Recul du trait de côte : “On ne pourra ni protéger partout, ni tout replier”

Publiée le 23 mai 2022 à 10h00 - par

Maître Pierrick Raude, avocat associé Droit et Action Publique au cabinet Rivière avocats, recueille les analyses du Groupement d'Intérêt Public « GIP Littoral 2030 », acteur essentiel de la réflexion stratégique sur les problématiques littorales de Nouvelle-Aquitaine, sur les enjeux du recul du trait de côte et notamment l'ordonnance du 6 avril 2022 qui vient préciser la loi Climat et résilience du 22 août 2021.
Recul du trait de côte : “On ne pourra ni protéger partout, ni replier”

Maître Pierrick Raude, avocat associé Droit et Action Publique au cabinet Rivière avocats

Pierrick Raude

Pierrick Raude : Le recul du trait de côte est un phénomène bien visible à certains endroits. Est-on obligé de se pencher sur la question ? Que se passerait-il si on ne le faisait pas ?

GIP Littoral 2030 : En Nouvelle-Aquitaine, à l’horizon 2050, l’érosion chronique est d’en moyenne 50 mètres sur les côtes sableuses, à laquelle s’ajoute un recul lié à un évènement majeur en général de l’ordre de 20 mètres. Sur les côtes rocheuses, la valeur moyenne de recul est de l’ordre de 27 mètres en incluant un évènement de mouvement de terrain majeur.

Une étude du GIP Littoral en cours de finalisation cette année à l’échelle de la région Nouvelle-Aquitaine à l’horizon 2050 (30 ans) dénombre 6 000 logements menacés si les ouvrages de protection, les digues existantes, ne sont pas maintenues, pour un coût de plus de 2,5 milliards d’euros. C’est le coût de l’inaction, et on ne peut pas se résoudre à cela. Si on maintient les digues existantes, le nombre de logements menacés se limite à 660. Le rapport est de 1 à 10.

“Si on ne fait rien, ce sera une catastrophe économique, sociale et environnementale”

Aujourd’hui, les projets de relocalisation, appelé aussi repli stratégique ou recomposition spatiale sont impossibles à réaliser car trop couteux. Les projets de protection, y compris transitoires, sont couteux également et de plus en plus complexes à mettre en œuvre (notamment sur le plan règlementaire).

Mais si on ne fait rien et qu’on laisse faire, cela coûtera encore plus cher à long terme : des maisons ou des immeubles vont disparaitre, mais pas seulement : des entreprises (restaurants, hôtels, campings, filière ostréicole), une partie de l’économie et de l’emploi touristique sera impactée, ce sera une catastrophe économique, sociale et environnementale pour le littoral.

Il est indispensable de se pencher sur le sujet. En Nouvelle-Aquitaine, depuis 10 ans, des stratégies locales de gestion de la bande côtière, reconnues par la loi Climat ont été mises en place pour anticiper et agir.

“L’absence d’une source de financement faisant appel à différents niveaux de solidarité risque de rendre inutilisables les outils par les collectivités locales”

Pierrick Raude : L’ordonnance du 6 avril 2022 qui vient préciser la loi Climat et résilience du 22 août 2022, prévoit plusieurs axes :

  • L’Information des Acquéreurs et Locataires (IAL) renforcée vis-à-vis de l’érosion côtière.
  • La consécration de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte (SNGITC) et des stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte (SLGITC).
  • Les nouvelles obligations de maitrise de l’urbanisation dans les PLU.
  • L’anticipation du repli dans les documents de planification.
  • Les outils pour la gestion des biens existants menacés (droit de préemption).

L’ordonnance offre aux décideurs locaux des outils qui ont des conséquences majeures pour les biens exposés à l’érosion côtière :

  • Une nouvelle méthode d’évaluation des biens, avec un mécanisme de « décote administrée ».
  • Un nouveau régime de contrat de bail réel immobilier de longue durée.
  • La possibilité, sous certaines conditions, de déroger aux règles de la loi littoral lorsque cela est nécessaire à la mise en œuvre d’un projet de relocalisation.

