La théorie de l’imprévision s’applique aux marchés publics, même sans texte

Publié le 10 février 2021 à 9h30 - par

Quelles sont les modalités pour appliquer le principe de l’imprévision aux marchés publics ?

La théorie de l’imprévision s’applique aux marchés publics, même sans texte

Fabien Bottini

Fabien Bottini

C’est dans le célèbre arrêt Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux du 30 mars 1916 rendu sur les conclusions de Léon Blum que le Conseil d’État a dégagé la théorie de l’imprévision en matière de contrats administratifs. Il en ressort que, au nom de l’équilibre financier de la convention et pour assurer la continuité du service public, le cocontractant de l’administration a droit d’être indemnisé par elle de 80 % à 90 % du préjudice résultant d’événements imprévisibles, extérieurs aux parties et difficilement résistibles.

Face à la crise sanitaire, la règle a été reprise au niveau législatif pour les contrats de concession par l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au Code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas. Son article 6-6° prévoit précisément le droit des concessionnaires à indemnisation pour compenser les surcoûts non prévus au contrat initial, principalement liés aux mesures de protection sanitaire à mettre en œuvre sur chantier ou sur site. Cette disposition étant muette sur le cas des marchés publics, Madame la sénatrice Sylvie Robert demandait au ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance si le Gouvernement entendait généraliser l’application du principe d’imprévision en l’étendant aux marchés publics et selon quelles modalités (Question écrite n° 15794 de Mme Sylvie Robert du 7 mai 2020, Réponse publiée au JO Sénat le 24 décembre 2020).

Dans sa réponse, le ministère précise que l’article dont il s’agit renforce le droit à indemnité du titulaire, nonobstant toute clause contractuelle moins favorable, en cas de modification unilatérale pour motif d’intérêt général fondée sur des circonstances imprévues qu’une autorité concédante diligente ne pouvait prévoir. Il justifie l’attention particulière appliquée aux contrats de concession par la situation spécifique des concessionnaires qui, assumant le risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, subissent de manière plus directe l’arrêt, ou les fortes baisses, d’exploitation lié à l’épidémie de Covid-19. Mais il rappelle dans le même temps que l’ordonnance n’a pour effet d’empêcher l’application de la règle jurisprudentielle précitée dans les cas qu’elle ne prévoit pas.

Cette jurisprudence continue donc de s’appliquer, sans qu’il soit besoin de l’autoriser dans un texte législatif ou réglementaire spécial. De sorte que les surcoûts liés à la suspension des marchés publics et aux mesures de protection des personnels qui doivent être prises pour assurer l’exécution des prestations dans le respect des préconisations sanitaires peuvent être indemnisés au cas par cas lorsque ces surcoûts entraînent un bouleversement de l’équilibre économique du contrat.

Enfin, la réponse insiste sur le fait que deux circulaires primo-ministérielles, respectivement en date des 9 et 20 juin 2020, incitent les services de l’État à aller au-delà de la théorie de l’imprévision. Ils sont invités à prendre en charge une partie des surcoûts subis par les entreprises titulaires de marchés de travaux en raison de l’épidémie de Covid-19. Parallèlement, les collectivités territoriales et l’ensemble des maîtres d’ouvrages publics sont encouragés à s’inspirer de cette règle, en vue d’assurer une répartition solidaire et responsable des surcoûts.

Fabien Bottini, Consultant qualifié aux Fonctions de Professeurs des Universités