Analyse des spécialistes / Acheteur public

Un acheteur public peut-il introduire des mécanismes de préférence locale dans un marché public ?

Publié le 26 juillet 2022 à 15h00 - par

Plusieurs réponses ministérielles ont ouvert la possibilité d’instaurer des mécanismes de préférence visant à soutenir l’économie locale. Pour les acheteurs publics, ces réponses à valeur non normative peuvent constituer un risque juridique pour la passation des marchés.

Un acheteur public peut-il introduire des mécanismes de préférence locale dans un marché public ?

Pour favoriser le développement de l’économie locale, la tentation est grande pour les acheteurs publics d’instaurer des mécanismes de préférence locale pour l’attribution de marchés publics. Cela pourrait consister en une prise en compte d’un critère géographique pour choisir les offres. Cette tentation n’aurait pas lieu d’être car les principes constitutionnels et conventionnels interdisent de telles clauses (1). Or, deux réponses ministérielles, à la valeur normative nulle, ont contribué à introduire un flou par rapport à cette interdiction (2).

1. Une interdiction absolue d’introduire des mécanismes de préférence locale dans un marché public

Premièrement, l’interdiction de clauses de préférence locale et nationale s’inscrit dans les principes constitutionnels et européens déterminant la commande publique et sont rappelés à l’article L. 3 du Code de la commande publique : « les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d’accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code. Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics ».

Deuxièmement, le juge européen et le juge administratif rappellent ce principe et censurent les clauses de préférences locales en les considérant comme contraires aux principes de non-discrimination et de liberté de circulation des personnes, des capitaux et des services énoncés dans les traités européens1. Toutefois, le juge administratif tolère qu’une obligation d’implantation géographique pour l’entreprise puisse être admise si elle est justifiée par l’objet ou par les conditions d’exécution du marché2.

Tout en rappelant le principe de ces interdictions, deux réponses ministérielles intervenues pendant la crise sanitaire en 2020 et en 2021 ont ouvert quelques possibilités supplémentaires.

2. Des possibilités risquées d’introduire des mécanismes de préférence locale dans un marché public

Premièrement, une réponse ministérielle en date du 25 février 2020 a rappelé que le relèvement des seuils de passation des marchés s’inscrit dans une volonté de favoriser l’économie locale : « conscient des contraintes particulières pouvant peser sur les PME candidates aux marchés publics, le Gouvernement a souhaité donner un nouvel élan à la simplification des procédures de passation des marchés. Le seuil en-deçà duquel il est possible de conclure un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables a ainsi été relevé de 25 000 € à 40 000 €. Cet assouplissement des procédures, qui s’inscrit dans une démarche de confiance dans les décideurs publics, devrait faciliter l’utilisation des marchés de faible montant au service de l’économie et du développement durable. Elle devrait notamment permettre de renforcer le tissu économique des territoires en facilitant la conclusion des marchés avec des PME »3.

Deuxièmement, une réponse ministérielle en date du 7 septembre 2021 évoque la possibilité d’instaurer des critères géographiques pour les concilier avec la prise en compte des besoins environnementaux : « le Code de la commande publique impose aux acheteurs, lorsqu’ils définissent leurs besoins, de prendre en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale (article L. 2111-1). L’allotissement, qui facilite l’accès des PME à la commande publique, est par ailleurs une obligation de principe. Le choix des critères d’attribution des marchés et leur pondération peuvent également permettre de rétablir l’équilibre au bénéfice des offres européennes et nationales. Les dispositions du Code de la commande publique n’imposent pas de méthode de pondération des critères, dès lors que ces derniers sont objectifs, précis et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution (article L. 2152-7 du Code de la commande publique). L’acheteur est et doit rester libre d’instituer une pondération plus favorable à un critère environnemental, à un autre critère caractérisant la valeur technique des fournitures, des services ou des travaux, ou au critère du prix »4.

Ces réponses ministérielles n’ont toutefois aucune valeur normative et doivent être maniées de façon précautionneuse par les acheteurs publics.

En dehors de ces possibilités, les clauses mettant en œuvre une préférence locale dans les marchés publics restent strictement prohibées. L’enjeu étant de préserver la libre concurrence entre les entreprises situées dans l’Union.

Dominique Volut, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit public


1. Voir par exemple : CJCE, 11 juillet 1991, Laboratori Bruneau Srl contre Unità sanitaria locale RM/24 di Monterotondo, aff. C-351/88 ; CJUE, 22 octobre 2015, Grupo Hospitalario Quiron SA, aff. C-552/13 ; CE, 29 juillet 1994, Commune de Ventenac-en-Minervois, n° 131562 et CE, 12 septembre 2018, n° 420585.

2. Voir par exemple : la nécessité de rapidité d’intervention « qu’implique l’objet du marché, incluant notamment l’entretien et la réparation du réseau (…) » (CAA de Nancy, 12 avril 2001, Société régionale du Bâtiment SCANZI et fils, n° 96NC02129).

3. Réponse publiée au JOAN du 25 février 2020, p. 1 485.

4. Réponse publiée au JOAN du 7 septembre 2021, p. 6 695.

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