Amandine Domingues : “Pour remporter les consultations publiques, les entreprises devront repenser leurs pratiques” (2/2)

Publiée le 5 mai 2021 à 10h00 - par

Suite de notre entretien avec Amandine Domingues, Directrice des affaires juridiques et marchés de la communauté urbaine Le Havre Seine Métropole.
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Dans la perspective d’une obligation de recours à une clause environnementale en matière de marchés publics, le critère du cycle de vie définit dans le Code de la commande publique retient l’attention. Est-il facile d’usage fréquent ?

Ce critère, prévu par les articles L. 2112-3 et R. 2152-7 du Code de la commande publique, permet à l’acheteur public d’attribuer le marché au soumissionnaire qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse en se fondant sur le coût du cycle de vie défini à l’article R. 2152-9.

Selon ce dernier, ce coût couvre tout ou partie des coûts d’un service ou d’un ouvrage, tels que les coûts liés à la consommation d’énergie, la fin de vie, de collecte et de recyclage ou encore ceux imputés aux externalités environnementales du produit, service ou de l’ouvrage, comme le coût des émissions de gaz à effet de serre et d’autres émissions polluantes ou encore les autres coûts d’atténuation du changement climatique, etc. Or, s’il est séduisant, ce critère devient un calvaire au stade de l’analyse des offres, faute pour les dispositions législatives ou réglementaires d’avoir conçu en amont une méthode d’évaluation adaptée. Des formations et partages de bonnes pratiques lors d’ateliers de la commande publique sont à prévoir en interne pour bien s’en emparer.

Il faudra par ailleurs que, lors de l’exécution du marché, les autorités puissent se doter de moyens humains suffisants pour vérifier que les obligations contractuelles environnementales sont bien respectées pour ne pas rester une promesse non tenue. Ce qui suppose de former les agents déjà en poste ou d’en recruter de nouveaux pour leur expertise en la matière. Mais de tels spécialistes ne seront pas forcément faciles à trouver.

Le droit de la commande publique peut-il dans ces conditions véritablement jouer un effet levier sur la transition écologique ?

L’achat public, qui représente plus de 10 % du produit intérieur brut, est indéniablement un levier pour accélérer la transformation de nos pratiques vers l’objectif affiché par la France d’atteindre une économie circulaire.

Cette dynamique conduira les opérateurs économiques à favoriser en parallèle l’innovation des méthodes de production. Car, pour remporter les consultations publiques, les entreprises devront repenser leurs pratiques. Si elles n’arrivent pas à le faire rapidement, le risque c’est que les appels d’offres restent infructueux.

Les nouveaux cahiers des clauses administratives générales et techniques participent-ils de cette même volonté de mettre la commande publique au service de l’« économie verte » ?

Cette dynamique verte est aussi présente dans les nouveaux cahiers des clauses administratives générales et techniques publiés au Journal officiel le 1er avril dernier. Mais ceux-ci comportent d’autres innovations.

Ils permettent par exemple de choisir entre deux options d’avances (article 10.1 CCAG Travaux par exemple) ou encore d’opter pour la pratique de l’exonération ou du plafonnement des pénalités en cas de retard du cocontractant dans l’exécution de ses obligations. Les cahiers prévoient en effet la possibilité de les plafonner à 10 %.

Enfin, on peut se réjouir de la consécration d’une clause unique de propriété intellectuelle dans tous les CCAG, à l’exception du CCAG maîtrise d’œuvre où elle a été spécifiquement adaptée à ce type de prestations. C’est une réelle avancée car c’est beaucoup plus clair et facile d’utilisation pour les praticiens.

Cela a l’air complexe, comment allez-vous faire pour vous approprier ces nouveaux cahiers ?

Les services spécialisés des collectivités territoriales et de leurs groupements vont devoir, malgré le contexte professionnel de travail à distance, s’approprier rapidement ces nouveaux cahiers pour les diffuser auprès de leurs élus et des autres services en un temps record et par visioconférence : car les marchés doivent s’y référer au plus tard le 1er octobre 2021 soit à une date qui va arriver très vite. Il ne faudra donc pas perdre de temps pour adapter les nouveaux contrats aux dérogations nécessaires.

S’agissant de la communauté urbaine qui m’emploie, des ateliers de la commande publique, lieu d’échanges et de productions internes, sont par exemple prévus en juin prochain pour réfléchir aux adaptations à réaliser sur nos contrats et procédures.

L’objectif est de conseiller les élus sur la stratégie d’achat pour qu’ils puissent la définir en un temps très court. Par exemple, le plafonnement à 10 % des pénalités de retard fait qu’en pratique ce montant peut vite être atteint et l’acheteur se retrouver démuni face à la non transmission des dossiers des ouvrages exécutés par l’entreprise. Il conviendra donc de trouver le bon équilibre entre y recourir systématiquement ou limiter ce recours à des cas précis, bien identifiés.

Propos recueillis par Fabien Bottini, consultant qualifié aux Fonctions de Professeurs des Universités

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