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Le droit à indemnisation des agents publics hospitaliers privés illégalement de garde

Publié le 14 octobre 2019 à 7h24 - par

Par un arrêt n° 410724 du 26 juillet 2018, le Conseil d’État a rappelé que si l’exercice d’astreintes ne saurait constituer un droit, un agent illégalement privé de ses gardes peut être indemnisé de la perte financière subie, du fait de son exclusion d’un dispositif de garde.

Le droit à indemnisation des agents publics hospitaliers privés illégalement de garde

L’intérêt de cet arrêt est d’apporter non seulement de nouvelles précisions sur le temps de garde des agents hospitaliers, mais également d’étendre la possibilité d’engager la responsabilité de l’administration si elle prend la décision, illégalement fautive, de priver un agent de ses temps de garde.

Par une décision du 9 décembre 2011, le directeur d’un centre hospitalier a informé un agent, adjoint des cadres hospitaliers titulaire, qu’il n’exercerait désormais plus aucune garde dans l’établissement. L’agent a formé un recours gracieux contre cette décision. L’administration a rejeté ledit recours le 9 janvier 2012. L’agent a d’abord saisi le juge administratif. Par une décision du 26 décembre 2013, le tribunal administratif de Dijon a annulé ces deux décisions, aux motifs qu’elles ne reposaient sur aucun motif réel se rapportant à l’intérêt du service et que la décision du 9 décembre 2011 n’était pas motivée en droit. L’agent a ensuite introduit devant ce même tribunal une nouvelle requête, tendant à l’indemnisation du préjudice moral et financier qu’il estimait avoir subi du fait de l’illégalité de ces décisions. Par une décision du 25 juin 2015, le tribunal a rejeté sa demande. L’agent a saisi la Cour administrative de Lyon. Par un arrêt du 21 mars 2017, la Cour a condamné l’établissement à lui verser une indemnité de 2 000 euros au titre de son préjudice moral, tout en confirmant le refus du tribunal de l’indemniser de son préjudice financier, au motif qu’il ne pouvait prétendre à un avantage financier correspondant à des sujétions qu’il n’avait pas eu à subir. L’agent s’est enfin pourvu en cassation contre cet arrêt en tant qu’il rejette le surplus de ses conclusions indemnitaires. Par un arrêt n° 410724 du 26 juillet 2018, le Conseil d’État a rappelé que si l’exercice d’astreintes ne saurait constituer un droit (1), un agent illégalement privé de ses gardes peut être indemnisé à ce titre en raison de la perte financière suscitée (2).

1. L’exercice des gardes ne constitue pas un droit

Le Conseil d’État précise dans son considérant n° 3 que « l’exercice d’astreintes ne saurait constituer un droit ». L’astreinte correspond à une période pendant laquelle l’agent doit rester à son domicile ou à proximité dans le but de pouvoir intervenir pour effectuer un travail au service de son administration employeur. Ce n’est pas une période de travail effectif. Néanmoins, la durée de l’intervention et de déplacement sur le lieu de travail sont considérés comme du temps de travail effectif1. Tel est le cas du temps de garde.

Dans un arrêt rendu en février 2018, la Cour de justice de l’Union précise d’ailleurs que « le temps de garde passé par un travailleur dans le cadre de ses activités déployées pour son employeur doit être qualifié soit de « temps de travail », soit de « période de repos » »2. Elle précise aussi que le facteur déterminant pour qualifier une période d’astreinte ou de garde de « temps de travail », « est le fait que le travailleur est contraint d’être physiquement présent au lieu déterminé par l’employeur et de s’y tenir à la disposition de ce dernier pour pouvoir immédiatement fournir les prestations appropriées en cas de besoin »3.

La période d’astreinte donne lieu à repos compensateur ou à indemnisation. Les conditions générales de recours à la compensation ou à l’indemnisation sont fixées par le chef d’établissement après avis du comité technique d’établissement.

