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Quels sont les droits d’expression des élus d’opposition sur les réseaux sociaux de la collectivité ?

Publié le 25 octobre 2016 à 3h28 - par

La démocratie locale suppose et implique que les élus n’appartenant pas à la majorité puissent librement s’exprimer dans les supports de communication et d’information utilisés par les collectivités territoriales à destination de leurs administrés. Explications et analyse des dernières jurisprudences par Donatien de Bailliencourt, Avocat Counsel chez Granrut Avocats.

Le droit des élus d’opposition peut-il s’exercer sur les réseaux sociaux de la collectivité ?

Donatien de Bailliencourt avocat collaborateur Granrut

Donatien de Bailliencourt

 

Ce droit de libre expression ne s’est pas imposé naturellement et n’a été reconnu au profit des élus d’opposition des collectivités locales que par une intervention du législateur, dans le cadre de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité.

Tout d’abord envisagé pour les journaux municipaux, il s’adapte désormais aux nouvelles technologies dématérialisées d’information et de communication auxquelles les communes ont aujourd’hui recours.

 

Le droit de libre expression des conseillers d’opposition dans les bulletins d’information générale

Le droit de libre expression des élus d’opposition est consacré à l’article L. 2121-27-1 du Code général des ollectivités territoriales, lequel dispose :

« Dans les communes de 3 500 habitants et plus, lorsque la commune diffuse, sous quelque forme que ce soit, un bulletin d’information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace est réservé à l’expression des conseillers n’appartenant pas à la majorité municipale. Les modalités d’application de cette disposition sont définies par le règlement intérieur »1.

Ce droit prend la forme d’un espace réservé dans le bulletin d’information générale diffusé par la commune. Par diffusion d’un bulletin d’information générale, le juge administratif entend « toute mise à disposition du public de messages d’information portant sur les réalisations et la gestion du conseil municipal »2.

Pour entrer dans cette catégorie, l’information diffusée doit être générale3, s’adresser au grand public – c’est-à-dire être destinée à l’ensemble des personnes qui résident sur le territoire de la collectivité territoriale concernée4 – et revêtir un contenu politique5 et non purement pratique.

Cet espace d’expression réservé bénéficie aux élus ne relevant pas de la majorité municipale. Ce qui ne fait toutefois pas obstacle à ce que les élus de la  majorité en bénéficient également6.

C’est le règlement intérieur, adopté par le conseil municipal dans les six mois qui suivent les élections7, qui définit les modalités dans lesquelles s’exerce ce droit de libre expression. À ce titre, l’espace réservé doit, sous le contrôle du juge8, présenter un caractère suffisant et être équitablement réparti9, soit en accordant le même espace à chaque expression d’opposition, soit en accordant un espace proportionnel en fonction du nombre d’élus par groupes politiques10.

L’extension de ce droit de libre expression aux nouveaux supports de communication et d’information dématérialisés

Les nouvelles technologies numériques de communication et d’information peuvent relever du champ d’application de l’article L. 2121-27-1 précité, dans la mesure où ce texte législatif ne limite pas au seul support papier le mode de diffusion du bulletin d’information générale au sein duquel les élus d’opposition doivent bénéficier d’un espace réservé.

En effet, l’intention du législateur vise à permettre l’exercice de ce droit d’expression de l’opposition municipale « quel que soit le support d’information »11.

Si bien qu’il a été admis que le droit de libre expression puisse être exercé sur une télévision locale12.

Le site internet d’une commune peut également être qualifié de bulletin d’information générale dès lors qu’il sert à diffuser une information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, et ce quand bien même la collectivité publierait un magazine où les élus locaux de l’opposition peuvent exercer leur droit d’expression13.

Récemment, la question s’est posée de savoir si un espace devait également être réservé aux élus de l’opposition sur la page « Facebook » officielle d’une commune.

