Zéro artificialisation des sols : l’AMF et le Sénat souhaitent faire évoluer le cadre juridique

Publié le 25 janvier 2023 à 9h35 - par

Alors que les délais fixés par la loi climat sur le « zéro artificialisation nette » sont très proches, le Sénat et l’Association des Maires de France rapportent les difficultés sur le terrain et dénoncent des incohérences. Ils envisagent des remèdes par une proposition de loi et des préconisations.

Zéro artificialisation des sols : l'AMF et le Sénat souhaitent faire évoluer le cadre juridique
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L'objectif Zéro artificialisation nette (ZAN)
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Modes de calcul, délais intenables, centralisation régionale, mise en cause de l’équilibre urbain-rural, absence de prise en  compte des efforts déjà entrepris, manque d’outils… Les élus s’inquiètent de la mise en application du principe de zéro artificialisation nette (ZAN) prévu par la « loi climat et résilience » du 22 août 2021. Principe traduit par deux objectifs régionaux : réduire de moitié le rythme d’artificialisation entre 2021 et 2031, et atteindre un rythme de « zéro artificialisation nette » d’ici 2050. Les documents d’urbanisme territoriaux et locaux – schémas de cohérence territoriale (Scot), plans locaux d’urbanisme et cartes communales – devront les décliner, afin de fixer des objectifs à chaque commune ou intercommunalité d’ici 2026 et 2027.

Élus locaux et sénateurs ne sont pas opposés au principe de renaturation des espaces, au contraire. Mais ils dénoncent les incohérences entre les décrets d’application et la loi. Selon les sénateurs Valérie Létard (Nord) et Jean-Baptiste Blanc (Vaucluse), auteurs d’une proposition de loi relative à la lutte contre l’artificialisation des sols, déposée le 14 décembre 2022, « une partie des décrets d’application, pris à compter du mois d’avril 2022, se révèlent au mieux incomplets ou inadaptés, au pire incohérents avec les dispositions prévues par la loi climat-résilience ». Ce que déplore aussi l’Association des Maires de France (AMF), qui a émis à la même date vingt propositions visant à améliorer la mise en œuvre de la loi : « hélas, l’article 194 de la loi et ses décrets d’application pris dans la précipitation, sans étude d’impact et dans un calendrier irréaliste, posent beaucoup de difficultés. » L’AMF a, du reste, engagé une action devant le Conseil d’État pour attaquer les décrets d’application relatifs au ZAN, « contraires à des dispositions de ladite loi et créant une insécurité juridique pour les collectivités ».

Globalement, les propositions du Sénat et celles de l’AMF se rejoignent ou participent du même esprit. Quelques exemples.

Sur les délais de modification des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) : le Sénat et l’AMF estiment qu’il conviendrait de repousser d’un an la date d’entrée en vigueur des documents modifiés. Ce qui décalerait également d’un an les délais de modification « en cascade » des documents d’urbanisme locaux. En effet, étant donné les procédures du Code de l’urbanisme, pour modifier les documents régionaux avant février 2024, il faut finaliser le projet d’ici le printemps 2023, précise le Sénat qui ajoute : « un délai intenable si l’on considère que les conférences des Scot n’ont rendu leurs propositions que fin octobre 2022 ».

Dans plusieurs régions, le poids des grands projets nationaux est l’un des principaux points de blocage pour atteindre l’objectif ZAN. L’AMF et Régions de France, ainsi que le Sénat, proposent donc de sortir un quota de grands projets nationaux et européens d’intérêt général de l’enveloppe de la consommation d’espaces. Et d’éviter ainsi que leur impact sur l’artificialisation ne soit imputé à la région qui les accueille, et qu’ils ne se réalisent au détriment des autres besoins des collectivités de la région.

La proposition de loi souhaite garantir à chaque commune que le ZAN ne se traduira pas par une absence totale de droits à construire ou par un gel de son développement. Pour cela, une « surface minimale de développement communal » garantie à chaque commune, d’au moins un hectare, devrait être définie.

Par ailleurs, pour concilier l’objectif de préservation de la nature en ville, nécessaire pour atteindre le ZAN, avec la densification du tissu urbain existant et le recyclage foncier, les sénateurs prévoient que les surfaces végétalisées à usage résidentiel (jardins particuliers, parcs, pelouses…) soient considérées comme non artificialisées. Les constructeurs seraient alors incités à préserver des îlots végétaux au sein de leurs futurs projets, sans pénaliser la renaturation. En parallèle, les collectivités pourraient délimiter des périmètres de densification et de recyclage foncier, au sein des espaces urbanisés, par le biais de leurs documents d’urbanisme. Quant à l’AMF, elle demande que la classification des parcs, jardins et friches, artificialisés ou non au sens de la loi climat, soit confiée aux PLU.

Étant donné l’urgence des délais légaux, le Sénat incite l’État à transmettre rapidement aux collectivités des données « fiables et complètes » sur l’artificialisation des sols et la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers. Elles sont indispensables à la tenue d’un débat « sincère et informé » sur les objectifs de réduction qui seront fixés par les documents de planification, puis territorialisés. Sinon, les collectivités seraient contraintes à un « débat aveugle ou partiel ». La proposition de loi prévoit qu’à défaut de mise à disposition numérique et gratuite de ces données dans un délai de six mois, les collectivités puissent utiliser les données locales dont elles disposent pour mesurer l’avancée de leurs objectifs.

L’AMF précise que le Gouvernement s’est dit conscient de l’imperfection du dispositif, et de la nécessité de la corriger, mais qu’« aucune initiative gouvernementale n’a été engagée, malgré l’urgence au vu des échéances légales ».

Pour le président de l’AMF, outre les délais intenables, « le flou juridique va générer un contentieux important et nous empêcher d’atteindre les objectifs de maîtrise de l’artificialisation des sols, auxquels les maires souscrivent pourtant avec la volonté de pouvoir agir de façon pragmatique. Il faut donc clarifier le dispositif, en évitant toute tutelle d’une collectivité sur une autre ».

Marie Gasnier


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