Jean-Marc Peyrical est avocat au barreau de Paris, associé gérant du cabinet Peyrical & Sabattier, président de l’Association pour l’Achat dans les Services Publics (APASP).
En 2020, comparée à la période entre janvier et septembre 2019, la commande publique des communes a chuté de 7 milliards d’euros (- 37 %) et celle des intercommunalités à fiscalité propre (communautés et métropoles) d’environ 2 milliards (- 23 %). Cette chute importante concerne tous les secteurs d’achat. Quelles sont les conséquences pour les collectivités et les entreprises ?
Jean-Marc Peyrical
Rappelons que la commande publique a un impact économique fondamental dès lors qu’elle représente chaque année 10 % de notre PIB. La moindre diminution ne peut donc qu’avoir des conséquences fortes notamment pour les entreprises et plus particulièrement les PME qui sont plutôt dépendantes de cette commande publique. On ne peut qu’espérer que cette chute soit temporaire et que les achats publics vont vite rebondir, et ce dans tous les secteurs, surtout si on les considère comme un des leviers essentiels non seulement du soutien de l’économie mais aussi de la relance de l’activité que l’on attend pour 2021.
Les collectivités ne lancent-elles plus leurs procédures de marchés ou bien les entreprises ne sont-elles pas en capacité d’y répondre à cause de la crise sanitaire ?
Je pense que cette baisse s’explique par différents facteurs. La crise économico-sanitaire représente bien-sûr une des explications essentielles. Malgré le télétravail, les acheteurs publics ont été moins présents pendant les périodes de confinement et l’activité de préparation et de passation des marchés publics et concessions n’a pu que ralentir. Les acheteurs ont également dû se préoccuper de gérer l’existant et de mettre en place les souplesses – prolongation des procédures et des contrats, augmentation des avances, gel des pénalités de retard, octroi d’aides financières… – permises par les divers textes adoptés dans l’urgence par le gouvernement. Il ne faut pas non plus nier l’impact du décalage du deuxième tour des élections municipales, qui a bien-sûr eu des conséquences sur la gouvernance et donc la prise de décision dans les collectivités consternées.
Enfin, on ne peut que constater une certaine frilosité sur des projets – dans les domaines culturels, touristiques, sportifs… – qui ont perdu de leur intérêt au vu de la période que nous traversons et de ses aléas sur les temps à venir. Maintenant, il y a un plan de relance de l’État qui se met en place et qui devrait à la fois redonner confiance aux acteurs publics mais aussi permettre de soutenir des projets d’investissement qui étaient jusqu’à présent freinés. Quant aux entreprises, il est évident que certaines, pour les mêmes raisons de réorganisation dues aux périodes de confinement, ont eu plus de mal à se mobiliser pour répondre aux procédures lancées par les acheteurs publics ; et dans certains secteurs, comme celui du bâtiment ou du logement, des choix ont dû être faits pour se concentrer sur des appels d’offres ciblés au détriment d’autres procédures. Je rajouterai également que nous nous trouvons face à une situation de cercle vicieux : plus les entreprises sont en difficulté, moins elles versent de contributions financières au bénéfice des collectivités territoriales ; ce qui réduit par là-même les marges budgétaires de ces dernières et donc celles de leurs commandes publiques.
Peut-on en conclure que les règles dérogatoires mises en place pendant la crise sanitaire et le relèvement des seuils de procédures formalisées ne sont pas efficaces ?
Comme je l’ai souligné plus haut, bon nombre de ces règles dérogatoires ont non seulement été temporaires, mais ont surtout visé à soutenir les entreprises dans le cadre de procédures ou de contrats en cours. Bien-sûr, on ne peut que louer le relèvement des seuils, concernant avant tout les marchés de travaux, mais aussi diverses mesures qui vont perdurer dans le temps comme celles relatives aux avances ou encore aux quotas de PME dans les marchés globaux ; mais elles ne seront certainement pas suffisantes sans une vrai volonté, en se plaçant au niveau de la décision politique, des collectivités publiques de mettre en œuvre de véritables stratégies d’achat afin de venir au soutien des opérateurs économiques.
Peut-on anticiper d’ores et déjà une explosion des contentieux issus de cette période de crise sanitaire et de règles dérogatoires si la pression économique s’accentue sur les différents acteurs ?
Je ne suis pas certain que ce soit la priorité des entreprises que de provoquer de tels contentieux, même si des différents concernant notamment l’exécution des contrats en cours pourront survenir ici et là. Je pense au contraire que les opérateurs économiques ont tout intérêt de se rapprocher des donneurs d’ordre publics et à réfléchir avec eux, par exemple dans le cadre de séances de sourcing, à des politiques d’investissement et d’achats efficaces sur le long terme.
On compte beaucoup sur la commande publique pour relancer l’économie et sortir de la crise. En concentrant 55 % de l’ensemble des achats, le rôle du bloc communal est déterminant dans la relance engagée par le gouvernement. Les communes et intercommunalités seront-elles en capacité de répondre aux attentes ?
Tout dépendra évidement de leurs moyens financiers et donc de leurs rentrées fiscales, mais aussi du rôle de l’État au sujet du plan de relance sus évoqué. Il est évident que, localement, le rôle des communes et structures intercommunales est et sera déterminant pour soutenir les PME et artisans. Mais au risque de se répéter, un achat public efficace se doit d’être organisé, structuré, porté par des acheteurs formés et compétents. On en revient donc toujours aux mêmes problématiques et à la fameuse quadrature du cercle qui en découle : on ne peut pas demander à l’achat public de remplir un rôle essentiel s’il n’a pas les moyens de l’assumer.
Propos recueillis par Julien Prévotaux