Analyse des spécialistes / Fonction publique

Les collectivités locales devront-elles prendre en compte la pénibilité du travail pour justifier une dérogation aux 1 607 heures ?

Publié le 8 juin 2023 à 9h15 - par

En janvier dernier, la députée Clémence Guetté a interrogé le Gouvernement sur ce qu’il compte faire afin d’amener les collectivités locales à reconnaître des sujétions particulières liées à la pénibilité du travail et à mettre en place des dérogations aux 1 607 heures1.

Les collectivités locales devront-elles prendre en compte la pénibilité du travail pour justifier une dérogation aux 1 607 heures ?
© Par Andrii Yalanskyi - stock.adobe.com

Dans une réponse en mars dernier, le Gouvernement laisse aux collectivités locales l’appréciation au cas par cas des conditions qui justifient une réduction de la durée annuelle du temps de travail2.

1. Le contexte : la fin des dérogations aux 1 607 heures

Plusieurs textes ont fixé la durée hebdomadaire de travail à 35 heures, soit 1 607 heures annuelles dans la fonction publique3. Néanmoins, par dérogation aux règles de droit commun, dans la fonction publique territoriale, l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 prévoyait la possibilité de maintenir des régimes de temps de travail inférieurs à la durée légale de 1 607 heures, à la double condition, d’une part, qu’ils aient été mis en place antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 et, d’autre part, que cette dérogation ait été formalisée par une décision expresse de l’organe délibérant de la collectivité, après avis du comité technique4.

L’article 47 de la loi du 6 août 2019 a abrogé ces régimes dérogatoires antérieurs à 20015 et vise à harmoniser la durée de travail dans la fonction publique territoriale à 1 607 heures annuelles.

Dans la décision n° 2022-1006 QPC du 29 juillet 2022, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)6 a jugé que les communes ne pourront pas organiser à leur guise le temps de travail dans la fonction publique territoriale puisqu’elles auront à appliquer la règle des 1 607 heures de temps de travail annuel comme dans la fonction publique de l’État.

2. La question : une demande d’action du Gouvernement pour contraindre les communes à prendre en compte la pénibilité dans le temps de travail

Mme Clémence Guetté, députée appartenant à la France Insoumise, a interrogé le ministre de la transformation et de la fonction publiques « sur l’absence de prise en compte de la pénibilité du travail pour le passage aux 1 607 heures dans certaines communes. En effet, la façon dont sont planifiées les 1 607 heures ainsi que la reconnaissance de la pénibilité du travail est à la discrétion des communes. Certaines la prennent en compte alors que d’autres n’en tiennent pas rigueur »7.

La députée rappelle que la pénibilité du travail est reconnue, « qu’il s’agisse de la pénibilité physique comme de la pénibilité psychologique. Le port de charges lourdes, les horaires décalés, l’exposition aux produits chimiques, le contact avec des usagers mécontents, l’âge, le bruit, sont autant de facteurs qui contribuent à cette pénibilité et qui doivent être pris en compte afin de reconnaître des sujétions ouvrant droit à des dérogations »8.

3. La réponse : les collectivités locales restent libres de déroger aux 1 607 heures pour la prise en compte de la pénibilité du travail

Après avoir rappelé le principe des 1 607 heures, le Gouvernement souligne que l’article 2 du décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 ouvre la possibilité à l’organe délibérant des collectivités ou de leurs établissements, après avis du comité social territorial, de réduire la durée annuelle de travail servant de base au décompte du temps de travail « pour tenir compte de sujétions liées à la nature des missions et à la définition des cycles de travail qui en résultent, et notamment en cas de travail de nuit, de travail le dimanche, de travail en horaires décalés, de travail en équipes, de modulation importante du cycle de travail ou de travaux pénibles ou dangereux ».

Le Gouvernement rappelle une décision de la CAA de Paris du 31 décembre 2004 n° 03PA03671 qui jugeait que la durée annuelle du temps de travail pouvait être réduite dans la fonction publique territoriale afin de compenser la pénibilité ou la dangerosité de certaines tâches. Le Gouvernement conclut en affirmant que « conformément au principe constitutionnel de libre administration, il n’appartient dès lors pas au Gouvernement d’inviter les collectivités territoriales et leurs établissements publics à reconnaître des sujétions particulières, dont l’appréciation ne peut qu’être effectuée au cas par cas, qui justifient une réduction de la durée annuelle du temps de travail »9.

Ce sont donc les organes délibérants des collectivités locales qui peuvent, après avis du comité social territorial, fixer une durée inférieure à 1 607 heures pour prendre en compte tenu la pénibilité au travail pour certains agents territoriaux.

Dominique Volut, Avocat-Médiateur au barreau de Paris, Docteur en droit public


1. Question n° 4707 de Mme Clémence Guetté (La France insoumise – Nouvelle Union Populaire écologique et sociale – Val-de-Marne) du 17 janvier 2023, Réponse publiée au JOAN le 28 mars 2023

2. Ibidem.

3. Loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l’emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu’au temps de travail dans la fonction publique territoriale, NOR : FPPX0000145L. Décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 pris pour l’application de l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale, NOR : FPPA0110004D. Décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’État et dans la magistrature, NOR : FPPA0000085D.

4. L’étude d’impact du projet de loi « transformation de la fonction publique » estimait le temps annuel de travail entre 1 562 heures et 1 578 heures dans la fonction publique territoriale. L’étude s’appuyait sur les rapports de Philippe Laurent, Rapport sur le temps de travail dans la fonction publique, mai 2016, et sur celui de la Cour des comptes, Les finances publiques locales – Rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, octobre 2016.

5. Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, NOR : CPAF1832065L, JORF n° 0182 du 7 août 2019, texte n° 1.

6. « Les collectivités territoriales et les établissements publics mentionnés au premier alinéa de l’article 2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ayant maintenu un régime de travail mis en place antérieurement à la publication de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l’emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu’au temps de travail dans la fonction publique territoriale disposent d’un délai d’un an à compter du renouvellement de leurs assemblées délibérantes pour définir, dans les conditions fixées à l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, les règles relatives au temps de travail de leurs agents. Ces règles entrent en application au plus tard le 1er janvier suivant leur définition ».

7. Question n° 4707 de Mme Clémence Guetté (La France insoumise – Nouvelle Union Populaire écologique et sociale – Val-de-Marne) du 17 janvier 2023, Réponse publiée au JOAN le 28 mars 2023 (dernière consultation le 6 juin 2023)

8. Ibidem.

9. Ibidem.

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