Ces outils sont-ils adaptés ? Comment seront-ils acceptés par les habitants ? Comment aborder ce sujet en concertation avec les principaux intéressés ?

GIP Littoral 2030 : L’ordonnance vient préciser la loi Climat du 22 août 2021 qui comprend plusieurs axes. Ces outils concourent tous à un objectif commun qui est de favoriser premièrement la maîtrise de l’urbanisation et des prix de l’immobilier dans les zones littorales exposées à l’érosion côtière et deuxièmement des projets de relocalisation des biens existants menacés à terme.

Sur ce second volet, la logique des outils proposés est d’enclencher une dynamique d’action publique volontaire avec le droit de préemption pour acquérir les biens, le bail réel immobilier de longue durée pour organiser l’occupation transitoire des territoires et rentabiliser les acquisitions publiques. Cependant, la décote administrée de la valeur des biens, qu’instaure l’ordonnance, risque de fortement limiter l’acceptabilité des propriétaires concernés, et en parallèle l’absence d’une source de financement faisant appel à différents niveaux de solidarité risque de rendre inutilisables les outils par les collectivités locales, si elles doivent le faire avec leurs seules ressources propres. À Biscarrosse dans les Landes, où la relocalisation d’un hôtel et des deux immeubles résidentiels est étudiée, on se rend compte que l’intervention publique pour acquérir des biens privés et les déconstruire ne va pas de soi, et que les prix restent élevés malgré la décôte que l’État a décidé d’organiser.

Enfin, le projet d’ordonnance prévoit la prise en compte de la « durée totale prévisionnelle avant la disparition du bien exprimée en années depuis la date d’entrée en vigueur du premier plan local d’urbanisme ou du premier document en tenant lieu ou de la première carte communale intégrant les dispositions de l’article L. 121-22-2 », sans préciser comment cette durée est estimée. La ville de Biscarrosse devra-t-elle estimer la durée de vie des bâtiments en fonction de critères imprévisibles tels que l’occurrence de tempêtes, l’effet de la hausse du niveau de la mer sur l’érosion, etc… Quelle réaction attendre des propriétaires ?

Cette appréciation suppose également que les conditions de prise en compte d’éventuels ouvrages de protection aient été légalement définies. Dans notre cas de figure de Biscarrosse, les réensablements de la plage effectués tous les ans par la communauté de communes seront-ils pris en considération ?

Enfin, les dérogations aux règles de la loi littoral imaginées pour permettre le repli stratégique seront quasi inapplicables : on ne pourra pas signer de PPA partout, ni sur des territoires où les enjeux sont limités (plans plages à reculer par exemple), et les sujets sur lesquels les dérogations sont possibles sont très limités et ne sont pas ceux dont nous avons besoin en Nouvelle-Aquitaine. Au Pays basque par exemple elles auraient été utiles pour replier des campings en discontinuité de l’urbanisation à moins d’un kilomètre du littoral (hors zone d’aléa érosion), ce que ne permet pas l’ordonnance.

“Le problème n’est pas simplement technique, c’est un problème de société, il faut choisir des secteurs que l’on pourra protéger et ceux que l’on ne pourra pas, selon des critères économiques, environnementaux, sociaux”

P.R : Faut-il protéger ou relocaliser ? Quels moyens financiers doivent accompagner ces phénomènes qui dépassent largement les frontières des collectivités et établissements qui y sont confrontés ?

GIP Littoral 2030 : Avant toute chose, il faut tout limiter les nouvelles constructions dans des zones à risques.

Mais il faut aussi gérer les bâtiments existants et pour cela étudier et comparer tous les scénarios envisageables, pour faire les meilleurs choix possibles, en tenant compte du risque à court terme mais aussi en anticipation des impacts de long terme.

Le problème n’est pas simplement technique, c’est un problème de société, il faut choisir des secteurs que l’on pourra protéger et ceux que l’on ne pourra pas, selon des critères économiques, environnementaux, sociaux.

