Un opérateur économique peut-il évaluer l’intégrité d’un acheteur public ?

Publié le 19 janvier 2022 à 14h49 - par

La loi du 9 décembre 2016 dite loi Sapin 2 a pour objectif de porter la législation française au niveau des meilleurs standards européens et internationaux en matière de lutte contre la corruption en créant, notamment, l’Agence française anticorruption (AFA) et en imposant la mise en place d’un programme anticorruption pour certaines sociétés privées afin de « prévenir et détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence ».

Un opérateur économique peut-il évaluer l'intégrité d'un acheteur public ?

Dans ce cadre, différentes procédures et mesures doivent être mises en œuvre en application de l’article 17 de la loi Sapin 2 et, notamment, l’évaluation des tiers dans le but de « de décider d’entrer ou pas en relation avec un tiers, de poursuivre une relation en cours ou d’y mettre fin ».

La notion de « tiers » est à considérer au sens large car elle englobe « les clients, les fournisseurs de 1er rang et les intermédiaires » et, d’une manière générale, « les tiers avec lesquels l’entreprise peut être en relation ou vouloir entrer en relation ». Aussi, dans le cadre d’un marché public, un acheteur (client de l’opérateur économique) peut faire l’objet d’une évaluation au titre de la loi Sapin 2.

Au regard de cette possibilité, il convient d’identifier les sociétés susceptibles d’évaluer les acteurs publics, de comprendre l’objectif et les critères de l’évaluation.

Quelles sont les sociétés ayant l’obligation d’évaluer ses clients publics ?

Les sociétés ayant le statut de SA, SAS, SARL, EURL, SNC, SCS, SCA et EPIC, employant au moins 500 salariés (ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont l’effectif comprend au moins 500 salariés) et dont le chiffre d’affaires (ou le chiffre d’affaires consolidé) est supérieur à 100 millions d’euros doivent mettre en place un programme anticorruption. Dans le cadre de ce programme, elles doivent, notamment, réaliser une évaluation de l’intégrité des tiers et donc des clients publics.

Qu’est-ce qu’une évaluation des tiers ?

L’évaluation de l’intégrité d’un tiers consiste à apprécier le risque d’une relation existante ou envisagée avec un tiers. En effet, dans le cadre de sa relation avec ses tiers, la société peut se trouver impliquée (plus ou moins directement) dans la commission d’atteintes à la probité susceptible de porter préjudice à sa réputation, d’avoir un impact financier et/ou faire l’objet de poursuites judiciaires en France et/ou à l’étranger.

En pratique, la société doit identifier des groupes de tiers homogènes (présentant des profils de risques comparables) au regard de sa cartographie des risques. Selon l’AFA, « les groupes de tiers jugés pas ou peu risqués pourront ne pas faire l’objet d’une évaluation ou faire l’objet d’une évaluation simplifiée, tandis que les groupes les plus risqués nécessiteront une évaluation approfondie ».

Pour les groupes de tiers devant faire l’objet d’une évaluation, cette dernière est individuelle afin d’« apprécier le risque spécifique induit par la relation entretenue ou qu’il est envisagé d’entretenir ». Bien que l’AFA précise que les données utiles à l’évaluation sont déterminées par la société, une liste de 14 critères est précisée dans ses recommandations.

Quels sont les critères d’évaluation des tiers ?

Les recommandations de l’Agence française anticorruption (AFA) listent 14 critères permettant de réaliser l’évaluation des tiers :

  • Identité du tiers
  • Actionnaires principaux et bénéficiaires effectifs
  • Risque du pays au regard de la corruption
  • Sensibilité du secteur d’activité au regard du risque de corruption
  • Informations défavorables ou condamnations du tiers ou de ses dirigeants
  • Qualifications et compétences
  • Mise en place d’un dispositif anticorruption
  • Comportement du tiers dans le cadre de l’évaluation
  • Nature et objet de la relation
  • Évaluation par le tiers de ses propres tiers
  • Existence d’une relation avec des agents publics ou des personnes politiquement exposées
  • Aspects financiers en jeu
  • Modalités de rémunération
  • Modalités et flux de paiement

Pour les clients publics, cette liste peut être adaptée au regard de leur particularité. En tout état de cause, les informations utiles à l’évaluation peuvent provenir de documents publics (décisions de justice, articles de presse), des données issues de bases commercialisées et/ou encore des réponses au questionnaire dit « due diligence » élaboré et transmis par l’opérateur économique.

Selon l’OCDE, « la passation des marchés publics est l’une des activités gouvernementales les plus vulnérables à la corruption », selon Transparency International, la France est 23e au classement de l’indice de perception de la corruption dans le secteur public en 2020 et selon l’AFA, « les relations public/privé présentent un risque identifié en termes de corruption ». Au regard de ces données et des obligations issues de la loi Sapin 2, les acheteurs publics devront s’habituer à répondre à des questionnaires « due diligence ».

Baptiste Vassor