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« Directive nitrates » : les collectivités doivent-elles supporter les amendes des arrêts rendus par la CJUE ?

Publié le 1 octobre 2014 à 17h53 - par

Le recours en manquement devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) constitue la procédure privilégiée pour s’assurer de la correcte transposition des directives européennes par les États membres. Claire Garaud, avocate chez Adamas, se penche pour Weka sur ce type de recours.

« Directive nitrates » : les collectivités doivent-elles supporter les amendes des arrêts rendus par la CJUE ?
Claire GARAUD

Claire GARAUD

Si un manquement est reconnu, la CJUE rend un premier arrêt comportant les mesures que l’État membre doit impérativement adopter pour ne plus être en faute. En cas de non-exécution, la Cour peut infliger à l’État le paiement d’une amende forfaitaire ou le condamner sous astreinte à remédier au manquement. On parle alors de procédure « en manquement sur manquement ».

 

 

Conséquences et responsabilités pécuniaires

En application du principe d’autonomie institutionnelle et procédurale des États membres, la CJUE n’a pas à rechercher si le manquement est imputable à l’État lui-même ou à une institution constitutionnellement indépendante au sein de l’État. Toute condamnation pécuniaire pour un manquement imputable à des collectivités infra-étatiques est donc prononcée à l’encontre exclusive de l’État membre, à charge ensuite pour l’État de se retourner éventuellement contre ses entités infra-étatiques.

Des mécanismes spécifiques de répercussion sur les collectivités du paiement des amendes européennes existent dans plusieurs États membres, en général fédéraux ou au moins très régionalisés, tels que l’Allemagne, la Belgique ou l’Autriche.

En France, pays centralisé, l’État ne disposait pas d’un tel mécanisme. Mais le projet de loi portant organisation territoriale de la République (NOTRe) adopté le 18 juillet 2014 prévoit en son article 33 de faire supporter les conséquences financières des amendes prononcées pour manquement par la Cour de justice de l’Union européenne aux collectivités territoriales auxquelles le manquement serait imputable en tout ou partie.

Quelles seraient les conséquences réelles de l’instauration de ce mécanisme pour les finances des collectivités territoriales ?

À compétences partagées, risque de responsabilités partagées…

Le pouvoir normatif français est centralisé. Les directives telles que la directive européenne cadre sur l’eau (DCE) du 23 octobre 2000, la directive européenne 91/676 aussi appelée directive « nitrates » ou encore la directive du 21 mai 1991 relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (dite « DERU ») sont transposées par des lois, des règlements et des arrêtés relevant de la seule compétence étatique.

De même, les risques d’inondation sont pris en compte dans des plans de prévention des risques naturels et les captages protégés par des périmètres, approuvés par des arrêtés préfectoraux. Les problématiques eau, captage, assainissement, inondation et nitrate incombent principalement à l’État.

D’ailleurs, le 4 septembre 2014, la France a été condamnée par la CJUE pour ne pas avoir adopté certaines mesures nécessaires à la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles. L’arrêt de la CJUE porte plus particulièrement sur les périodes d’interdiction d’épandage dans les zones sensibles et sanctionne un arrêté ministériel du 23 octobre 2013.

Seul l’État est à l’origine de ce manquement. Certes, les collectivités territoriales, en matière de captage et d’assainissement notamment, interviennent pour prendre des mesures de gestion ou faire usage des pouvoirs résultant des transpositions étatiques. Et à compétences partagées, risque de responsabilités partagées… De plus, l’État accélère le transfert aux collectivités d’un certain nombre de compétences, telles que la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (bloc de compétence dit Gemapi transféré à compter du 1er janvier 2016 par la loi du 27 janvier 2014).

De même, un rapport ministériel, publié en août 2014, propose de confier aux collectivités la charge du service public de l’eau et la compétence de protection des captages d’eau potable. Le risque pour les collectivités de payer les amendes européennes, limité en l’état du droit actuel, est amené à s’étendre.

Reste la question de la constitutionnalité d’un tel mécanisme qui dépendra de l’interprétation de l’article 72 de la Constitution. Il consacre à la fois le principe de la libre administration des collectivités territoriales et le contrôle de la légalité de l’activité des collectivités territoriales par les représentants de l’État. Ce sera donc au Conseil constitutionnel d’arbitrer entre la libre administration des collectivités et le principe du contrôle de la légalité ?

 

Claire GARAUD, Avocate du département Affaires Publiques, Cabinet Adamas

 

Texte de référence : Arrêt du 4 septembre 2014 de la CJUE


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