Analyse des spécialistes / Petite enfance

Petite enfance, vers un droit opposable à une place d’accueil ?

Publié le 6 avril 2023 à 9h40 - par

La crise sanitaire a montré le besoin de revoir la façon dont s’organisent les vies familiales et professionnelles. La mise en place d’un tel droit est-elle envisageable ?

Petite enfance, vers un droit opposable à une place d'accueil ?
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La proposition de créer un droit opposable à la garde des enfants a été portée en 2007, en 2012 et en 2022 par les trois derniers présidents de la République. En 2021, Julien Damon, et la dirigeante de Schneider Electric, Christel Heydemann, avaient proposé au Gouvernement un droit opposable à la garde d’enfants âgés d’un an à deux ans. Dans leur rapport, ils soulignaient en 2021 que « le principe est d’aller vers la garantie d’un service homogène, avec des niveaux de qualité définis, et une gouvernance optimisée (…) il s’agit de s’orienter, d’abord, vers un droit opposable à l’accueil pour les enfants à partir de deux ans. Il s’agit ensuite d’aller progressivement vers un  droit opposable à un mode d’accueil à partir d’un an, laissant toujours la possibilité du recours à un congé parental, sans que celui-ci soit indemnisé, ou alors moins indemnisé (par exemple il redeviendrait forfaitaire). Ce  séquençage se légitime dans le souci de construire une montée en charge progressive »1.

Pour l’instant, ces propos ne se formalisent pas encore par une acceptation des pouvoirs publics d’un tel droit. Les difficultés relatives à la mise en place d’un droit au logement opposable (DALO) sont soulevées pour justifier l’extension d’un tel dispositif2.

1. Le droit opposable, une solution incomplète selon le Conseil économique, social et environnemental

Dans un avis du 22 mars 2022, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a indiqué que : « l’objectif d’un service public de la petite enfance se traduit par le droit fondamental de tout enfant à pouvoir être accueilli avec un même niveau de qualité, quelle que soit sa situation ou celle de ses parents. Les difficultés d’accès à un mode d’accueil collectif pour des enfants dont le bon développement est empêché par une maladie, un handicap, des fragilisations familiales (décès ou maladie grave d’un parent, séparation…), une situation de migration, une grande pauvreté de leurs parents font obstacle à l’effectivité d’un droit universel et inconditionnel que porte le CESE dans cet avis. Un droit opposable pourrait être une réponse à cette problématique »3.

Le CESE nuance avec l’exemple allemand la pertinence aujourd’hui de construire un droit opposable à la garde des enfants. En effet, « en Allemagne, une loi de 2004 a instauré un droit d’accueil, applicable en 2010 pour les enfants âgés de 2 ans puis en 2013 pour les enfants d’un an. Elle  prévoit le dédommagement par les autorités locales des parents qui n’obtiennent pas de place. Mais l’Allemagne partait d’une situation bien différente et les progrès ont été réalisés de façon graduelle. L’Allemagne a commencé par réformer le congé parental, puis sur la période 2005-2018, près de 400 000 places de crèche ont été construites, ce qui a permis en 10 ans au pays de doubler sa capacité d’accueil. Plus que l’existence d’un droit opposable, c’est bien la volonté politique qui a permis de tels progrès : l’Allemagne a massivement investi dans la formation des professionnels et professionnelles de la petite enfance, à hauteur de 11,2 milliards d’euros en 2017, soit 0,3 % du PIB, et recruté plus de 600 000 personnes. Pour le CESE, c’est cette ligne qu’il faut suivre et il en a fait le fil rouge de cet avis : pour envisager des réformes complexes (…), il faut répondre aux urgences (…) : recruter, accroître l’offre, réunir les éléments en particulier concernant le reste à charge, qui permettront de faire du libre choix une réalité, assurer la qualité de l’accueil et son inscription dans un accompagnement global »4.

2. Le droit opposable, une solution un peu inadaptée selon le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge

Le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) a rendu un rapport le 7 mars 2023 dans lequel il estime que la situation de la France est différente de celle de l’Allemagne, de la Finlande et de la Suède. Il estime qu’: « il n’est pas proposé d’utiliser la même méthode de droit opposable d’abord aux enfants d’au moins 2 ans, puis d’au moins 1 an, etc., car cela risquerait d’induire des effets pervers importants. Aujourd’hui, malgré l’inégalité de l’offre disponible et le fait que les parents ne peuvent pas toujours disposer de l’offre qu’ils souhaitent, le système permet à un nombre important de parents qui travaillent tous les deux et souhaitent reprendre rapidement une activité professionnelle de confier l’accueil de leur enfant à un EAJE ou une assistante maternelle. En déstabilisant les modalités actuelles d’attribution des places, une telle règle risquerait de mettre dans de grandes difficultés ces parents, sans toujours permettre un gain significatif pour les autres »5.

Aujourd’hui, le droit opposable à la garde reste une proposition politique qui ne trouve pas de concrétisation concrète, sans la construction d’un service public de la petite enfance fort.

Dominique Volut, Avocat-Médiateur au barreau de Paris, Docteur en droit public


1. Ibidem, p. 34 et 35.

2. Ibidem, p. 34.

3. Avis du CESE 22 mars 2022, Vers un service public de la petite enfance, p. 22.

4. Ibidem, p. 22.

5. Rapport HCFEA, Vers un service public de l’enfance, 2023, p. 47

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