Par un jugement en date du 2 juin 201514, le tribunal administratif de Montreuil a considéré qu’eu égard à son contenu, la page « Facebook » de la collectivité locale devait être qualifiée de « bulletin d’information générale » au sens de l’article L. 2121-27-1 précité puisque ce support dématérialisé contribuait à valoriser l’action municipale auprès de ses administrés, et qu’en conséquence, le règlement intérieur du conseil municipal devait « prévoir un espace réservé à l’expression des élus d’opposition sur la page Facebook officielle de la commune » et « en fixer les modalités pratiques », et ce alors même que « les élus d’opposition, comme n’importe quelle autre personne intéressée, pourraient publier directement des messages d’information sur le « mur » de la page Facebook de la commune ».

Ce raisonnement a été très récemment repris par le tribunal administratif de Dijon à propos du site internet et de la page Facebook officielle d’une commune, dès lors que les deux supports dématérialisés en cause ne se bornaient pas à délivrer des informations pratiques aux administrés, mais retraçaient l’action de la majorité municipale15.

Toutefois, dans cette même décision, le tribunal administratif de Dijon a écarté la qualification de « bulletin d’information générale » pour le compte « twitter » de la commune en raison de la définition et du mode de fonctionnement de ce support dématérialisé, « lequel constitue un outil de microblogage personnalisé, limité en nombre de caractères et fonctionnant en temps réel ».

Ainsi, si le droit de libre expression des élus d’opposition peut jouer pour tout type de supports, y compris numériques, certains d’entre eux sont susceptibles d’échapper à la qualification de bulletin d’information générale en raison de leurs caractéristiques propres qui s’avèrent en réalité difficilement compatibles avec la notion « d’espace réservé ».

Donatien de Bailliencourt, Avocat Counsel, cabinet Granrut

 


Notes :

1. L’article 83 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République a modifié cet article L. 2122-27-1 pour adopter la rédaction suivante : « Dans les communes de 1 000 habitants et plus, lorsque des informations générales sur les réalisations et sur la gestion du conseil municipal sont diffusées par la commune, un espace est réservé à l’expression des conseillers élus sur une liste autre que celle ayant obtenu le plus de voix lors du dernier renouvellement du conseil municipal ou ayant déclaré ne pas appartenir à la majorité municipale. Les modalités d’application du présent article sont définies par le règlement intérieur du conseil municipal ». Ces nouvelles dispositions entreront en vigueur à compter du prochain renouvellement général des conseils municipaux suivant la promulgation de la loi du 7 août 2015, soit au 1er mars 2020.

2. CAA Versailles, 17 avril 2009, Ville de Versailles, req. n° 06VE00222 ; CAA Versailles, 27 août 2009, Commune de Clamart, req. n° 08VE01825, AJDA n° 38/2009, p. 2134.

3. CAA Versailles, 8 mars 2007, Commune du Vésinet, req. n° 04VE03177.

4. CAA Versailles, 12 juillet 2006, Département de l’Essonne, req. n° 04VE03183.

5. Conseil d’État, 28 janvier 2004, Commune de Pertuis, req. n° 256544 : ne relève pas de cette qualification le simple compte-rendu de travaux du conseil municipal.

6. CAA Marseille, 19 janvier 2012, Commune de Roquefort-les-Pins, req. n° 10MA02058.

7. Article L. 2121-8 du Code général des collectivités territoriales.

8. Le juge administratif exerçant un contrôle normal sur l’attribution d’un espace dédié dans une publication municipale et un contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation sur les modalités de cet espace.

9. CAA Versailles, 13 décembre 2007, M. Gérard X c/ Commune de Livry Gargan, req. n° 06VE00383.

10. Rép. Min. n° 11507, JO Sénat 27 août 2015, p. 2025.

11. M. Derosier, Rapport n° 3113 déposé le 12 juin 2001 devant l’Assemblée nationale.

12. TA Lyon, 15 février 2007, M. X c/ Ville de Lyon, req. n° 0404876, AJDA n° 17/2007, p. 932.

13. CAA Versailles, 17 avril 2009, Ville de Versailles, req. n° 06VE00222

14. TA Montreuil, 2 juin 2015, M. J.-P. L. c/ Ville de Noisy-le-Sec, req. n° 1407830, AJDA n° 29/2015, p. 1652, concl. S. Roussier.

15. TA Dijon, 29 septembre 2016, M. A c/ commune de Migennes, req. n° 1402816.


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