nombreuses entreprises. Dans une circulaire du 30 mars 2022, le Premier ministre présente aux préfets les recommandations en matière d’exécution des contrats et les circonstances dans lesquelles ils peuvent être modifiés en raison de la hausse des prix actuelle. Le texte revient également sur la mise en œuvre de la théorie de l’imprévision aux contrats administratifs avec versement d’une éventuelle indemnité au cocontractant de la personne publique.

Des modifications des contrats qui peuvent atteindre 50 % du montant initial

La modification des contrats de la commande publique en cours est possible lorsqu’elle est nécessaire à la poursuite de leur exécution. La pénurie des matières premières et la hausse des prix des approvisionnements sont susceptibles d’avoir des conséquences sur les conditions techniques d’exécution des contrats. Elles peuvent notamment rendre nécessaire une modification de leurs spécifications, par exemple en substituant un matériau à celui initialement prévu et devenu introuvable ou trop cher, en modifiant les quantités ou le périmètre des prestations à fournir, ou en aménageant les conditions et délais de réalisation des prestations pour pallier les difficultés provoquées par cette situation. Dans ces hypothèses, il est possible de recourir aux différents cas de modification des contrats en cours d’exécution prévus par le Code de la commande publique, notamment par ses articles R. 2194-5 et R. 3135-5 qui, dès lors que ces modifications sont rendues nécessaires par des circonstances qu’une autorité contractante diligente ne pouvait pas prévoir lorsque le contrat a été passé, autorisent des modifications du contrat pouvant atteindre, à chaque modification rendue nécessaire, 50 % du montant initial pour les contrats de la commande publique conclus par des pouvoirs adjudicateurs. En revanche, l’acheteur ne doit pas utiliser ces dispositions pour modifier par voie d’avenant les clauses fixant le prix lorsque cette modification du prix n’est pas liée à une modification du périmètre, des spécifications ou des conditions d’exécution du contrat.

Sous condition, la théorie de l’imprévision peut être envisagée

La théorie de l’imprévision, codifiée au 3° de l’article L. 6 du Code de la commande publique, prévoit, en cas de survenance d’un « événement extérieur aux parties, imprévisibles et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat », que le cocontractant qui en poursuit l’exécution a droit à une indemnité. Cette indemnité a pour objet de compenser une partie des charges supplémentaires, généralement qualifiées d’« extracontractue/les », parce que non prévues lors de la conclusion du contrat, qui entraînent le bouleversement de son équilibre. En principe, il n’y a pas lieu de recourir à la théorie de l’imprévision lorsque le marché comporte un mécanisme de révision de prix en fonction de la conjoncture économique. Toutefois, le droit du titulaire à indemnité peut être reconnu lorsque, même après application des clauses contractuelles, l’économie du contrat est bouleversée. Si la hausse exceptionnelle du prix du gaz et du pétrole constatée depuis le dernier trimestre 2021, dont l’ampleur est accentuée par la crise en Ukraine, est sans conteste imprévisible et extérieure aux parties, tout comme la flambée du prix de certaines matières premières, la condition tenant au bouleversement de l’économie des marchés doit en revanche être analysée au cas par cas en tenant compte des spécificités du secteur économique et des justifications apportées par l’entreprise. L’imprévision n’est admise que si « l’économie du contrat se trouve absolument bouleversée » (CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, n° 59928). Ce bouleversement doit entraîner dans le cadre de l’exécution du contrat un déficit réellement important et non un simple manque à gagner. Il convient donc de procéder à la détermination des charges extracontractuelles qui pèsent sur le contrat du fait de l’augmentation exceptionnelle des prix, qu’il s’agisse de celui de l’énergie ou de celui de certaines matières premières à l’exclusion des autres causes ayant pu occasionner des pertes à l’entreprise. Ces charges sont appréciées par rapport à l’exécution du marché au coût estimé initialement pour des conditions économiques normales. Elles doivent être déterminées au cas par cas au vu de justifications comptables. Le titulaire doit donc être en mesure de justifier, d’une part, son prix de revient et sa marge bénéficiaire au moment où il a remis son offre et, d’autre part, ses débours au cours de l’exécution du marché. Le cas échéant, il conviendra de tenir compte de la différence entre l’évolution réelle des coûts et celle résultant de l’application de la formule de révision.

Si la jurisprudence ne fixe pas de seuil unique au-delà duquel elle reconnaît un tel bouleversement, cette condition n’est, en principe, considérée comme remplie que lorsque les charges extracontractuelles ont atteint environ un quinzième du montant initial HT du marché ou de la tranche. À titre d’exemple, une augmentation supérieure à 7 % du coût d’exécution des prestations, en raison de la hausse forte et imprévisible du prix du carburant en 2000, a été considérée comme bouleversant l’équilibre financier du contrat (CAA de Marseille, 17 janvier 2008, req. n° 05MA00492) alors qu’une augmentation de l’ordre de 3 % a été jugée comme n’ayant pas bouleversé l’équilibre d’un contrat (CE, 30 novembre 1990, req. n° 53636). Lorsque l’état d’imprévision est caractérisé, le montant de l’indemnité doit être déterminé au cas par cas. La perte effective subie par l’entreprise étant la conséquence d’événements extérieurs aux parties, elle ne peut pas être supportée par l’administration seule. Si la jurisprudence a, en moyenne, fixé la part d’aléa laissée à la charge du titulaire à 10 % du montant du déficit résultant des charges extracontractuelles, ce taux est néanmoins susceptible de varier entre 5 % et 25 % en fonction des circonstances et notamment des éventuelles diligences mises en œuvre par l’entreprise pour se couvrir raisonnablement contre les risques inhérents à toute activité économique. Dès lors, si le bouleversement temporaire du contrat est d’une ampleur telle qu’il est évident qu’une indemnité devra en tout état de cause être attribuée en fin d’exécution du marché, les acheteurs accorderont aux titulaires qui en font la demande des indemnités provisionnelles à valoir sur l’indemnité globale d’imprévision dont le montant définitif ne pourra être déterminé qu’ultérieurement. L’indemnisation d’imprévision ne peut pas, en principe, être formalisée dans un avenant au contrat puisqu’elle n’a pas pour vocation d’en modifier les stipulations mais seulement de compenser temporairement des charges extracontractuelles. Elle sera dès lors formalisée par une convention liée au contrat, applicable pendant la situation d’imprévision et qui pourra comprendre une clause de rendez-vous à l’issue du contrat de manière à fixer le montant définitif de l’indemnité.

Texte de référence : Circulaire n° 6338/SG du 30 mars 2022 relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte de hausse des prix de certaines matières premières

 

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Masterclasse n°4 – L’imprévision et la modification des contrats en cours d’exécution


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