Aude Fournier : « Nos Collectivités ont développé leur résilience organisationnelle »

Publié le 26 novembre 2020 à 9h07 - par

Il y a quelques mois, durant le premier confinement, nous avions interviewé plusieurs acteurs publics pour qu’ils témoignent de leurs actions afin notamment de maintenir une continuité d’activité et protéger les agents. Quel regard portent-ils aujourd’hui sur leurs priorités, leurs inquiétudes ou leurs espoirs ? Entretien avec Aude Fournier, DGA Partenaire et Ressources au Conseil départemental du Nord, Vice-présidente de l’Association des DRH des Grandes Collectivités.

Aude Fournier : « Nos Collectivités ont développé leur résilience organisationnelle »

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Solidaire du service public
Covid-19 : des acteurs publics face à la crise sanitaire
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En tirant des enseignements en continu, nous développons notre résilience

Aude Fournier

Aude Fournier

Bientôt 9 mois plus tard, le choc de la pandémie mondiale de la Covid-19, par son intensité comme sa durée, a réinterrogé nos priorités et a accéléré des tendances de fond de nos organisations publiques.

Comme certains le prédisaient, l’automne forme le lit d’un deuxième confinement, réputé plus souple, mais dont la durée reste tout aussi méconnue. L’ambition est claire : ne rien lâcher sur la protection de nos agents et usagers, tout en assurant la continuité maximale du service public, et même en se projetant dans l’avenir par la remise en marche de nos projets ! Mais ce qui a sûrement changé depuis, c’est la sidération qui avait occupé les ressources cognitives de beaucoup, secoués, mais mus par le fol espoir que la crise se termine vite. Aujourd’hui, ce rebond épidémique automnal porte en lui davantage de renoncement et d’angoisses, sur fond de fatigue accumulée d’une année professionnelle et personnelle pas comme les autres. Admettons que le moral global soit plutôt en berne à force de courir ce marathon que nous ;espérons tous être un sprint !

Nous avons capitalisé individuellement et surtout collectivement

Pour autant, force est de se réjouir que nous avons capitalisé individuellement et surtout collectivement sur les réalisations et les enseignements du 1er épisode et ils sont nombreux : nos agents sont équipés ; une bonne partie a pu se former aux outils ; les managers ont été accompagnés au management à distance ; le télétravail généralisé est synonyme de temps et d’autonomie retrouvés ; les agents ont déployé des trésors d’inventivité au bénéfice de nos usagers ; un dialogue social constant et transparent s’est installé. Nous avons en effet intensément et directement communiqué avec nos agents, concerté nos syndicats et individualisé autant que possible les réponses à apporter souvent dans des délais très courts : équipements en tous genres, positions administratives, soutien psychologique, accompagnement managérial, adaptation des activités…

Parler émotions, libérer la parole

Nous nous sommes aussi autorisés, et souvent pour la première fois dans nos collectivités, à parler “émotions”, celles de nos collaborateurs en premier lieu.

L’Homme est un tout et là où nous prenions grand soin de faire la part des choses entre les ressentis et les faits, entre le personnel et le professionnel, ces frontières ont souvent volé en éclats pour simplement avancer, embarquer, protéger… Cellule d’écoute anonyme, enquête psychosociale, baromètres et consultations ont permis de prendre le pouls et d’adapter notre action de façon continue.

Celles de nos managers de proximité aussi, dans une période exigeante où leur rôle d’interface du mécano de la continuité d’activités, puis de l’hybridation du travail s’est assurément complexifié. Plus au centre du jeu que jamais, ils se voient notamment ballotés dans la valse réglementaire qui se répercute dans nos plans et protocoles. Les encadrants les plus investis ou les plus agiles voient leur collectif renforcé par l’épreuve, d’autres vivent des phases de déstabilisations et de décrochages plus ou moins définitives. Des groupes d’échanges, réflexifs et orientés solution, les aident à ajuster leurs postures et à libérer la parole trop souvent enchaînée dans les urgences du quotidien.

Quant à la fonction RH, elle sort grandie même si elle pourrait toujours faire plus ou plus vite : d’où la nécessité de poser un curseur des ressources disponibles et de le partager au sein de l’organisation. Idem pour les DSI, s’agissant d’une accélération sans précédent de la transition numérique et des usages collaboratifs à distance.

D’une façon globale, je crois pouvoir (r)assurer que nos collectivités ont développé leur résilience organisationnelle dans ses trois dimensions :

  • Notre capacité d’absorption : Pour résister aux chocs et en amortir les conséquences, nous avons mobilisé toutes nos ressources pour assurer la continuité de nos activités internes et le service auprès de nos citoyens usagers. Mais aussi pour renouveler notre approche : mesures d’urgence ou réorientation de nos actions, investissements massifs dans l’équipement et les infrastructures numériques, accompagnement humain. Esprit d’équipe, fierté d’appartenance, sens du service public sont autant d’ingrédients qui donnent à nos agents publics l’envie de continuer et de se dépasser !
  • Notre capacité de renouvellement : Au-delà de la capacité à résister, nous devons être capables d’agir et d’imaginer des solutions inédites face aux situations inhabituelles : simplifier, développer de nouveaux services et innovations d’usage, expérimenter de nouvelles façons de faire, des coopérations plus fortes ou inédites, nouer de nouveaux partenariats public-public ou public-privé. En termes de management, cela a impacté notre capacité à déléguer, à laisser de l’autonomie à nos agents, à (nous) faire confiance. La mobilisation de la DG et du CODIR a été totale et elle est essentielle.
  • Notre capacité d’appropriation : Pour être résiliente, une organisation doit pouvoir tirer des leçons des chocs auxquels elle a dû faire face afin d’en sortir grandie, d’apprendre par elle-même : cela signifie de tirer parti des succès, mais aussi des erreurs ou échecs, dont la valeur apprenante est encore plus forte. La prise de conscience des impacts de la crise est essentielle pour remettre en perspective les pratiques et routines : il est alors possible de réaliser un « apprentissage post-crise » qui permet de mieux préparer l’avenir. Mais comme cette crise se poursuit sans visibilité claire sur son aboutissement, nous ne pouvons attendre pour tirer les enseignements, mais devons réaliser une boucle d’amélioration in itinere qui permette finalement d’avancer en marchant. C’est l’objet de notre RETEX de crise, mais aussi d’une étude plus sociologique par l’équipe de François Dupuy conduite à l’été.

La principale leçon de la crise est certainement cette humilité face aux vulnérabilités de tout système et, tout particulièrement, quand il est fondé sur la richesse des interactions humaines comme le service public.

Propos recueillis par Hugues Perinel