Dans son considérant n° 2, le Conseil d’État rappelle toutefois : qu’aux termes de l’article 21 du décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 : « Les astreintes sont organisées en faisant prioritairement appel à des agents volontaires » ; qu’aux termes de l’article 23 de ce décret : « Un même agent ne peut participer au fonctionnement du service d’astreinte que dans la limite d’un samedi, d’un dimanche et d’un jour férié par mois. La durée de l’astreinte ne peut excéder 72 heures pour 15 jours. (…) » ; Le principe des gardes dans la fonction publique hospitalière repose sur le volontariat des agents publics et ne peut pas constituer un droit pour un agent. En d’autres termes, si le temps de travail d’un agent ne comprend pas un certain nombre d’heures de garde, celui-ci ne peut pas demander une indemnisation. Tel n’est pas le cas, s’il a été exclu, de manière illégale, de ce système.

2. L’exclusion illégale d’un agent hospitalier du dispositif de garde peut donner lieu à une indemnisation en raison du préjudice subi

Pour retenir l’illégalité, le Conseil d’État a estimé que les décisions du directeur du centre hospitalier excluant l’agent du dispositif des astreintes et des gardes n’étaient justifiées par aucun motif réel se rapportant à l’intérêt du service. De ce fait, cette illégalité étant fautive, le Conseil d’État considère que, « la Cour n’a pu, sans erreur de droit, eu égard à la nature de l’illégalité constatée par le tribunal administratif et à l’autorité qui s’attachait à son jugement, exclure toute possibilité pour l’intéressé d’une indemnisation au titre du préjudice financier subi du fait des décisions fautives du directeur du centre hospitalier ; que, par suite, son arrêt doit être annulé en tant qu’il statue sur le préjudice financier de M. A… » Dans un arrêt n° 390424 du 8 juin 2017, le Conseil avait retenu une solution différente en estimant que le requérant n’avait pas établi qu’il avait été privé d’une chance sérieuse d’être affecté sur un poste lui ouvrant le droit ou la faculté de percevoir une rémunération tirée de l’accomplissement de gardes et d’astreintes4.

Pour estimer l’absence de motif réel à l’intérêt du service de la décision d’exclusion de l’agent du dispositif de garde, le Conseil d’État a, cette fois, retenu la motivation du premier jugement du 26 décembre 2013 sur lequel s’appuyait le requérant pour constater l’illégalité interne de la décision l’ayant exclu de toute garde au sein de l’établissement. Il a repris le raisonnement d’un précédent arrêt qu’il avait rendu en section. Dans l’arrêt n° 365155 du 6 décembre 2013, Commune d’Ajaccio, le Conseil d’État avait retenu : « qu’en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre ; que sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l’illégalité commise présente, compte tenu de l’importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l’encontre de l’intéressé, un lien direct de causalité ; que, pour l’évaluation du montant de l’indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l’intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l’exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions5 ».

Cet arrêt du 26 juillet 2018 étend la possibilité d’engager la responsabilité de l’administration si elle prend la décision, illégalement fautive, de priver un agent de ses temps de garde.

Dominique Volut, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit public


1. En droit de l’Union, les notions de « temps de travail » et de « temps de repos » issues de la directive 2003/88 sur l’aménagement du temps de travail sont exclusives l’une de l’autre. Ainsi, selon l’article 2 de la directive, le temps de travail est défini comme « toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ». En revanche, la période de repos est définie comme « toute période qui n’est pas du temps de travail ».

2. CJUE, 21 février 2018, Aff. C-518/15 (Point n° 55).

3. Ibidem (Point n° 59).

4. Sur ce point, voir L. Derridj, « Un agent public illégalement privé d’astreintes est susceptible d’être indemnisé à ce titre » – Conseil d’État, 26 juillet 2018, AJCT 2018, p. 636.

5. CE, sect., 6 décembre 2013, n° 365155, Commune d’Ajaccio, Lebon ; AJDA 2014, p. 219, chronique A. Bretonneau et J. Lessi ; ibid. 2013, p. 2 463 ; AJFP 2014, p. 177, et RFDA 2014, p. 276, conclusion B. Dacosta.

Auteur :

Dominique Volut

Dominique Volut

Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit public


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