La corruption gagnante de l’urgence sanitaire ? Élus et ONG s’alarment

Publié le 2 décembre 2020 à 11h52 - par

« Le Covid a bon dos » : des élus et ONG s’alarment d’un article de la loi « d’accélération et de simplification de l’action publique » (Asap) qui, au nom de l’urgence sanitaire, a déverrouillé l’accès à la commande publique, au risque de favoriser la corruption.

La corruption gagnante de l'urgence sanitaire? Élus et ONG s'alarment

Ils espèrent que le Conseil constitutionnel, saisi par plus de soixante députés, retoquera cette loi adoptée fin octobre, à l’issue d’une procédure accélérée. Sa décision est attendue jeudi 3 décembre 2020. 
 
En cause, l’article 44 quater, qui introduit un « motif d’intérêt général » permettant de justifier la conclusion d’un marché public sans publicité ni mise en concurrence préalable, quel que soit le montant.
 
« C’est la porte ouverte au favoritisme et à la corruption », dénonce Jean-Paul Lefebvre, président d’Anticor 93. « Si les attributions de marché ne se font pas dans la transparence, c’est le régime des enveloppes, qui est déjà une pratique courante, et pas que dans les communes », ajoute cet élu d’opposition à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis).
 
De 25 000 à 40 000 euros en janvier, puis à 70 000 en juillet : si le seuil sous lequel un marché peut être conclu de gré à gré a déjà été relevé deux fois par décret, « le texte Asap ne mentionne plus de seuil. Au motif de l’intérêt général, on pourrait désormais avoir des marchés de plusieurs millions d’euros sans aucune publicité ni concurrence ! », ajoute M. Lefebvre.
 
En outre, cette notion « floue » – et « contraire à la règlementation européenne » – risque « d’envoyer des décideurs publics devant la justice, qui devra définir et vérifier le motif d’intérêt général », met en garde le conseiller municipal.
 
Rare députée à avoir porté la contradiction à la majorité en séance, l’ex-marcheuse Émilie Cariou critique aussi la méthode : « L’article a été introduit par voie d’amendement par le gouvernement, sans aucune étude d’impact ni analyse juridique : c’est grave de légiférer sur des sujets aussi importants par voie d’amendement ». 
 

« Prétexte »

Lors des débats, le rapporteur du texte à l’Assemblée, le député LREM Guillaume Kasbarian, a expliqué que l’objectif était « d’accompagner la reprise économique », en renforçant « l’accès des entreprises en difficulté et des TPE-PME à la commande publique ».
 
« L’objectif est également d’accompagner les collectivités territoriales dans l’effort de relance, par exemple pour la rénovation thermique de petits bâtiments, en accélérant la passation de marchés qui n’intéressent pas les grands groupes », a complété la ministre de l’Industrie Agnès Pannier-Runachier.  
 
Tirée à 60 % par les collectivités territoriales, la commande publique a progressé de 11 % en 2019 pour atteindre 87,5 milliards d’euros, répartis en 25 milliards pour les travaux, 32,5 milliards pour les services et 12,8 milliards pour les fournitures, selon la Banque des territoires. 
 
Elle devrait bondir à la faveur du plan de relance de 100 milliards d’euros, auquel le gouvernement veut associer étroitement les « territoires » chers au Premier ministre Jean Castex.
 
En réalité, cet assouplissement du Code de la commande publique (CCP) est réclamé « depuis des années par le BTP », affirme Benjamin Guy, responsable de la communication de Transparency France. « L’urgence et la relance servent de prétexte pour se débarrasser d’une procédure d’appel d’offres jugée fastidieuse et contraignante ».
 
Renaud Muselier, le président de la région Sud, a ainsi fait valoir auprès du gouvernement la nécessité de supprimer cette « contrainte » pour pouvoir commander rapidement des tests.
 
« Mais on ne change pas tout le Code de la commande publique pour un sujet de santé ! », s’insurge Émilie Cariou. « Le Covid a bon dos, il permet de faire passer tout un tas d’atteintes à l’État de droit », déplore cette ex-cadre dans le privé.
 
D’autant que « les règles actuelles du CCP sont compatibles avec des commandes "urgentes" de masques ou de tests dans l’intérêt des deniers publics », renchérit Jean-Paul Lefebvre. Par exemple, les délais de publicité, qui sont de 30 jours pour une candidature par voie électronique, peuvent être réduits à 15 jours si l’urgence est dûment justifiée.

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