Il faut s’organiser en mettant en place des stratégies locales intégrées :

  • Protéger en entretenant les ouvrages, là où c’est possible techniquement sans impacts environnementaux forts, et quand cela vaut le coup, pour gérer le risque à court terme ;
  • Réaliser de premières opérations de repli là où c’est possible, quand il n’y a pas encore de protections, en commençant par des infrastructures publiques ou des bâtiments peu nombreux, des campings ou des routes isolées par exemple ;
  • Anticiper l’augmentation des impacts de long terme et se préparer à des replis plus importants, en se posant la question : quelle organisation des acteurs publics, et quel partage des coûts avec les privés ?

En résumé: on ne pourra ni protéger partout, ni tout replier.

La bonne solution sera intermédiaire et combinée entre des secteurs de défense et des secteurs de réaménagement du littoral, les deux solutions ne s’opposant pas mais se complétant, et parfois se succédant.

Les moyens financiers devront être partagés entre différents niveaux de solidarité car les collectivités locales ne pourront gérer ces situations seules.

P.R : Quels partenaires mobiliser autour de ces questions du trait de côte ? Les collectivités locales, et en particulier les communes et les  intercommunalités, peuvent-elles rester seules face à ce phénomène ?


GIP Littoral 2030 :
Le constat suivant, sur le rôle des acteurs, peut être fait :

Concernant le bloc communal :

  • Les communes sont compétentes en matière d’aménagement, et sont parfois historiquement engagées dans des actions de protection ou de gestion du littoral, et en situation d’urgence il existe le pouvoir de police du maire (responsable en dernier recours) ;
  • Les intercommunalités sont compétentes sur la défense contre la mer, (Gemapi) depuis 2018 : il s’agit d’une évolution très récente ;
  • Certains syndicats intercommunaux, préexistants, se sont vus déléguer des compétences par les intercommunalités ou les communes (ex : SIBA sur le bassin d’Arcachon).

La région intervient en tant que financeur dans le cadre de ses compétences.

L’État a un rôle d’instruction règlementaire et de contrôle, et pilote la prévention de risques.

Enfin, les situations locales obligent à considérer le rôle des propriétaires impactés, parfois publics : communes, départements (sites ENS), ONF, CELRL, et parfois privés.

Des organismes produisent de la connaissance : le BRGM, le Cerema, dans le cadre de leur stratégie d’établissement public ; les bureaux d’études sont à disposition dans le cadre de marchés de prestations intellectuelles.

Le GIP Littoral existe justement pour renforcer la coordination entre des acteurs légitimes sur les sujets littoraux, chacun restant dans son rôle. Il peut être indiqué également que la gestion du trait de côte est un domaine de l’action publique qui s’est structuré récemment.

P.R : Y a-t-il d’autres outils qui ne sont pas prévus par l’ordonnance qu’il faudrait mettre en place ?

GIP Littoral 2030 : Au-delà des dispositifs incomplets pour le financement de la mise en œuvre du repli stratégique en anticipation, dans l’idéal un futur fonds devrait pouvoir être mobilisé également sur le financement des SLGITC. En effet, pour gérer les situations de court terme, les territoires densément urbanisés devront passer par des phases de protection transitoire. On peut citer comme exemple le financement du réaménagement du front de mer de Lacanau dans le PPA, qui n’inclut pas l’ouvrage de protection de la stratégie locale.

Enfin pour les secteurs non protégés pour lesquels des biens vont se trouver menacés, les outils de la loi et de l’ordonnance ne fournissent toujours pas de solutions pour la gestion des situations d’urgence. Les exemples sont nombreux : immeuble le Signal à Soulac en Gironde, immeubles d’habitation et hôtel à Biscarrosse dans les Landes. En l’état et en l’absence de capacité à mettre en œuvre immédiatement un repli stratégique en situation de crise, des cas de danger pour les personnes peuvent perdurer et ne sont pas réglés actuellement par la loi.

Propos recueillis par Me Pierrick Raude

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