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Quelle constitutionnalité pour les 1 607 heures dans la fonction publique territoriale ?

Publié le 29 juillet 2022 à 15h12 - par

Le Conseil constitutionnel a jugé vendredi 29 juillet 2022 conformes à la Constitution les dispositions de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique qui impose 35 heures hebdomadaires de travail dans les collectivités.

Quelle constitutionnalité pour les 1 607 heures dans la fonction publique territoriale ?

Dans la décision n° 2022-1006 QPC du 29 juillet 2022, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a admis que la première phrase du premier alinéa du paragraphe I de l’article 47 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique1 est conforme à la Constitution. Il apparaît que les communes ne pourront pas organiser à leur guise le temps de travail dans la fonction publique territoriale puisqu’elles auront à appliquer la règle des 1 607 heures de temps de travail annuel comme dans la fonction publique de l’État.

L’article 47 de la loi du 6 août 2019 vise à harmoniser la durée de travail dans la fonction publique territoriale à 1 607 heures annuelles. Par dérogation aux règles de droit commun, dans la fonction publique territoriale, l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 prévoyait la possibilité de maintenir des régimes de temps de travail inférieurs à la durée légale de 1 607 heures, à la double condition, d’une part, qu’ils aient été mis en place antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 et, d’autre part, que cette dérogation ait été formalisée par une décision expresse de l’organe délibérant de la collectivité, après avis du comité technique2. L’article 47 de la loi du 6 août 2019 a abrogé ces régimes dérogatoires antérieurs à 2001. À compter du renouvellement des organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, ces derniers avaient un an pour adopter un nouveau cycle de travail3. Pour les communes et les intercommunalités, les élections et l’installation des organes délibérants ont été perturbées par l’épidémie sanitaire. De plus, au motif que l’article 47 de la loi du 6 août 2019 remettrait en cause le principe de libre administration, plusieurs communes d’Île-de-France ont refusé d’appliquer cette loi et de rompre avec les régimes dérogatoires qu’elles avaient instaurés pour le temps de travail de leurs agents. Les préfets ont déféré les délibérations devant les tribunaux administratifs. Les communes récalcitrantes ont perdu leurs contentieux. Le tribunal administratif de Melun a également transmis une QPC le 3 mars 2022 au Conseil d’État. Ce dernier a estimé que la question posée du respect du principe de libre administration par l’article 47 de loi était sérieuse et a saisi le Conseil constitutionnel pour qu’il tranche cette QPC4. Le Conseil a rendu sa décision le 29 juillet 2022.

1. La libre administration n’empêche pas le législateur d’imposer aux collectivités locales des règles du temps de travail dès lors qu’elles concourent à l’intérêt général

Le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution, « assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations et à des charges, dès lors qu’elles répondent à des exigences constitutionnelles ou concourent à des fins d’intérêt général, qu’elles ne méconnaissent pas la compétence propre des collectivités concernées, qu’elles n’entravent pas leur libre administration et qu’elles soient définies de façon suffisamment précise quant à leur objet et à leur portée »5.

2. La fin des dérogations aux 1 607 heures poursuit, selon le Conseil constitutionnel, un but d’intérêt général

Selon le Conseil constitutionnel, le législateur a bien poursuivi un but d’intérêt général dès lors qu’il a recherché à harmoniser la durée du temps de travail au sein de la fonction publique territoriale et de la fonction publique de l’État pour réduire les inégalités entre les agents et faciliter leur mobilité. En matière d’emploi, d’organisation du travail et de gestion de leurs personnels, l’article 47 de la loi du 6 août 2019 vise à encadrer la compétence des collectivités territoriales pour fixer les règles relatives au temps de travail de leurs agents.

3. Les communes restent libres d’organiser des régimes de travail spécifiques

Le Conseil constitutionnel souligne que « les collectivités territoriales qui avaient maintenu des régimes dérogatoires demeurent libres, comme les autres collectivités, de définir des régimes de travail spécifiques pour tenir compte des sujétions liées à la nature des missions de leurs agents »6.

Pour chaque cas d’espèce, ce sera aux juridictions administratives de contrôler la légalité des délibérations déférées par les préfets. Néanmoins, il apparaît au regard de cette décision que les collectivités locales auront à appliquer strictement les 1 607 heures pour le cycle de travail des agents.

Dominique Volut, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit public


1. « Les collectivités territoriales et les établissements publics mentionnés au premier alinéa de l’article 2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ayant maintenu un régime de travail mis en place antérieurement à la publication de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l’emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu’au temps de travail dans la fonction publique territoriale disposent d’un délai d’un an à compter du renouvellement de leurs assemblées délibérantes pour définir, dans les conditions fixées à l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, les règles relatives au temps de travail de leurs agents. Ces règles entrent en application au plus tard le 1er janvier suivant leur définition ».

2. L’étude d’impact du projet de loi « transformation de la fonction publique » estimait le temps annuel de travail entre 1 562 heures et 1 578 heures dans la fonction publique territoriale. L’étude s’appuyait sur les rapports de Philippe Laurent, Rapport sur le temps de travail dans la fonction publique, mai 2016, et sur celui de la Cour des comptes, Les finances publiques locales – Rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, octobre 2016.

3. Art. 47-II de la loi du 6 août 2019, précitée : « le délai mentionné […] commence à courir : en ce qui concerne les collectivités territoriales d’une même catégorie, leurs groupements et les établissements publics qui y sont rattachés, à la date du prochain renouvellement général des assemblées délibérantes des collectivités territoriales de cette catégorie ».

4. CE, 1er juin 2022, n° 462193, 462194, 462195, 462196.

5. Consid. 6 de la décision n° 2022-1066 QPC du 29 juillet 2022.

6. Consid. 10 de la décision n° 2022-1066 QPC du 29 juillet 2022.

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